Le colonel Conus

Le colonel Conus

Le colonel Conus

Compagnon de la Libération – chevalier de la Légion d’honneur

conus
Conus (RFL).

Passionné de la France et de l’action, Conus, en Afrique équatoriale où son talent d’ingénieur merveilleusement adapté à la colonie créait inlassablement, rallie en 1940 les Forces françaises libres naissantes, ne concevant même pas que les armes puissent être déposées tant qu’il y aurait un Français vivant.

Versé au 2e bataillon de marche, il se trouve en 1941 en Syrie ; son courage et ses exploits à la tête d’un groupe franc, – les commandos de l’époque – le rendent vite fameux.

En mai 1942, en Libye, l’ingénieur reparaît : sur le « Bren Carrier » britannique, Conus a l’idée de monter l’excellent canon de 25 mm français, transformant ce paisible véhicule chenillé en un engin redoutable qui au cours d’incessantes patrouilles causera de gros dommages aux véhicules adverses.

À Bir-Hakeim à la tête de sa section de « Bren Carrier » ainsi équipés, Conus brisera tous les assauts blindés qu’il recevra dans son secteur au cours de duels démoniaques funestes à l’Allemand.

Pendant la sortie nocturne de vive force, un antichar détruit sous lui son engin et lui vaut une blessure à l’épaule.

Cette glorieuse bataille à peine achevée, Conus se remet à créer. C’est ainsi qu’il met au point son auto canon, le « Conus Gun ». Il s’agit cette fois d’un 75 français monté sur un châssis de camion, lui donnant ainsi la mobilité extrême qui lui permet de s’intégrer à toutes les patrouilles motorisées. D’El-Alamein à la Tunisie deux pelotons de ces autocanons infligent aux blindés et véhicules nazis des pertes considérables.

Une seconde blessure marque pour lui la fin de cette campagne de Tunisie.

Après une brève convalescence il rejoint, en Angleterre, les parachutistes, toujours avide d’une vie encore plus intense, plus entièrement encore au service de la France.

Après trois années en effet passées à combattre au grand jour, Conus est maintenant invinciblement attiré par ceux qui, en France occupée, opposent à l’occupant la résistance souterraine que l’on sait, dans la fiévreuse attente de débarquement.

Sous le pseudo du capitaine Volume, il est en juillet 1944 parachuté dans l’Ain et rejoint le Vercors.

Volontaire pour une folle mission de liaison avec le maquis de l’Oisans, Conus au cours d’un rapport pathétique en retrace les dramatiques épisodes :

« Le 21 juillet, le Vercors était entièrement encerclé et d’après les renseignements parvenus au P.C., on pouvait déjà se rendre compte qu’il ne s’agissait pas seulement d’une opération ayant pour but de dégager les itinéraires, mais d’une attaque en force par plus de 30.000 Allemands.

« Le lieutenant-colonel Hervieux, commandant la défense du Vercors, demande un officier pour faire une liaison avec le « maquis » de l’Oisans, afin de les mettre au courant de cette menace et préparer leur participation au combat.

« Je me propose pour effectuer cette mission.

« Tout à coup, au moment où nous nous approchons du pont de la Greshe, à l’entrée du village, des balles sifflent tout autour de nous et bientôt nous sommes complètement encerclés par un détachement allemand. Impossible de fuir, nous sommes prisonniers.

« Après quelques hésitations, les soldats nous conduisent à leur officier, qui observe à notre égard une attitude correcte. Mais il nous apprend qu’il va nous remettre entre les mains de la police allemande qui vient justement d’arriver dans le village.

« Après nous avoir fortement brutalisés, les policiers procèdent à une fouille minutieuse. J’avais sur moi 180.000 francs et une micro-photo du code secret de la radio, que je réussis heureusement à dissimuler entre deux doigts. Pendant une heure nous sommes ainsi malmenés et ces brutalités sont constamment accompagnées de cette question : « Tu viens d’Alger ou de Londres ? », suivie de menace de mort.

« Au cours d’un passage à tabac, je m’écroule sur le sol et réussis à enfouir le précieux code dans le gravier.

« On nous fait ensuite monter dans un car, accompagnés de trois jeunes gens ramassés également près de Saint-Guillaume. Nous sommes assis chacun sur une banquette distincte. Nos gardiens montent et nous démarrons en direction de Vif ; ainsi nous sommes conduits dans une ferme près de Saillants.

« On nous fait descendre et nous sommes alignés dans la cour.

« Pendant six heures, les boches nous frappent à coup de pieds, de talons, de poings ou de cannes.

« Estimant sans doute que j’étais le chef de cette expédition, ils me prennent à part et s’acharnent sur moi d’une façon toute particulière. C’est ainsi qu’ils me menacent constamment de me crever les yeux, et même tentent plusieurs fois de passer à exécution en jetant contre mon visage l’extrémité ferrée d’une canne de montagne. J’esquive les coups mais mon front porte encore l’empreinte de cette sauvagerie. Puis ils me déboîtent les épaules en me tenant fortement les coudes derrière le dos. Entre deux brutalités ils me répètent sans cesse cette éternelle question : « Es-tu de l’A.S. d’Alger ou de Londres ? » Je ne réponds pas.

« Vers 21 heures, on nous reconduit vers le car, après nous avoir retiré tout ce que nous possédons. Nous comprenons alors avec certitude que nous allons être fusillés. Quinze Allemands montent avec nous et nous conduisent sur la route de Saint-Guillaume, vers une ancienne cimenterie.

« On nous fait descendre de la voiture avec les brutalités habituelles. Nous nous réunissons autour de Jail, et au milieu des moqueries allemandes faisons à haute voix une courte et dernière prière.

« Jail demande ensuite pardon à Dieu et à nous tous. Les Allemands éclatent de rire : « les terroristes font toujours leur prière avant qu’on les fusille », disent-ils. Le lieutenant Foyard répond dignement : « nous ne sommes pas des terroristes ».

« Les Allemands nous font ensuite monter le long du ravin au fond duquel coule le torrent, et nous nous asseyons dans un pré, les uns à côté des autres, en silence.

« Le peloton d’exécution se met en place à 20 mètres de nous et nous restons sous la garde de cinq hommes. Le feldwebel s’avance et crie : « les deux premiers ». C’est le lieutenant Foyard et un jeune qui se trouvent ainsi désignés. Sans dire un mot ils se lèvent et, la tête haute, avec une dignité suprême, marchent vers le lieu d’exécution. Ils se mettent à genoux et sont aussitôt massacrés de dos par sept ou huit Allemands armés de pistolets ou de mitraillettes.

« Puis le feldwebel revient et dit : « deux autres ». C’est au tour de Jail et d’un second jeune. Jail se lève et emmène avec lui son malheureux camarade, leur attitude à tous deux est magnifique de simplicité, de grandeur et de résignation. On se sentait déjà dans l’irréel.

« Ils sont aussitôt fusillés dans les mêmes conditions.

« Pour moi, j’avais remarqué que le feldwebel, après avoir appelé ses victimes, relevait son pistolet. J’étais épuisé par la fatigue de ces Iongues heures de marche et par les mauvais traitements. Mes épaules déboitées me faisaient horriblement souffrir, mais j’étais résolu à tout risquer plutôt que de me laisser abattre comme un chien.

« Sur ma poitrine découverte, un Allemand aperçut une médaille. Il dit « catholique » avec un tel accent que je devine que mon gardien est d’origine russe. « Si tu crains Dieu, lui dis-je, rate-moi ». D’un signe il m’indique qu’il désavoue la barbarie allemande. « Ce n’est pas nous, dit-il, ce sont les Allemands. » Mais il est passif.

« Voici le Feldwebel qui revient : « les deux derniers », crie-t-il.

« Je fais semblant de me lever avec peine. Je serre violemment la main du dernier jeune qui était à mes côtés, un jeune de 17 ans. Le pauvre gosse ne comprend pas et avec résignation et étonnement attend la mort. Je surveille d’un coin de l’œil le revolver ; dès que celui-ci est levé, d’un bond, je m’élance de toutes mes forces sur le sous-officier, qui tire sans m’atteindre, je le bouscule et je parviens au bord du ravin, à 10 mètres de là, sous le feu des mitraillettes des soldats et du pistolet du feldwebel. Je saute dans l’à-pic, profond d’une dizaine de mètres. Un arbre, heureusement, amortit ma chute. Poursuivi par les coups de feu de tous les Allemands, qui commencent à descendre la pente, je traverse le torrent et commence à m’engager dans les buissons de l’autre rive. Je réussis à me dissimuler dans un trou parmi les ronciers, où je me recouvre de feuilles mortes, de terre et de boue.

« Après avoir cherché trop loin, les Allemands se forment en ligne et avancent en fouillant chaque mètre de terrain. Par deux fois le sous-officier passe près de moi sans déceler ma présence, grâce à la nuit tombante.

« Les hommes sont alors disposés en cercle autour de ma retraite, à quelques mètres les uns des autres. J’entends dire qu’ils vont aller chercher les chiens.

« Alors, dans la demi-clarté d’une nuit splendide, je décide de tenter le tout pour le tout. Je réussis à passer entre deux sentinelles, en direction du Sud-Est, vers l’Oisans. Je parviens au bord du Drac au début de l’après-midi du lendemain.

« Une vieille femme me rencontre, j’étais effrayant à voir : mon visage arraché par les coups allemands, par les épines, mes effets en lambeaux. Je suis aussitôt hébergé, soigné, nourri. Dans un petit village, je rencontre le curé. Il m’accueille et me conduit au passage du Drac. À 16 heures, je suis reçu par les F.F.I. qui me conduisent à l’officier commandant le secteur de la Mure et, de là, au commandant Bastide, à qui je fais mon rapport.

« Ma mission était exécutée. »

À peine remis, Conus reprend du service, se bat en Allemagne et après la capitulation vogue vers l’Indochine où il met sur pied son commando.

« Commando Conus » ce sont cinq syllabes qui sonnent très sèches, qui frappent dur, c’est une étiquette significative.

Vous les connaissez, ces gars au béret vert, ces garçons aux yeux clairs, aux mouvements rapides qui, pendant leur court séjour à Saïgon, entre deux opérations, animent la capitale cochinchinoise.

« Commando Conus », 30 hommes de guerre, 30 soldats de France.

À leur actif : quatre croix de la Libération, cinq Légions d’honneur, des médailles militaires, une centaine de citations sur les 30 croix de guerre, des décorations anglaises, américaines et, aussi, une cinquantaine de missions parachutées en France, en Allemagne, en Italie, en Hollande.

« Commando Conus », des hommes qui se sont battus depuis 1939, soit en France, soit en Afrique, soit en Europe, des gars qui ont obtenu leur récompense en prenant pied les premiers en conquérants et en libérateurs sur le sol de France, en vainqueurs sur le sol du boche.

Et ils continuent le combat. Ils avaient signé un engagement aux Forces françaises libres, jurant de n’abandonner les armes qu’une fois la grandeur de la France retrouvée : fidèles à leur serment, ils viennent terminer leur tâche : le retour de la souveraineté française en Indochine (1).

À Tay-Ninh, ils ont passé 15 jours, harcelant les rebelles, allant les chercher jusque dans leurs patrouilles nocturnes, le visage et les mains recouverts de noir de fumée, leur tendant des embuscades sur les routes, les pistes, les points de passage, servant volontiers d’appât pour attirer l’ennemi sur le gros de l’unité.

Fin mars 1946, Conus voit sa santé décliner de plus en plus, il continue cependant jusqu’à l’accomplissement des missions qui lui avaient été fixées. Après l’opération de Louang-Prabang, il revient à Saigon ; ses hommes, pour la plupart réservistes comme lui, sont démobilisés et rapatriés. Conus quitte l’Indochine au début de juillet pour revenir en France, où il se fait soigner. Sa santé s’améliore, et sans attendre un complet rétablissement, il part pour l’A.E.F. au mois de mai 1947.

Il reprend ses affaires en main et est nommé inspecteur des chasses pour l’A.E.F.

La maladie mine sournoisement cet homme qui, jusqu’ici a toujours été plus fort que les événements.

Elle le contraint même à rentrer à l’hôpital à Bangui. Croyant toujours à la guérison, il remet de semaine en semaine le retour en France, pourtant indispensable.

Parfaitement lucide, il se rend compte de son épuisement extrême et de la fin de sa carrière terrestre. Il reçoit dans des sentiments de piété extraordinaires les derniers sacrements et s’éteint paisiblement le 1er septembre.

Parmi tous les compagnons du général de Gaulle il fut l’un des meilleurs.

Puisse sa famille trouver ici l’expression de la peine profonde et de la sympathie de tous les Français libres.

*

Une assistance nombreuse avait pris part à la messe organisée par l’association à Saint-Louis-des-Invalides, le 5 octobre.

Au côté du général de Larminat, l’amiral Auboyneau, le général Landouzy, le général Eon, M. Yves Farge, M. Malbrant, député de l’Oubangui, le colonel de Guillebon, représentant le général Leclerc, le colonel Crespin, représentant le général du Vigier, le commandant Chavanac, représentant le général Kœnig, le colonel Huet et une délégation du maquis du Vercors, le colonel Bourgoin, le colonel de Boissoudy, un colonel parachutiste de l’armée britannique et nombre de ses compagnons d’armes du B.M.2 des spahis, des parachutistes et de son commando venus apporter l’ultime témoignage de la fidélité au colonel Conus.


(1) Caravelle.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 2, novembre 1947.