Cérémonie à la mémoire du colonel Laurent-Champrosay à Saint-Gatien-des-Bois
Le 11 juillet à Saint-Gatien-des-Bois les anciens du 11e R.A. et de la 1re D.F.L. organisèrent une cérémonie à la mémoire du colonel Laurent-Champrosay. De nombreuses personnalités assistaient à cette manifestation ainsi qu’une délégation d’anciens du 1er R.A. composée du lieutenant-colonel Jonas, commandant Wybot, lieutenant Roumergue, lieutenant Biraut, lieutenant Compain, adjudant Lery et le 1er canonnier Verdier. On remarquait également M. Michaut, président de notre section du Calvados.
Avant de dévoiler la plaque commémorative apposée sur la maison natale du colonel Laurent-Champrosay, le général de Larminat a prononcé le discours suivant :
Le 19 juin 1944, dans le petit cimetière provisoire de San Lorenzo, le cœur serré, nous rendions les derniers devoirs au lieutenant-colonel Laurent-Champrosay, tombé la veille au champ d’honneur, à l’âge de 36 ans; commandeur de la Légion d’honneur, compagnon de la Libération, titulaire de dix citations.
Nous étions en opérations, le général Brosset, qui l’aimait comme un frère et devait disparaître quelques mois plus tard dans des conditions identiques, avait à peine eu le temps de lui dire adieu d’une voix enrouée d’émotions.
Dans notre peine, parmi nos soucis immédiats nous étions hantés par tant de souvenirs de cette marche à la libération entreprise quatre ans plus tard où Laurent-Champrosay avait joué un si grand rôle.
Je le revoyais capitaine sous l’Équateur en 1940, inventoriant avec quelque déception le commandement de l’artillerie de la brigade d’Orient que je lui confiais. Curieux commandement en vérité : deux pièces de 75 sans véhicules spéciaux, dépourvues de rechanges, peu dotées en munitions.
<C’est de cette pauvreté qu’il devait faire sortir la puissance, de cette faiblesse, les victoires.
D’autres le revoyaient en Érythrée et en Syrie, improvisant des batteries en récupérant matériel et personnel sous le feu, – à Bir-Hakeim, âme de la défense – en Italie, maître du maniement d’une puissante artillerie divisionnaire. Partout s’affirmant comme un prince du combat et de l’artillerie.
Laurent-Champrosay fut un homme exceptionnel et prestigieux. Au physique comme au moral, c’était une lame d’épée de la plus fine trempe. Très vigoureux et résistant, dévoré de la passion de servir, d’une haute intelligence nourrie d’étude et de méditation d’une énergie inflexible, il était aussi un chrétien sincère appuyé sur de puissantes assises morales. Il était un chef militaire hors de pair, aussi scrupuleux dans la préparation que foudroyant dans l’action. Il était surtout le modèle de l’artilleur de campagne moderne, celui qui sait utiliser toutes les ressources des matériels et des techniques pour faire de ces rebuts l’instrument immédiat et toujours présent du combat de première ligne, sur tous les points du front, tout en conservant la souplesse voulue pour réaliser des concentrations instantanées, massives et foudroyantes sur toute la profondeur du champ de bataille. La 1re D.F.L. garde à Laurent-Champrosay une reconnaissance éternelle non seulement de l’avoir royalement appuyée, mais aussi d’avoir formé des équipes qui, après sa mort, gardèrent ses leçons et son esprit.
(Le général de Larminat rappelle ensuite les épisodes de la carrière du lieutenant-colonel Laurent-Champrosay, en Érythrée, en Syrie, en Lybie, en Tunisie, puis évoque la réorganisation du 1er R.A. après la campagne de Tunisie.)
« La transformation du 1er R.A. en artillerie divisionnaire du type américain posait un problème ardu. Il y avait bien peu de divisions françaises réarmées, c’était une question de conscience de leur donner une totale efficacité. Brosset et moi nous demandions si notre jeune et ardente équipe d’artilleurs de la France Libre aurait toute la capacité voulue, et s’il ne convenait pas de faire appel à des éléments de l’armée d’Afrique, Laurent-Champrosay lui-même nous tira d’embarras : « Je réponds de tout avec mon équipe » nous dit-il ! Et certes il justifie magnifiquement la confiance qui lui fut faite.
« C’est au cours de cette période d’entraînement en Tunisie que se place un événement d’ordre privé qui devait donner toute sa plénitude au destin de ce héros. Laurent-Champrosay se marie et connaît les joies d’un grand amour partagé. Et quand il tombe quelques mois plus tard, c’est dans la double exaltation de la victoire et d’un grand bonheur intime.
« Que celle qui lui a donné ces joies en soit remerciée, et qu’elle trouve dans le souvenir du bonheur ainsi dispensé un réconfort et un apaisement. »
(Le général de Larminat évoque ensuite les magnifiques pages de la compagne d’Italie, du Garigliano à Rome, puis Radicofani, les circonstances de la mort du lieutenant-colonel Laurent-Champrosay.)
« En mourant, il léguait un exemple et une leçon qui ne doivent pas être perdus.
« Il est bon qu’en ce lieu qui a connu son enfance, son adolescence, son âge d’homme, où ont vécu et sont morts ses parents, où vivent ses sœurs, où reviennent fidèlement sa veuve et sa fille, il est bon qu’en ce lieu une inscription fixe son souvenir, comme d’autres devront le faire en d’autres lieux moins intimes. »
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 21, septembre-octobre 1949.