Le Comité de la France Libre de Hong-Kong, par Carlos Arnulphy

Le Comité de la France Libre de Hong-Kong, par Carlos Arnulphy

Le Comité de la France Libre de Hong-Kong, par Carlos Arnulphy

La Revue de la France Libre a publié en juin 1960 (n° 126) sous la signature de notre regretté camarade Louis Pierre Biau un article intitulé « Le comité de Hong-Kong ».

Depuis cette époque les archives de la France Libre, détruites au moment de l’attaque japonaise, ont été en partie reconstituées et elles ont permis de mettre en lumière l’action méconnue de certains de nos compatriotes et de leurs amis belges dans la résistance aux Japonais.

La rédaction de notre revue a pensé qu’elle s’honorerait, après avoir évoqué « For Ever », en ouvrant ses colonnes au survivant des 11 volontaires Français Libres qui ont participé en décembre 1941 à la défense de la colonie britannique.

N.D.L.R.

La nécessité d’entretenir des relations normales avec l’Indochine, dont le gouvernement dépendait de Vichy, imposait le maintien d’un consulat de Vichy, en sorte que la France Libre n’a jamais été reconnue officiellement à Hong-Kong, et l’appui qu’elle a pu recevoir des services britanniques ou du consul général de France Reynaud, ou du consul Charles Renner, a été octroyé individuellement, à titre privé.
Le système de défense de Hong-Kong (comme celui de Singapour) avait été prévu pour faire face à une attaque par mer et, depuis l’occupation de Canton par les troupes japonaises en 1938, la frontière continentale des Nouveaux Territoires était ouverte à l’invasion. L’état-major estimait qu’il fallait avoir la maîtrise de l’air et 360.000 hommes équipés, pour défendre la colonie. Winston Churchill avait prévenu que les ressources de l’Empire ne permettraient de tenir que les places stratégiques d’importance vitale, tandis que les autres seraient sacrifiées.
Hong-Kong était une de ces places qu’on ne pouvait défendre et, lorsque les Japonais attaquèrent, il y avait cinq avions qui furent détruits au sol, pas un navire, pratiquement aucun matériel et environ 8.000 combattants.
Après juin 1940, l’entrée en guerre du Japon était chose certaine, mais pour le gouvernement britannique, il fallait que la guerre en Extrême-Orient n’éclata que le plus tard possible ; les ordres de Londres spécifiaient donc qu’il ne fallait provoquer aucun incident qui puisse précipiter les hostilités. Le commandement avait décrété que les engagés volontaires ne seraient autorisés à quitter Hong-Kong sous aucun prétexte. Le sort de la colonie étant ainsi prévu, l’atmosphère était plutôt lourde et le gouvernement organisait l’évacuation des femmes et des enfants britanniques vers l’Australie et les Indes.
La commission d’armistice nazie était installée en Indochine et les services de renseignements du Reich fonctionnaient, à Canton et à Macao, les services japonais étant organisés en plein centre de Hong-Kong.
Dans ces conditions, l’élan et l’enthousiasme des braves patriotes, fondateurs du premier comité France Libre, ne rencontrèrent ni chez les fonctionnaires britanniques ni chez les résidents français, l’écho qu’on en attendait. C’est que les premiers en étaient réduits à leur initiative personnelle et les seconds dépendaient, pour la plupart, de Saigon ou de Paris ; mais la bonne volonté des uns et des autres était évidente et ne demandait qu’à pouvoir se manifester. Il fallait pour cela un comité plus restreint, plus discret, qui remplaça le premier et qui fut composé comme suit :
– Émile Fouliard, représentant du général de Gaulle ;
– Pierre Mathieu, secrétaire ;
– Armand Delcourt, conseiller ;
– Carlos Arnulphy, conseiller.
Le comité avait, entre autres, comme mission :
– de débaucher les membres des équipages, des paquebots et cargos des Messageries Maritimes, ralliées à Vichy de recruter du personnel civil et militaire en Indochine ralliée à Vichy et occupée par les Japonais, par l’intermédiaire d’une liaison dans cette colonie, qui se chargeait de diriger les contingents recrutés, sur Hong-Kong ;
– de recruter localement des volontaires français ;
– de s’aboucher avec les Français de provenance de l’intérieur de la Chine du Sud pour les encourager à contracter un engagement dans les F.F.L. ;
– de préparer des émissions radiophoniques France Libre, destinées à l’Indochine de Vichy ;
– d’obtenir des souscriptions des Français et des sympathisants étrangers, pour envoyer des colis au Caire, pour l’armée de la France Libre, et pour parer aux dépenses occasionnées par le passage des volontaires.
Sous l’influence calme et si sympathique d’Émile Fouliard, tous les Français, à part de très rares exceptions, ont contribué à l’effort de guerre de la France Libre. Voici l’extrait d’une lettre que Fouliard recevait en 1956, peu de temps avant sa mort :
« Le bon sens et le bon esprit avec lesquels vous avez mené à Hong-Kong, en 1940 et 1941, la nef fragile « France Libre » a fait peut-être de ce coin du monde, le seul où les Français ne se soient pas entre-dévorés. »

« Lorsque, le 14 juillet 1941, tous les Français étaient réunis au consulat, où le consul général Reynaud prononçait un discours France Libre, en dépit de la présence de l’espion de Vichy, représenté par un ecclésiastique de Shanghai, vous faisiez la preuve qu’en pleine tragédie d’une France déchirée, quelques Français gardaient quand même le sens de la mesure.

Nous pouvions penser à ce moment-là que Shanghai était un endroit exceptionnel où les Français se faisaient la guerre mais, hélas, on a su depuis que cette situation existait ailleurs à l’étranger. Ces considérations me font souvent penser à vous, mais il y en a d’autres d’un caractère plus personnel ; il s’agit de l’hospitalité que vous avez donnée aux famille à des volontaires français, pendant l’attaque japonaise. Pour eux, persuadés de laisser leur vie dans ce combat, ils éprouvaient un réconfort considérable à savoir que leurs familles étaient sous votre toit. »
Le gouvernement britannique avait signifié à Vichy qu’aucun consul général envoyé en remplacement de M. Reynaud ne serait persona grata. C’était donc lui ou personne. Au consulat de France, le 22 juillet 1940, on apprenait du consul Renner que, par décret de Vichy « tout Français s’engageant dans une armée étrangère était passible de la peine de mort. » Ceci confirmait que le maréchal Pétain, impuissant, devait se soumettre aux ordres venus de Berlin et ce jour même Mathieu, Delcourt et Arnulphy s’engageaient dans le corps des volontaires pour la défense de Hong-Kong, à titre de Français Libres. Le consul général Reynaud et le consul Renner leur exprimèrent leurs félicitations. Il faut dire que ces deux grands Français, dès le 30 juin 1940, déposaient dans un tiroir le chèque reçu mensuellement de Vichy, ce qui leur donnait une certaine liberté d’esprit quant à l’interprétation des directives. Il s’ensuit que pour un Français Libre, s’évadant de Hong-Kong sous l’occupation japonaise, le risque d’être arrêté à l’arrivée « sur la dénonciation du consul de Vichy » n’était pas à craindre.
Les autorités britanniques avaient accepté que la France Libre donne tous les soirs les nouvelles en français, radiodiffusées vers l’Indochine. Les Français et leurs amis belges s’acquittèrent de cette mission de telle sorte que, trois jours avant la reddition de Hong-Kong, l’ordre suivant émanait du gouvernement général de l’Indochine, sous la pression des Nazis :
« Cdt Jouan, faire rentrer d’urgence :
1 – M. Yolle, représentant le gouvernement général auprès du consulat de France, pour faire son rapport ;
2 – M. C. Arnulphy, administrateur-délégué de la Hong-Kong Canton Export Co. Ltd. Speaker Radio-Hong-Kong – Français ;
M. Gardan, sous-directeur de la Banque de l’Indochine. Speaker – Français ;
M. Juge, caissier de la Banque de l’Indochine. Speaker – Français ;
M. Mathieu, de la Maison Optorg. Speaker – Français ;
M. de Sercey, directeur de la Banque d’Épargnes des Postes Chinoises. Speaker – Français ;
R.P. Tournier, des Missions Étrangères ;
R.P. Vircondelet, procureur général des Missions Étrangères. Animateur et traducteur – Français ;
M. Delcourt, directeur de la Maison Optorg. Speaker – Belge ;
M. Pierre Mardulyn, sous-directeur de la Banque Belge pour l’étranger. Speaker – Belge ;
M. Davreux, comptable du Crédit Foncier d’Extrême-Orient. Speaker – Belge ;
Dr Béchamp, ancien chef de mission à Cheng-Tou ;
Mme Marty, professeur à l’Université de Hong-Kong.
Tous ces Français et Belges, coupables de s’être livrés à une propagande pro-britannique et anti-française à Hong-Kong, doivent être interrogés d’urgence par l’autorité française. »
L’ordre ci-dessus fait penser que les banques françaises, les missions étrangères de Paris et les grosses maisons de commerce ne voyaient plus le comité du même mauvais œil qu’au début de l’effort France Libre. C’est qu’il y avait maintenant Émile Fouliart et derrière nous tous, pour nous conseiller et nous guider, notre fidèle ami Paul de Roux, directeur de la Banque de l’Indochine. Lorsque les Français Libres s’engagèrent, Paul de Roux qui était célibataire, accepta de rester à Hong-Kong, lorsque la colonie serait occupée par les Japonais, pour veiller au sort des familles des absents. Ayant un mépris total du danger, il fit pour ses camarades et les leurs tout ce qu’il était humainement possible de faire ; et avec un tel zèle que finalement la gendarmerie japonaise (Kempetai) venait l’arrêter à son appartement au cinquième étage de la banque. Sachant quel genre de supplice l’attendait, et résolu à ne rien révéler, il se précipita par la fenêtre et s’écrasa au sol. C’était le 19 février 1944.
Employé de commerce dans la journée, et soumis à l’entraînement des volontaires, Pierre Mathieu assurait le secrétariat le soir, souvent toute la nuit. Sa résistance physique autant que sa capacité considérable de travail, lui permettaient en sus de toutes ses besognes, d’éditer la revue « Free France ». Posé et sûr de lui, il terminait rapidement les travaux qu’il entreprenait et on s’émerveillait de la qualité de son ouvrage.
Grand, sportif, le visage ouvert et gai, toujours serviable, il s’attirait la sympathie générale et les Anglais l’appréciaient beaucoup. Aussi, lorsqu’il fallait obtenir d’eux quelque facilité exceptionnelle, Mathieu s’en chargeait-il avec succès.
À la batterie, ses chefs hiérarchiques estimaient qu’il était leur meilleur canonnier. Pendant la bataille, il fit toujours preuve d’un sang-froid et d’une bravoure qui aidèrent ses camarades à rester calmes et confiants dans les heures les plus difficiles.
Prisonnier de guerre au camp de Samshuipo, il se fit remarquer par son esprit d’organisation qui devait mitiger, dans une certaine mesure, les souffrances de ses camarades.
Au cours d’une corvée dont il avait la charge, s’inquiétant que ses hommes ne se blessent pas sur des barbelés rouillés et marchant à reculons pour leur signaler le danger, il toucha les fils d’enceinte électrifiés et tomba foudroyé le 27 août 1943.
Armand Delcourt, d’origine française, de nationalité belge fut grièvement blessé de deux coups de baïonnette, à la bataille du Ridge, le 21 décembre 1941, et porté officiellement tué ce jour-là. Quarante-huit heures après, Delcourt tombait dans les mains des Japonais à Repulse Bay et là, à genoux, face à la mer, était exécuté avec une dizaine de ses camarades, d’un coup de fusil dans la nuque.
Dans les travaux du comité, comme en service commandé, Delcourt, pénétré d’amour pour la France, a toujours donné espoir à ceux qui l’entouraient, par son bonheur d’être, son esprit d’abnégation et sa foi dans le résultat du conflit.
Pendant la bataille de Hong-Kong (les Anglais l’avaient surnommé : de Gaulle) donnant la preuve en toutes circonstances de la plus haute valeur morale et convaincu qu’il laisserait sa vie dans un combat inégal, Armand Delcourt fit sciemment le dernier sacrifice, confiant dans la victoire finale de la France.
Le système de défense consistait à infliger le maximum de pertes à l’ennemi et à abandonner le contact pour reculer sur de nouvelles positions. Ainsi la garnison de Hong-Kong n’enregistra pendant la bataille qu’un millier de tués, mais dès l’été 1944, la malnutrition, le travail forcé et la cruauté du système japonais avaient décimé les rangs des prisonniers dans d’effroyables proportions. C’est alors que Tokyo voulut faire un sondage sur l’état d’esprit de ces hommes complètement isolés du monde extérieur depuis deux ans et demi.
Le 13 août 1944, les commandants de tous les camps reçurent l’ordre d’envoyer à Tokyo un papier rédigé par un prisonnier, sur le sujet suivant : « Opinion personnelle sur la situation actuelle du conflit et sur l’issue de la guerre mondiale ».
Dans un camp, dont l’histoire ferait un savoureux chapitre pour l’« Enfer de Dante », c’est un Français Libre qui eut l’honneur d’être choisi, car c’était dangereux, et voici comment il s’en tira :
« Sendai N° 2 – 13 août 1944.
« Pendant des années, les régimes totalitaires se préparaient pour la guerre, tandis que les démocraties restaient étonnamment désarmées et sans défense.
« Les pays totalitaires pouvaient considérer qu’une guerre déclenchée au moment choisi par eux, serait gagnée rapidement, ceci résultant moins du fait de leur force véritable qu’en raison du manque total de préparation chez leurs adversaires.
« Les premiers mois des opérations sur les fronts orientaux et occidentaux d’Europe sont marqués d’une longue succession de victoires de l’Axe, victoires qui se répètent, en Proche-Orient et dans les Balkans aussi bien qu’en Extrême-Orient. Mais aucune de ces victoires ne s’avère décisive et, avec le temps, les puissances de l’Axe ne peuvent plus maintenir l’effort de mener la guerre en même temps, contre les trois géants industriels : la Grande-Bretagne, les États-Unis et la Russie.
« Il y a deux facteurs décisifs dans cette guerre, le premier est la bataille d’Angleterre, le second englobe les deux batailles : Stalingrad et El Alamein. Après ces deux dernières batailles, dès octobre 1942, on pouvait juger que les puissances totalitaires ne seraient plus en condition de gagner la guerre.
Jusque-là elles avaient fourni leur effort maximum sans résultat probant, tandis que leurs adversaires ne faisaient que commencer à se préparer sérieusement.
« Actuellement, les démocraties doivent être prêtes et il est probable que leurs offensives soient lancées sur tous les fronts. Si ceci est exact, on peut croire que les hostilités en Europe cesseront avant la fin de l’année, et en Extrême-Orient, dans le courant de 1945 ».
Dans le texte ci-dessus, l’influence que le Japon pouvait avoir sur l’issue du conflit était complètement ignorée, traitée comme quantité négligeable et, bien plus que l’affirmation de leur défaite, c’est le dédain objectif du prisonnier qui devait faire touche au point sensible.
Cet esprit particulier aux Français Libres se manifeste joliment chez le capitaine Roderick Egal, ancien représentant du général de Gaulle à Shanghai, prisonnier à Hong-Kong, d’abord à Samshuipo puis à Argyle Camp. C’est l’officier le plus giflé du camp. En effet, lorsque les Japonais demandent un coupable, Égal, sans même savoir de quoi il s’agit, se précipite et incline son grand corps émacié vers l’exécuteur qui frappe furieusement. À 50 ans, sa résistance morale lui permet de s’offrir la plus grande part à la distribution des coups.
Ce sont les seules relations permises avec l’ennemi, dit-il.
Et puis, ça soulage ses camarades, et l’attitude individuelle de chaque volontaire français, dans tous les coins du monde, fait rayonner l’esprit de la France.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 209, janvier-février 1975.