Christian Girard
Les fonctions d’aide de camp ne sont pas de tout repos. Elles requièrent les qualités qu’on attend d’un officier, mais bien d’autres encore portées au plus haut degré et d’autant plus qu’on est appelé à servir un homme hors du commun dans des circonstances difficiles.
Les impératifs de la hiérarchie – général d’un côté, simple lieutenant de l’autre – ne règlent pas tout. À de nombreux moments, il n’y a plus, au fond, de grade qui tienne, même si la subordination de l’un à l’autre est maintenue : deux hommes face à face, deux hommes côte à côte.
Tantôt confident, parfois souffre-douleur, l’aide de camp doit posséder une grande force de caractère, une totale maîtrise de soi, beaucoup de patience aussi, et la rapidité d’esprit qui permet d’apprécier immédiatement les situations.
Christian Girard avait toutes ces qualités, et d’autres.
Pendant près de trois ans, il occupa les fonctions d’aide de camp du général Leclerc, trois années bien remplies. Au départ, c’était évidemment à Girard de se plier à la personnalité du général. On peut penser que celui-ci fit quelque effort pour s’adapter au compagnon qu’il avait lui-même choisi. Il se trompait rarement sur les hommes. Dans le choix de son aide de camp, il ne s’était pas mépris.
Cette fonction demandait aussi du courage, tant le général Leclerc faisait fi des risques et s’exposait dangereusement en hasardant aussi la vie de son compagnon. Celui-ci dut, en certaines circonstances, le rappeler à la prudence et fut parfois entendu. Le général savait trop bien que, pour être vainqueur, il faut, il vaut mieux rester vivant.
On peut s’étonner que deux hommes si différents par leur milieu d’origine, leur tempérament profond, aient pu assez facilement s’accommoder l’un de l’autre.
– Le général était courtois et ouvert, a écrit Girard. Entre gens de bonne éducation, l’entente est toujours plus facile.
Philippe Leclerc de Hauteclocque était issu d’une longue lignée de hobereaux du Nord ; père de famille nombreuse, il était catholique pratiquant. C’était un rural qui aimait la nature et la chasse. Officier d’active, il avait, dès le plus jeune âge, voulu entrer à Saint-Cyr. Alors que C. Girard venait d’un milieu bourgeois et protestant parisien. Après des études de droit, il avait suivi les cours de Sciences-Po ; célibataire, il n’avait pas spécialement la fibre militaire.
S’ils se ressemblaient, c’est par une égale pudeur, la même délicatesse et une grande honnêteté intellectuelle. Pour autant, il faut chercher ailleurs les raisons de leur accord.
Tous deux avaient, dès juin 1940, franchi la ligne qui sépare la légalité de la rébellion, choisissant la voie hasardeuse et difficile de la France Libre. Christian Girard avait participé à la campagne de France d’abord au 6e Spahis, à la frontière luxembourgeoise, puis comme officier de liaison auprès de la 1re division blindée britannique. Après de durs combats, celle-ci avait dû se replier sur la Bretagne.
Sans une hésitation, le 17 juin 1940, après avoir entendu à Brest le discours du maréchal Pétain, il décide de rejoindre l’Angleterre. Il y parvient et se met à la disposition du général de Gaulle.
Le reste n’est qu’une suite de campagnes : Dakar, le Tchad (pendant près d’un an dans un groupe nomade), le Fezzan, la Tunisie, la France et l’Allemagne.
En juillet 1945, il demande au général Leclerc de lui rendre sa liberté. Le général savait ce qu’il devait à son plus fidèle compagnon. En le laissant partir, il lui remit une photo ainsi dédicacée :
– À mon cher Girard, aide de camp… adjoint… et ami ! Son assistance sans défaillance me permit d’atteindre le but. Nous avons trop combattu et pensé ensemble pour voir dans l’éloignement une séparation.
La mort du général en novembre 1947 devait pourtant les séparer trop tôt.
Jacques Herry
Extrait de la Revue de la France Libre, n°310, quatrième trimestre 2000.