La Croix de la Libération, par Georges Thierry d’Argenlieu

La Croix de la Libération, par Georges Thierry d’Argenlieu

La Croix de la Libération, par Georges Thierry d’Argenlieu

1250p1En juin 1947, la croix de la Libération prenait place au musée de la Légion d’honneur, reliquaire de nos gloires françaises. Sur un feuillet de parchemin qui raccompagne et l’introduit, quelques lignes de la main du chancelier s’offrent au regard.

« 19 mai 1802, Bonaparte, Premier consul, établit un ordre qui fut un signe de la vertu, de l’honneur et de l’héroïsme, une distinction qui servit à la fois à la bravoure et au mérite civil : une Légion d’honneur.

16 novembre 1940, heure sombre et tragique de notre Histoire, de Gaulle, chef des Français libres, fonde l’ordre de la Libération, destiné à récompenser les personnes et collectivités militaires et civiles qui se seront signalées d’une manière exceptionnelle dans l’œuvre de la libération de la France et de son Empire. »

Les affinités sont manifestes mais aussi les contrastes. La Légion d’honneur répond à des intentions durables. L’ordre de la Libération aux sollicitudes d’une heure exceptionnelle.

Cette heure exceptionnelle fut l’été 1940 quand la nuit de la défaite et de l’invasion tomba sur nos cités et nos campagnes ensoleillées.

De vrai, l’appel du général de Gaulle contient en germe l’ordre de la Libération.

Cri de foi, de certitude dans l’avenir, cri jailli des plus intimes profondeurs de l’âme de la France, n’est-il pas la première initiative pour rassembler les gens de chez nous, pour former une élite aux fins de libérer le territoire « dans l’honneur et par la victoire ». Ce grand œuvre n’ira pas sans exceptionnelles difficultés. Le ralliement du Tchad, du Cameroun, de l’Afrique équatoriale, ni même l’accueil inoubliable qu’y avait reçu le chef des Français libres au lendemain de Dakar, ne peuvent l’abuser.

Dès le 20 octobre, le général nous fait part à l’hôpital de Douala de son intention de créer prochainement l’ordre de la Libération.

Le rassemblement des Français pour le combat, la victoire et la libération s’avère lourd d’obstacles, il veut qu’un insigne inédit, né de circonstances cruciales puisse être décerné à ceux qui se seront signalés dans cette haute et âpre entreprise.

Bien sûr il y a nos décorations courantes mais de Gaulle s’interdit de distribuer des croix de la Légion d’honneur par scrupuleux respect de nos institutions pour lors indiscutablement vacantes à ses yeux. Il faut un nouvel insigne face à une conjoncture imprévisible, où va se jouer le devenir de la patrie. Il faut une distinction spéciale : une croix de la Libération.

Tel l’objet de l’ordonnance, prise de Brazzaville, le 16 novembre 1940, créant l’ordre de la Libération. Afin de souligner ses intentions le chef des Français libres en fixera ultérieurement le rang, après la Légion d’honneur, mais avant les autres distinctions françaises. Un décret de Londres le 29 janvier 1941, en réglera l’organisation. Le Conseil est institué, ses membres désignés et faits compagnons, le chancelier et le secrétaire sont nommés, l’insigne défini. Il consiste en un écu de bronze, portant un glaive en pal surchargé d’une croix de Lorraine, avec au revers, en exergue : PATRIAM SERVANDO VICTORIAM TULIT. Le ruban de moire verte et noire symbolise le deuil et l’espérance de la patrie.

Orfèvre et fondeur se mettent au travail.

L’ordre est devenu réalité avec les premiers compagnons. Ils sont neuf le 29 janvier 1941, quatre tombés au champ d’honneur et cinq formant le Conseil.

Trait original, les premiers compagnons du général de Gaulle n’étaient point sédentaires. Ce serait illusion d’imaginer le Conseil de l’ordre groupé à Londres autour de son président. Le chancelier, arrivé d’Afrique à Londres, le 2 février 1941, part au Canada le 24 février. Il en revient le 12 mai. Le gouverneur général Éboué, venu du Tchad, réside à Brazzaville. Le lieutenant d’Ollonde (d’Harcourt) retourne en mission clandestine dans la métropole. Popieul navigue. Bouquillard meurt pour la France. Toutefois à ces premiers titulaires s’en ajoutent vite plusieurs autres. C’est en mai 1941 que les premières croix sont livrées, et distribuées à Londres, en Libye, en Égypte, en Syrie.

Rentré du Canada, le chancelier prélude en fait à ses fonctions. À son initiative est pris l’arrêté relatif à la remise et au port de l’insigne. La remise sera faite, solennellement au cours d’une prise d’armes. Les troupes présenteront les armes.

Puis, l’ordre d’ouvrir le ban ayant été donné, le membre de l’ordre chargé de la remise interpellera le récipiendaire par son grade et son nom et lui remettra l’insigne en lui adressant les paroles suivantes : « Nous vous reconnaissons comme notre compagnon pour la Libération de la France dans l’Honneur et par la Victoire ».

L’installation à Paris, le 25 août 1944, du Général, fondateur de l’ordre, devenu président du gouvernement provisoire, salué par la capitale du nom de libérateur, introduit pour la première fois dans la vie de la chancellerie un facteur de stabilité.

Un décret d’État important, du 20 novembre 1944, inspiré des errements antérieurs, fixe la préséance et les prérogatives des compagnons, du Conseil et du chancelier dans le cadre du décret du 16 juin 1907. Elles se calquent sur celles des légionnaires, des membres du Conseil et du grand chancelier de l’ordre de la Légion d’honneur. Le directeur du protocole met sur-le-champ ces dispositions en pratique.

Le Général veut que la chancellerie de la Libération soit distincte de la grande chancellerie de la Légion d’honneur. Présidant en personne le Conseil le 29 janvier 1945, quatrième anniversaire de sa création, il juge que l’hôtel de la rue François Ier convient et doit constituer le siège de l’Ordre.

C’est la période la plus active du Conseil, car la Résistance intérieure sortie de la clandestinité peut désormais établir des propositions motivées.

Lorsque, le 23 janvier 1946, est signé le décret portant qu’à cette date il ne sera plus procédé à l’attribution de la croix de la Libération, le nombre des compagnons s’élève à 1.053 en tenant compte des personnes morales – cinq villes et dix-huit unités combattantes.

Parmi eux, 222 furent nommés à titre posthume, 96 en sus sont morts pour la France au combat, ou en service commandé : tel Leclerc de Hauteclocque.

En bref, le tiers des compagnons donnèrent au pays pour sa libération la marque suprême de dilection : leurs vies.

Il convient ici d’évoquer, présente à leurs côtés, la noble phalange des médaillés de la Résistance.

Leur statut, en effet, comme leur insigne propre, né de l’initiative du chef de la France combattante, les rattache organiquement à la chancellerie de la Libération. Leur nombre, il va de soi, est très supérieur à celui des compagnons : 35.000 médaillés et 6.000 officiers dont 15.000 à titre posthume.

La devise de leur distinction, PATRIA NON IMMEMOR, manifeste hautement la qualité des liens moraux qui les unissent aux compagnons de la Libération.