Bir-Hakeim vu par Rommel
Le texte que nous reproduisons ci-dessous est extrait de « La guerre sans haine », par le maréchal Rommel, carnets présentés par L.-B. Liddel-Hart, et paru aux Éditions Amiot-Dumont.
Deux tomes : 1. Les années de victoire. 2. Les années de défaite.
1er juin 1942
Got El Oualeb étant tombé, Bir-Hakeim devait être investi et attaqué le lendemain 2 juin. Des groupes britanniques et français en partaient pour de continuels coups de main sur nos lignes de communication. Il fallait y mettre fin.
Encerclement de Bir-Hakeim
Dans la nuit du 1er au 2 juin, la 90e division légère et la division Trieste avancèrent en direction de Bir-Hakeim. Après que ces deux unités eurent franchi, sans pertes notables, les champs de mines, l’encerclement du point d’appui fut complété par l’Est.
Une invitation à se rendre, portée aux assiégés par nos parlementaires, ayant été repoussée, l’attaque fut lancée vers midi, menée du Nord-Est par la division Trieste, et du Sud-Est par la 90e légère, contre les fortifications, les positions et les champs de mines, établis par les troupes françaises. La bataille commença par une préparation d’artillerie ; elle devait se poursuivre dix jours durant avec une violence peu commune. Pendant cette période, j’assumai moi-même, à plusieurs reprises, le commandement des troupes assaillantes. Sur le théâtre d’opérations africain, j’ai rarement vu combat plus acharné. Les Français disposaient de positions remarquablement aménagées ; ils utilisaient des trous individuels, des blockhaus, des emplacements de mitrailleuses et de canons antichars ; toutes étaient entourées d’une large ceinture de mines. Les retranchements de cette sorte protègent admirablement contre le bombardement par obus et les attaques aériennes : un coup au but risque tout au plus de détruire un trou individuel. Aussi pour infliger des pertes notables à un adversaire disposant de pareilles positions, est-il indispensable de ne pas lésiner sur les munitions.
La principale difficulté consistait à ouvrir des brèches dans les champs de mines, sous le feu des troupes françaises. Au prix de pertes importantes, les soldats du génie accomplirent cette tâche surhumaine. Protégés par des écrans de fumée et par l’artillerie, ils durent, par endroits, creuser des sapes pour parvenir jusqu’aux mines… C’est à eux, en grande partie, que nous fûmes redevables du succès.
Premiers assauts contre la forteresse
Appuyés par les attaques continues de l’aviation – entre le 2 et le 11 juin, jour de la prise des dernières positions françaises, la Luftwaffe exécuta 1.300 attaques : contre Bir-Hakeim – les groupes d’assaut, composés de troupes appartenant à diverses armes et prélevés sur différentes unités, engagèrent l’action au Nord et au Sud. Mais chaque fois, l’assaut était stoppé dans les fortifications remarquablement établies par les Français. Chose curieuse, le gros des troupes anglaises s’abstint d’intervenir pendant les premiers jours de l’offensive lancée contre Bir-Hakeim. Seule, la division Ariete fut attaquée le 2 juin, mais elle opposa à l’assaillant une résistance opiniâtre. Après une contre-attaque exécutée par la 21e Panzer, la situation se stabilisa.
Le général Rommel expose ensuite comment au cours des journées des 3, 4 et 5 juin, il brisa une contre-offensive anglo-indienne en attaquant lui-même les adversaires près de Knighisbridge.
Sous le feu des Français
Nous n’avions plus à craindre de voir les Britanniques lancer d’importantes attaques de diversion contre nos forces qui investissaient Bir-Hakeim, et nous espérions poursuivre notre assaut contre la forteresse, sans risquer d’être dérangés.
L’activité déployée par nos troupes devant les fortifications françaises s’était trouvée temporairement réduite. Le 6 juin, à 11 heures, la 90e légère partit de nouveau à l’assaut des troupes commandées par le général Kœnig. Les pointes avancées parvinrent à 800 mètres du fort, puis l’offensive s’arrêta. Le terrain caillouteux, n’offrait aucune possibilité de camouflage et le feu violent des Français ouvrait des brèches dans nos rangs. Dans la soirée, l’assaut fut interrompu pendant que l’encerclement se resserrait autour du point d’appui. De faibles attaques de dégagement lancées par la 71e brigade motorisée britannique contre notre 90e légère, furent repoussées.
Au cours de la nuit du 6 au 7 juin, dans le secteur occupé par cette dernière unité, nous réussîmes à ouvrir des couloirs dans les champs de mines, et à la faveur de l’obscurité, les groupes d’assaut parvinrent à distance d’attaque. L’ouvrage fut soumis à un sévère bombardement par l’artillerie et l’aviation et, le 7 juin au matin, l’infanterie repartit à l’assaut.
Malgré son mordant, cet assaut fut stoppé par le feu de toutes les armes dont disposaient les encerclés. Ce n’est qu’au Nord de Bir-Hakeim que les groupes de combat réussirent quelques pénétrations dans le dispositif ennemi. C’était un admirable exploit de la part des défenseurs qui, entre temps, s’étaient trouvés totalement isolés. Le 8 juin, l’attaque se poursuivit. Pendant toute la nuit, nous n’avions cessé de lâcher des fusées et de battre les positions de défense avec nos mitrailleuses pour empêcher les Français de prendre du repos. Et pourtant, le lendemain, lorsque mes troupes repartirent, elles furent accueillies par un feu violent, dont l’intensité n’avait pas diminué depuis la veille. L’adversaire se terrait dans ses trous individuels, et restait invisible.
Le 9 juin, je fis appel à une unité de l’Afrika-Korps pour appuyer l’attaque contre Bir-Hakeim. Une nouvelle fois, dans le petit matin, les vagues de notre infanterie s’élancèrent contre les fortifications françaises. Vers midi, la 90e légère qui, jusqu’ici, avait soutenu avec ses armes lourdes la progression des groupes de combat, au Nord et au Sud de la forteresse, se joignit à l’assaut. En dépit des pertes importantes, exposée constamment au feu des Français qui luttaient avec l’énergie du désespoir, l’unité de tête parvint vers 8 heures du soir, à 200 mètres du fort de Bir-Hakeim. Ce jour-là, le général Ritchie lança, au Sud de Bir-Hakeim, une faible attaque de diversion contre les éléments protégeant le flanc de la 90e légère. Aux côtés de détachements, motorisés, il engagea une section de chars appartenant à la 4e brigade blindée. Nous n’eûmes aucune difficulté à les repousser.
Kesselring s’impatiente
Entre temps, des divergences de vues s’étaient produites entre Kesselring et moi. Kesselring critiquait violemment la lenteur du déroulement de notre offensive contre les troupes françaises. Le fait que des escadrilles de la Luftwaffe devaient continuellement survoler Bir-Hakeim, où elles subissaient des pertes importantes (en un seul jour, la R.A.F. avait abattu près de 40 Stuka), provoquait sa colère, Kesselring exigea le déclenchement immédiat d’une offensive de grand style, appuyée par la totalité des forces blindées. Or, c’était là une impossibilité ; les chars ne pouvaient être utilisés dans les champs de mines truffés de points d’appui. En outre, il était à prévoir que, dans ce cas, le général Richie agirait sur un autre point du front. Une mesure de ce genre aurait conduit droit à une catastrophe. Nous apaisâmes Kesselring ; de toute évidence, il ne pouvait se rendre compte des difficultés que nous avions à vaincre.
Succès imprévu de la sortie de Kœnig
Finalement, le 10 juin, c’est-à-dire le lendemain, le groupe de choc de l’Afrika-Korps, commandé par le colonel Baade, réussit à pénétrer profondément dans les positions principales de l’adversaire, au Nord de Bir-Hakeim. Les Français défendirent désespérément chaque nid de résistance subissant des pertes extraordinairement lourdes. Cette percée rendait la position intenable ; nous nous attendions à ce que l’ennemi procédât à des attaques de soutien, depuis l’extérieur, afin de faciliter une éventuelle sortie des troupes encerclées. Certains éléments de la 7e brigade motorisée britannique qui, ainsi que je l’ai déjà dit, s’efforçaient de troubler l’acheminement de nos renforts, avaient été aperçus par nos reconnaissances alors qu’ils se dirigeaient vers Bir-Hakeim. Afin de parer à toute éventualité, j’ordonnai à la 15e Panzer de rejoindre Bir-Hakeim. Le lendemain la garnison française devait recevoir le coup de grâce. Malheureusement pour nous, les Français n’attendirent pas. En dépit des mesures de sécurité que nous avions prises, ils réussirent à quitter la forteresse, commandés par leur chef, le général Kœnig, et à sauver une partie importante de leurs effectifs. À la faveur de l’obscurité, ils s’échappèrent vers l’Ouest et rejoignirent la 71e brigade anglaise. Plus tard, on constata qu’à l’endroit où s’était opérée cette sortie, l’encerclement n’avait pas été réalisé conformément aux ordres reçus.
Une fois de plus, la preuve était faite qu’un chef décidé à ne pas jeter le fusil après la mire, à la première occasion, peut réaliser des miracles, même si la situation est apparemment désespérée.
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Extrait de la Revue de la France Libre, n° 56, mars 1953.