Comment exploiter un document

Comment exploiter un document

La méthode

1) Contextualiser le document

• Qui est l’auteur du document et quelle est sa situation au moment où il le réalise ?

• Quand ce document a-t-il été réalisé et dans quel contexte, personnel et/ou historique, celui-ci s’insère-t-il ?


2) Établir la nature du document

Discours, lettre à un parent, courrier officiel, journal intime, mémoires, roman, poème, essai, tableau, dessin, photographie, etc.

3) Tirer les idées principales

Il est recommandé de confronter le document avec d’autres sources. Il est nécessaire de définir les termes qui vous sont inconnus et de rechercher des éléments biographiques disponibles sur les personnes citées dans le document.

Exemple

Document : Le récit de l’évasion de Martin Winterberger est paru dans la Revue de la France Libre, n° 70, septembre-octobre 1967, sous le titre : « Il y a vingt-cinq ans, un Français libre réussissait la seule évasion du camp de Struthof ». Il a été réédité dans Ils ont rejoint de Gaulle en 1990.

“L’évadé du Struthof”, Ils ont rejoint de Gaulle. Alsaciens et Mosellans dans la France Libre, Éditions de la Nuée Bleue, Strasbourg, 1990, p. 35-36.

« 4 août 1942. Il est 14 heures 20. Au-dessus de la vallée de la Bruche, en Alsace, le ciel s’assombrit […].

Autour de l’hôtel du Struthof […], le vent, précédant l’orage, soulève les nuages de poussière âcre, aveuglant les six sentinelles SS qui y montent la garde. Depuis plusieurs mois la plus terrifiante des clientèles, la Kommandantur du sinistre camp de déportation de Natzwiller, s’est installée en ce lieu jadis si paisible.

Dans les baraquements voisins, où les nouveaux maîtres ont installé les services et ateliers nécessaires à leur confort, des êtres décharnés et hâves travaillent. Leur spécialité leur vaut cette faveur car, plus haut dans la montagne, leurs camarades de déportation […] peinent et souffrent sur les routes et dans les carrières d’où ils doivent extraire la pierre sous la surveillance des gardiens SS et de leurs chiens […].

L’endroit semble désert. Les Allemands, dans les bureaux de la Kommandantur, s’abandonnent à une douce somnolence profitant de l’absence de leur chef, le SS Sturmbahnführer Zill, commandant de l’ensemble du camp du Struthof. Chassés par le vent et l’approche de l’orage, les prisonniers, leurs kapos et leurs gardiens SS se sont réfugiés dans les baraquements.

Lentement une voiture sort du garage des officiers supérieurs SS, situés à droite, légèrement en retrait de l’hôtel. C’est une “Auto-Union” du type “Wanderer”, voiture personnelle du SS Obersturmführer Schlachter, chef du service de construction et d’équipement du camp de Natzwiller. Sans accélérer, semblant être simplement poussée par le vent et la poussière, elle roule vers la barrière est qui se trouve sur le petit chemin qui mène vers le camp.

La sentinelle SS, toujours tremblante à l’approche de l’une des terreurs galonnées logeant à l’hôtel du Struthof, présente son arme en hurlant la phrase rituelle “Poste 6. Rien à signaler !”, puis elle lève la barrière tandis qu’à l’intérieur de la voiture le SS, assis à côté du chauffeur, tend son bras droit pour le salut hitlérien et lance à l’adresse de la sentinelle : “Heil Hitler ! Danke schön !”

Sans marquer de temps d’arrêt la voiture passe et monte lentement vers le camp, puis soudain, à mi-chemin, elle plonge sur sa droite dans l’ancien chemin qui mène vers Rothau. Derrière elle la sentinelle a rabattu la barrière…

C’est ainsi que se déroula la première et seule évasion réussie du camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Les deux officiers SS assis à l’avant n’étaient pas le sinistre Lagerführer Kramer, bien reconnaissable à son manteau de cuir vert et que la sentinelle croyait avoir reconnu au volant du véhicule, et son collègue Schlachter, bien reconnaissable à sa haute stature, mais le déporté autrichien Karl Haas, responsable du garage des officiers SS, et le résistant alsacien Martin Winterberger, employé à la lingerie, qui emmenaient vers la liberté, cachés sous des couvertures à l’arrière de la voiture, le commandant tchécoslovaque Joseph Mautner, l’ancien légionnaire français et le combattant de la guerre d’Espagne, Joseph Cichosz, et un déporté politique allemand, Alfons Christmann […]. »

avis-recherche-gestapo

Analyse :

1) Né le 19 décembre 1917 à Dinsheim (Bas-Rhin), Martin Winterberger est arrêté pour faits de résistance et emprisonné dans le camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Evadé le 4 août 1942 avec quatre autres prisonniers, il passe en Espagne, où il est interné, avant de s’engager dans la 1re division française libre le 5 novembre 1943. Avec son unité il combat en Italie et en France en 1944-1945. Membre de l’Association des Français libres après la guerre, il rédige son témoignage à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’appel du 18 juin 1940. Il est décédé le 5 octobre 1993.

2) Le document est un témoignage paru en 1990 dans Ils ont rejoint de Gaulle, ouvrage réunissant les témoignages d’Alsaciens et de Mosellans ayant combattu dans la France Libre. Plusieurs de ces témoignages font état des formes de répression qu’ils se sont vus infliger, tant de la part des autorités vichystes que des forces d’occupation, du fait de leur engagement résistant.

3) L’auteur fait le récit de l’unique évasion réussie du camp de Struthof, le 4 août 1942, sans préciser la manière dont elle a été préparée ni ses aléas. Cependant, on distingue plusieurs des éléments qui ont favorisé cette évasion : les évadés bénéficient de conditions de vie moins dures dans le camp, grâce à “leur spécialité” ; ils ont un emploi dans le camp qui leur permet de se procurer uniformes et véhicule ; le mauvais temps et l’absence du commandant du camp favorisent un allègement de la surveillance.

Il s’agit d’une évasion collective, associant un Français, un Allemand, un Autrichien, un Polonais et un Tchécoslovaque. Ancien des Brigades internationales arrêté pour avoir craché à la figure d’un officier allemand, Joseph Cichosz a organisé un mouvement de résistance et de solidarité au sein du camp. Ancien officier d’état-major, Josef Mautner en est le conseiller technique militaire. Alfons Christmann est kapo de la blanchisserie. Seul Français du camp, Martin Winterberger est contacté par Karl Haas, qui l’associe au projet.

Le témoignage ne laisse pas apparaître d’aide extérieure. Et de fait, une précédente tentative, en juillet, avait été empêchée par une série d’arrestations dans les villages voisins, où les prisonniers avaient lié des contacts.

Pour en savoir plus

• Charles Béné, Du Struthof à la France Libre, Fetzer, 1968.
• Charles Béné, L’Alsace dans les griffes nazies, Fetzer, 1971, tome 5 : “Organisations policières nazies et camps de déportation en Alsace”, p. 219-295.
• André Casalis (éd.), La Mémoire des Français Libres. Hommes et combats, Fondation de la France Libre, 2002, tome 5, p. 2498.
• Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin 1941-1945, Éditions de la Nuée Bleue, Strasbourg, 2005, p. 362.
• Des éléments d’informations sont disponibles sur le site internet du Site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler : www.struthof.fr.

< Retour à la page d’accueil du dossier