La Combattante ouvre la voie
Par l’amiral Jacques Zang
Avec les fleet-destroyers HMS Venus, Fury, Faulknor et son sister-ship le « Hunt » Stevenstone, le torpilleur La Combattante était en première ligne le matin du 6 juin 1944 devant Courseulles-sur-Mer, où ces destroyers appuyaient par leur feu l’assaut de la 7e brigade canadienne sur la plage baptisée Juno Mike.
La veille, sur la rade de Spithead, avant de prendre l’escorte de l’un des convois de la Force J qui allaient emprunter le chenal vers Courseulles tout juste ouvert devant eux par des dragueurs de mines et marqué par des mouilleurs de balises lumineuses, le capitaine de corvette Patou s’était adressé à son équipage : « Cette fois, c’est la bonne. Demain matin, nous débarquons sur les côtes de France. Je compte sur vous dans cette bagarre. Depuis quatre ans, nous attendons ce jour. Soyez fiers, le seul bâtiment français faisant partie des opérations rapprochées est le nôtre. Nous serons les premiers à faire flotter le pavillon à croix de Lorraine, à toucher nos côtes… »
Au lever du jour, dans une lumière laiteuse, apparurent les amers qu’étaient le clocher de Bernières, celui de Saint-Aubin et le caractéristique double clocher de Douvres-la-Délivrande. Les cinq destroyers se rassemblèrent pour former groupe, le commandant fit hisser le pavillon à croix de Lorraine sur la corne bâbord, tandis que montait au mât des lignes l’enseigne blanche de la marine royale. En deux lignes de front, Venus, Fury et Faulknor par dessus l’avant de La Combattante. Pour sa part, celle-ci détruisait successivement à l’ouest de Courseulles plusieurs édifices ressemblant à des postes d’observation de tir, puis les objectifs qui lui avaient été désignés et qu’elle avait fini par repérer, une batterie montée dans une barbette recouverte de sable, difficilement visible du large parce que faite pour prendre la plage d’enfilade, et une maison à la pointe de Ver. Pendant ces tirs, La Combattante avait mouillé à 7 h 12 près de la ligne de sonde de deux brasses, soit approximativement 4 mètres, à 3 000 mètres du rivage.
Cette phase de tirs préliminaires s’était achevée quand à 7 h 50 elle fut prise à partie par une batterie inconnue et rapidement encadrée par les gerbes d’eau de ses salves, dont l’une très proche arrosa d’éclats la passerelle et la plage avant, blessant légèrement le capitaine d’armes (le maître canonnier Gourong) et causant des dégâts légers. En mettant en arrière et en draguant l’ancre, avant de la virer rapidement, le commandant évita la salve suivante. Les flammes de départ de ses coups, entre-temps transportés sur les chalands de la première vague arrivant à la plage, permirent enfin de repérer la batterie, complètement cachée dans une maison, à l’est de l’embouchure de la Seulles. Atteinte par plusieurs salves de 102 mm de La Combattante qui s’en était rapprochée, elle sauta, ses parcs à munitions probablement incendiés.
La Combattante mouilla alors vers 8 h 35 par fonds de 10 mètres, prête à répondre aux demandes de tir indirect qui lui parviendraient par l’intermédiaire d’un « artillery liaison officer » (ALO) qu’elle avait à bord ; mais la brigade canadienne avançait rapidement sans rencontrer grande résistance et ne fit pas appel à ses services. En tir à vue, en un peu plus d’une heure, La Combattante avait tiré 439 coups de 102 mm, dont 394 perforants. Ce faisant, avant de mouiller la première fois par fonds de 4 mètres, elle s’était un peu trop approchée de la côte : quoique stoppée depuis peu, elle avait touché le plateau, dit du Calvados, qui la déborde, dont elle s’était aisément dégagée en mettant en arrière. Cet incident lui avait valu du chef de groupe, le Venus, un message d’appréciation en morse lumineux : « Je suis heureux que ce soit un Français qui ait le premier touché le sol de France ! »
Un remarquable bâtiment de combat
Plus d’une centaine de destroyers, en très grande majorité britanniques, prirent part à l’opération Neptune, la partie navale du débarquement de Normandie qui fut pour l’essentiel l’affaire de la Royal Navy. Une soixantaine participèrent aux opérations rapprochées en apportant le soutien de leur artillerie à l’assaut du 6 juin matin. Quatorze de ceux-ci étaient des « Hunt », une série de 66 destroyers sortis des chantiers britanniques, dont le seul sous pavillon français fut La Combattante qui était du type III, le plus récent. Elle déplaçait 1 500 tonnes à pleine charge, dépassait 27 nœuds. Son armement consistait en deux tourelles doubles de 102 mm tirant chacune 20 coups/minute, un affût quadruple et un affût simple (à l’étrave) de « Pompom », canons automatiques d’environ 40 mm, trois affûts doubles Oerlikon de 20 mm, deux tubes lance-torpilles jumelés, deux grenadeurs, quatre mortiers lance-grenades et une centaine de grenades contre sous-marins. Elle était équipée de trois radars (veille surface, veille aérienne et artillerie) et d’un asdic. Ses bonnes qualités évolutives et le champ de vision quasi-total de sa passerelle entièrement découverte, dont le personnel était protégé des embruns par des déflecteurs bien étudiés, trouvaient tout leur prix dans des engagements de nuit à courte distance. C’était pour l’époque un remarquable bâtiment de combat, à l’aise dans des mers étroites comme la Manche et la partie sud de la mer du Nord.
De Gaulle monte à bord
Au retour d’une patrouille de nuit, La Combattante eut la surprise de voir monter à bord le 14 juin 1944, vers 9 heures, le général de Gaulle qui était devenu le président du gouvernement provisoire de la République formé à Alger le 3 et qu’accompagnaient une quinzaine de personnalités et officiers.
Il s’agissait bien entendu de l’amener en France.
Comme un mois plus tôt il avait cité La Combattante à l’ordre de l’Armée de mer, il prit la peine, à l’arrivée au mouillage devant Courseulles vers 13 heures, de participer à une brève cérémonie sur la plage avant.
« Votre bateau est désormais un bateau historique ; vous entrez dans l’Histoire avec lui » dit-il avant d’épingler sur la poitrine du capitaine de corvette Patou la croix de guerre avec palme que lui valait cette citation.
<pstyle= »text-align: justify; »= » »>Il regagna ensuite la terre par un chaland de débarquement, puis par un véhicule amphibie DUKW, retrouvant ainsi avec le sable de la plage le sol de France quitté quatre ans auparavant. Après s’être entretenu avec le général Montgomery au PC de celui-ci, il reprit la route dans la Jeep conduite par le major écossais Sanderson pour visiter Bayeux, Isigny et Grandcamp, où les populations lui firent un accueil chaleureux.
La Combattante, qu’il avait regagnée au coucher du soleil, le ramenait à Portsmouth le lendemain matin vers 9 h 45.
La fin de La Combattante
Il avait été initialement prévu que trois destroyers de la série « Hunt » type III, en cours de construction en Grande-Bretagne en 1942, prendraient armement sous pavillon français. Le premier devait rester le seul. Construit à Glasgow, il reçut le 15 décembre, lors de son transfert aux Forces Navales Françaises Libres, un nom évocateur de « la France Combattante ». Après essais et entraînement en Écosse et à Scapa Flow, La Combattante opéra sous commandement britannique en Manche, avec base à Portsmouth, de mars 1943 à septembre 1944, puis en mer du Nord, avec base à Sheerness. Ses actions en Manche lui valurent deux citations à l’ordre de l’Armée de mer :
L’une après deux engagements de nuit, en avril et mai 1944, avec des « Schnellboote » allemands (vedettes lance-torpilles très rapides, mouillant aussi des mines), au cours desquels elle en avait endommagé plusieurs et, succès exceptionnel, réussi à en couler deux, le S 147 puis le S 141.
L’autre après deux sévères engagements ; fin août contre des convois allemands fortement escortés longeant de nuit, sous la protection de batteries terrestres, la côte entre La Hève et Fécamp, au cours desquels elle avait détruit quatre bâtiments ennemis et endommagé un autre.
En mer du Nord, elle avait notamment participé à l’escorte des convois d’Anvers, devenu en novembre port de ravitaillement des armées alliées.
Peu après un séjour, pour permissions, à Brest, seul port français où elle soit entrée, elle trouvait sa fin au cours d’une patrouille au large de la côte est d’Angleterre dans la nuit du 23 février 1945, victime d’une violente explosion sous-marine qui l’avait coupée en deux ; celle de la mine d’un champ de mines mouillées par des « Schnellboote », et non pas celle de la torpille d’un sous-marin de poche, selon une version erronée répandue par de nombreux auteurs. Avec elle disparaissaient 67 hommes, dont deux Anglais de l’équipe de liaison.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 287, 3e trimestre 1994.