Le Comité de la France Libre des Indes néerlandaises et orientales, par Emmanuel-Luc Ricard
Cette ancienne colonie hollandaise composée d’îles et d’archipels s’étendait sur une distance égale à celle qui va des rivages des États-Unis sur le Pacifique aux côtes du Maine sur l’Atlantique.
En 1940, elle était habitée par 73 peuples aux idiomes différents, totalisant 70.000.000 d’âmes.
S’il n’y a plus aujourd’hui de sections de l’A.F.L. dans ces pays, c’est qu’à l’occupation japonaise, qui débuta en 1942, succédèrent des troubles graves occasionnés, les uns par le mouvement vers l’indépendance, les autres par des partis mahométans qui voulaient créer un État à caractère religieux.
Ces troubles furent tels, de 1945 à 1949, que les Européens furent hors d’état de rétablir les organisations d’avant-guerre dont beaucoup de membres dirigeants avaient été victimes, soit des Japonais, soit des indigènes qui, vers fin 1943, massacrèrent tous les Européens qu’ils purent kidnapper.
Le Comité « France Quand Même » fut de ces organisations qui ne purent renaître, la plupart des membres du Comité directeur de Batavia et des deux sous-comités créés dans les grands centres des îles de l’archipel ayant été anéantis.
Sous la direction du Comité de Batavia, l’organisation «France Quand Même » fit œuvre utile de 1940 à 1942, entretenant et développant un courant de sympathie pour la F.L., collectant des fonds qui furent envoyés à Londres, et provoquant 52 engagements parmi les Français débarqués à Java en 1941.
La nouvelle de la pénétration en France des armées nazies, en mai 1940, avait profondément bouleversé l’opinion publique à Batavia, au point que dans le courant du mois de juin, le monde officiel hollandais, les colonies européennes et la population de Batavia rendirent un solennel hommage à la France, en défilant devant le consul général de France : M. Delage, entouré des autorités civiles et militaires de Batavia et des quelque 15 Français y résidant. Ce cortège, entraîné par de nombreuses musiques militaires et civiles, comprenait plus de 80.000 personnes. Mais pendant qu’il défilait le bruit courut que la radio annonçait la demande d’armistice adressée par la France à l’Allemagne – il en résulta un lamentable désarroi.
Deux ou trois jours plus tard, les Français de Batavia se réunirent au consulat de France pour décider de leur attitude. Le texte d’un télégramme à l’intention du général de Gaulle fut rédigé par M. Delage, consul général. Le brouillon approuvé par 13 signatures, dont celle de M. Delage, me fut remis et j’expédiai le télégramme le 24 juin.
Mais la formation du Comité fut retardée par d’interminables discussions suscitées par une opposition violente à la suite du voyage en Indochine d’un des signataires du texte du télégramme.
Ce ne fut qu’en septembre 1940, qu’après une réunion à mon domicile, nous constituâmes un Comité de taille. Au télégramme envoyé à Londres au Général, celui-ci nous répondit par un mot d’encouragement, nous conseillant d’adopter le nom de « France Quand Même ».
Sans tarder, il fallut organiser la propagande pour faire connaître notre organisation, d’abord des compatriotes résidant aux Indes néerlandaises et ensuite des milieux susceptibles de nous apporter un appui.
En tant que président du Comité, j’organisai des conférences dans les grands centres de Java et de Sumatra, ce qui me mit en contact avec des personnalités civiles ou militaires influentes, qui, partout où il n’y avait pas de Français sur place, acceptèrent de constituer nos sous-comités et de les animer.
C’est ainsi, qu’à fin 1940, l’organisation comportait, indépendamment du Comité central de Batavia, six sous-comités dans l’île de Java ; en 1941, au cours d’une autre tournée de conférences dans l’île de Sumatra, trois autres sous-comités furent formés.
En janvier 1941, le Comité de Batavia organisa une grande fête qui rapporta 12.000 florins.
Mes occupations professionnelles m’appelant à faire de nombreux déplacements dans les centres intéressants de l’archipel, cela me permit de développer la création des sous-comités et d’obtenir de nombreuses adhésions dans les milieux hollandais.
Les Chinois riches étaient, de 1940 à 1941, fort occupés à financer les opérations de Tchang Kaï-chek, et ce ne fut que plus tard qu’ils nous apportèrent, à leur tour, une aide financière.
À plusieurs reprises, des envois de 1.000 livres sterling ou de 10.000 florins (selon les possibilités des transferts) furent faits à Londres, car les dévouements étaient nombreux pour alimenter nos caisses. Nous n’en citerons que deux exemples à Samarang, Mme Verkenyl, d’origine française, organisa de nombreuses ventes de bienfaisance, tandis que son mari, capitaine de réserve dans l’armée hollandaise, donnait des conférences et faisait paraître dans les journaux locaux de nombreux articles favorables à notre cause. À Palembang, dans le centre pétrolier de Sumatra, M. Sauvage, dirigeant d’un groupe d’ingénieurs français, organisa une souscription à laquelle chacun versait 10 % de son traitement mensuel.
En 1941, le général Poorter, commandant en chef de l’armée des Indes néerlandaises orientales, me fit la joie d’adhérer à notre mouvement, prononçant à l’occasion d’une de nos conférences, une allocution dans laquelle il exprimait toute son admiration pour le général de Gaulle et incitant les Hollandais à nous aider. Par la suite, il me proposa d’organiser, dans chaque ville de garnison, un grand défilé civil et militaire avec participation de chars – sous le titre « Un char pour de Gaulle ». Mais l’attaque japonaise ne permit pas la réalisation de ce projet, et au début de mars 1942, l’invasion commençait.
Vers fin février, le général Poorter – ayant surpris un télégramme japonais – me fit savoir que les Japonais livreraient au gouvernement de Vichy les représentants de la F.L. en Extrême-Orient et que dans ces conditions je devais immédiatement quitter Batavia.
J’en avisai deux de mes collaborateurs immédiats mais ne pus les persuader – l’un, M. Herment, 70 ans, fut battu et jeté en prison par les Japonais ; l’autre, M. Petit, alla se cacher à Bandoeng et finit par se faire admettre dans un camp de prisonniers hollandais.
Je pus m’embarquer à la hâte avec ma famille sur un petit caboteur hollandais qui faisait le service des îles de l’archipel, sans savoir sa destination, et, alors que les Japonais coulaient beaucoup de bateaux qui cherchaient à s’échapper, nous pûmes franchir en pleine nuit le détroit de la Sonde et atteindre Bombay où M. Mossé, président des Français Libres nous accueillit.
Je fus ensuite envoyé, pour assurer le Service de l’Information, à Nouméa, puis à Sydney.
L’occupation japonaise mit un terme à l’activité de l’organisation « France Quand Même » et exposa les Français Libres aux sévices de la Kempei Tai (police d’État).
Nous avions pu enregistrer 52 engagements volontaires parmi l’équipage d’un bateau français qui avait été arraisonné par la marine hollandaise – les officiers étaient logés à Batavia, l’équipage à l’intérieur de l’île.
Les officiers refusèrent de prendre contact avec nous et furent recueillis par les Japonais, en mars 1942.
Quant aux marins – à la suite de démarches répétées – ils vinrent tous à nous, nous les logeâmes dans les hôtels pendant plusieurs semaines avant de pouvoir les acheminer vers Singapour où ils furent répartis sur des bâtiments arborant le pavillon à croix de Lorraine.
Au moment de l’arrivée des Japonais, nous avons donné ordre à notre banque de transférer à la Westminster Bank, à Londres, le solde créditeur de notre compte, un peu plus de 10.000 florins. Mais le virement ne put être fait et ce ne fut qu’en 1952 que nous pûmes obtenir que ce montant soit remis à l’ambassade de France, à qui nous avions signalé l’existence de ce compte bloqué.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960.