À Bir-Hakeim – novembre 1955
Notre numéro de décembre 1955 a publié une relation du pèlerinage national à Bir-Hakeim.
Le 2 novembre, sur la position elle-même, le colonel Saint-Hillier a fait une relation des combats qui s’y sont déroulés et nous sommes heureux de la publier dans ces colonnes.
Mes chers Amis,
Nous allons évoquer ensemble la vie menée à Bir-Hakeim pendant cinq mois par la 1re Brigade Française Libre.
Le général nous a dit à Marseille que les « Free French » d’ici ne formaient qu’un seul corps, un tout bien soudé, partageant les mêmes instants pénibles ou heureux. Donc si vous le voulez bien nous répartirons l’honneur entre tous ; aucun nom ne sera cité, il y en aurait trop.
Dans la première partie de cet exposé nous situerons la bataille de Bir-Hakeim dans l’ensemble du conflit mondial. Puis le séjour en jock column et les phases du siège seront brièvement rappelés. Enfin la dernière partie rappellera les répercussions que ce combat eut par la suite sur le déroulement de la guerre.
Nous sommes à la fin du printemps 1942, phase la plus critique de la guerre, les Alliés sont battus partout.
– En Extrême-Orient, les Japonais sont vainqueurs et menacent les Indes après avoir occupé Hong Kong, le Siam, la Malaisie et la majeure partie des Indes néerlandaises. Leur flotte est encore maîtresse de la mer.
– Sur le front de Russie, les Allemands viennent de bloquer la tentative russe de rupture du front. Ils foncent sur la Crimée avec des forces quatre fois plus importantes que celles de leurs adversaires.
Staline, hargneux, réclame du matériel et envoie Molotov à Londres puis à Washington pour exiger l’ouverture d’un second front.
De plus la route de l’Arctique que les Britanniques utilisent pour l’envoi de matériel est définitivement coupée.
– En Méditerranée les Germano-Italiens écrasent Malte sous les bombes. L’île est dans une situation désespérée. Les Britanniques sont contraints de passer par le cap de Bonne Espérance.
Heureusement la France Libre leur donne la route aérienne du Tchad, « artère nourricière » qui permet un courant ininterrompu d’avions vers la bataille du Moyen-Orient.
– La Royal Navy vient de perdre en six mois six de ses plus grosses unités : le porte-avions Ark Royal et les cuirassés Barham, Repulse, Prince of Wales, Valiant, Queen Elisabeth.
– En Libye Rommel est vainqueur. Il a reconduit Auchinleck de Benghasi jusqu’à cette ligne de Gazala-Bir-Hakeim où nous sommes. Ceci grâce d’ailleurs aux vivres et au matériel puisés en Afrique française du Nord et aux renforts venus par les eaux territoriales tunisiennes.
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La ligne Gazala-Bir-Hakeim est en Libye à quelques kilomètres de l’Égypte. Vous avez vu ce plateau désertique dominant de façon abrupte la mer ; il est coupé par quelques lits desséchés d’ouadis utilisés par les caravanes (Halfaya pass – Halfway house – Sofafi).
Trois mille six cents Free French font partie de l’armée Ritchie qui a encore la supériorité numérique sur Rommel : 742 chars contre 570, 125.000 hommes contre 113.000, 700 avions contre 500, 500 canons contre 350.
Le front qui, depuis Gazala s’étend sur 70 Kilomètres jusqu’à Bir-Hakeim n’est occupé par l’armée Ritchie qu’à ses deux extrémités. Au nord, près de Gazala, les divisions Sud-Africaine et 50e division britannique sont en ligne couvrant les éléments blindés réunis en réserve d’armée. Au sud la 1re Brigade Française à Bir-Hakeim, flanquée au nord par la 150e brigade britannique puis, à partir du 26 mai, par la 3e brigade hindoue, à quelques kilomètres au sud-ouest.
Ce dispositif garde Tobrouk qu’occupe la 2e division Sud-Africaine.
De larges champs de mines continus sur plus de 100 kilomètres forment un V qui va de Gazala à Bir-Hakeim puis remonte par sa branche Est jusqu’à Knightsbridge. En tout quatre millions de mines.
En face, le dispositif germano-italien est sensiblement symétrique mais entièrement massé au nord.
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Mais il est temps de présenter les Français Libres de la garnison.
Ils sont venus de partout et par tous les moyens. Ils sont de toutes confessions, de toutes opinions, de toutes professions civiles et il y a aussi des militaires.
En résumé, ce sont des volontaires, les soldats d’un même idéal.
Il y a des résistants évadés de France qui ont traversé la Manche ou bien ont connu les prisons espagnoles ; il y a des combattants de 1940, des volontaires de toute la France d’outre-mer et de tous les pays étrangers. On remarque en outre un nombre important de volontaires venus des troupes qui s’étaient opposées à nous en Syrie ; un hommage particulier doit leur être rendu ici, car ils ont permis par leur présence ce combat.
Auprès des légionnaires de la 13e Demi-Brigade de Légion Étrangère on voit les Français du Bataillon d’Infanterie de Marine et des fusiliers marins, ceux des îles du Pacifique forment le B.P.1 ; nos coloniaux de l’Oubangui sont réunis dans une famille groupant colons, officiers, missionnaires, hommes des tribus avec leurs sorciers, au sein du B.M.2 ; nos glorieux Nord-Africains sont présents au 22e B.M.N.A. et au génie qui compte en outre quelques Libanais ; Sénégalais, Congolais et Malgaches forment le 1er Régiment d’Artillerie. Sans oublier nos transmetteurs, nos soldats du train qui nous ont ravitaillés puis recueillis, nos soldats des services : santé, intendance, parc d’artillerie.
Dans une synthèse glorieuse on rencontre toute l’union française y compris des Hindous et des Indochinois. Une mention particulière est à faire de nos Alliés britanniques présents à la liaison et dans une batterie de D.C.A. et de ces volontaires de l’île Maurice qui, ne parlant que le français, servent à l’artillerie dans nos rangs.
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La vie que tout ce monde mène dans Bir-Hakeim est rude : travail harassant de fortifications, pose de mines, instruction technique, un concours de tir vient même d’avoir lieu. Les trous s’approfondissent, la vie s’organise. Mais il n’y a pas de distractions, juste quelques postes de T.S.F. et des jeux de cartes. Comme boisson, de l’eau et du thé, parfois une boîte de bière, une fois par mois et par section une bouteille de gin ou de whisky.
Heureusement les jocks columns imposées par les circonstances nous apportent un peu d’imprévu. Il s’agit moins en effet d’aguerrir les hommes que d’attirer sur nous les bombardiers ennemis qui pilonnent Malte. Depuis février, Churchill presse Auchinleck d’agir pour soulager l’île dont la situation est désespérée.
Les unes après les autres, nos formations sillonnent le désert vers l’ouest dans des groupements où fantassins, artilleurs, « DCistes », sapeurs et transmetteurs, étroitement unis, vont de jour harceler l’ennemi, se formant en carré (le lägen) pour la nuit, ou s’évanouissant dans l’ombre. Le tableau de chasse en véhicules sautant sur les mines, les chars détruits au canon, avions abattus, prisonniers enlevés de nuit endormis dans leurs trous montre l’imagination fertile et l’émulation qui nous animent. Sur les ondes le « code omoplate » envoie la preuve de notre bon esprit français. Il est regrettable, enfin, que nos épouses ne puissent goûter ici, les salades et les escargots qui viennent égayer nos menus.
Avions-nous des soucis ? Par pudeur nous les gardions pour nous, chacun ne montrait que celui de mieux servir. L’eau était le seul que nous partagions. Un puits, le Bir de Hakeim, asséché dès le premier jour, ne contenait plus guère que deux corps d’Italiens. Pour satisfaire nos besoins principaux, le train et les spearettes amenaient quotidiennement des citernes depuis Tobrouk. Enfin une réserve en bidons de 200 litres était constituée en prévision d’un siège.
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En face de nous Rommel se prépare ; il écrit dans ses carnets : « c’est maintenant ou jamais… ». L’expérience lui a prouvé que les décisions les plus audacieuses assurent les plus belles promesses de victoire. Mais quels sont ses projets ? Trompant les Alliés sur ses intentions par un combat frontal dans le Nord, il va avec tous ses blindés contourner par le Sud la position que nous défendons. Il compte ensuite détruire les chars anglais vers Knightsbridge et prendre à revers les divisions en ligne à l’Est de Gazala.
Et maintenant nous voici à Bir-Hakeim. Cette position se présente en gros comme une circonférence de 3 kilomètres de diamètre dont le centre situé dans une légère dépression est occupé par le Q.G. et les services. Le P.C. était sur le rebord ouest de cette dépression.
Alentour, les divers bataillons s’échelonnent au long d’un cercle de mines qui les protègent.
Ici où nous sommes, le point d’appui cerclé de mines ou « pill-box » du fort qu’occupait une compagnie du B.P.1. Au nord de nous le « pill-box des deux mamelles » occupé par la compagnie du B.M.2. Entre les deux points d’appui et formant une ligne continue, la compagnie du B.P., la compagnie du B.M.2 ; tel est le front que nous présentons face à l’ouest.
Le point d’appui « Est » est tenu par la 5e compagnie du 2e bataillon de Légion de la 13e Demi-Brigade. Sa liaison est assurée avec le « pill-box » du B.M.2 par la compagnie du B.M.2 et la 6e compagnie de Légion disposées face au nord, dans l’intérieur du V de mines. Entre les points d’appui est et sud-ouest la 7e compagnie de Légion et la compagnie du B.P.1.
Un peu en arrière, les quatre batteries d’artillerie de 75 étaient réparties prêtes à faire converger à tous moments leurs feux : première batterie derrière le B.P.1, deuxième batterie en appui du B.M.2, en position au sud de la 6e compagnie de Légion, les deux autres batteries, la troisième au nord et la quatrième face au sud-est.
Auprès de chacune de ces batteries, une batterie de D.C.A. ; trois servies par nos fusiliers marins, la quatrième derrière le B.P.1 servie par les instructeurs britanniques regroupés. En réserve, le 3e bataillon de Légion placé à la jonction entre les B.M.2 et B.P.1, la 22e compagnie nord-africaine au sud du Q.G. Enfin le B.I.M. qui n’avait pas voulu rester en Syrie avait donné deux compagnies de reconnaissance sur Morris avec ses « derviches » (canons antichars montés sur camionnette) aux B.P.1 et 3e B.L.E. Une dernière compagnie du B.I.M. équipée en antichars renforçait notre défense face à l’ouest et au sud-est.
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Depuis le 23 mai, les hommes étaient prévenus qu’une attaque allemande était imminente.
Le 26 mai, deux colonnes ennemies sont signalées. Elles se dirigent vers l’est venant de Rotunda Signali.
Le 27 mai, à 10 heures, 70 chars environ de la division italienne Ariete foncent sur le point d’appui sud-est. Les fantassins qui devaient les accompagner ont été surpris au débarquement des camions par le tir fusant de nos artilleurs. Ils ne prendront pas part à l’attaque.
En une demi-heure, 33 chars sont immobilisés par les mines, le tir de nos canons d’artillerie et celui des canons antichars des 2e bataillon de Légion, B.I.M. et B.P.1 qui convergent en ce point.
Trente-deux chars se replient en tirant, six pénètrent dans la position et sont détruits, un contourne le nord et est détruit par le B.M.2.
Nous avons fait 76 prisonniers dont le colonel commandant l’assaut qui a changé trois fois de char pour arriver jusqu’à nous.
La première journée est un succès. Nos pertes sont minimes.
Puis blindés anglais et allemands s’affrontent les jours qui suivent dans le secteur de Knightsbridge. La brigade ne reste pas inactive et prend sa part du combat en attaquant les véhicules isolés, les convois de ravitaillement ou de réparation qui passent à sa portée soit dans le sud et l’est, soit dans le V de mines au nord. Aussi, le 31 mai, pouvons-nous renvoyer sur l’arrière avec nos premiers blessés, 260 prisonniers italiens et allemands, 680 Hindous recueillis dans le sud et faire état de 20 véhicules, six automitrailleuses, huit nouveaux chars capturés ou détruits de façon certaine. Bien d’autres encore ont dû souffrir de nos tirs.
La situation de Rommel devient critique. À court de ravitaillement, ayant subi de fortes pertes en chars, il commence sa retraite utilisant une brèche que la division italienne Trieste a ouverte dans le champ de mines à l’emplacement où la 150e brigade anglaise a été détruite.
La retraite s’accélère le 31 mai sous les coups de la R.A.F. qui pilonne la brèche. L’ordre est donné à la brigade de couper la route de l’ennemi, à Rotunda Signali. Le B.P.1 se porte sur ce point pendant que la R.A.F. plaque ses coups sur Derna.
Mais Rommel se ressaisit, met de l’ordre dans ses unités que n’assaille plus l’aviation, trouve du ravitaillement sur ses anciennes positions et reprend l’offensive.
Le deuxième acte du siège commence, ouvert par quatre bombardements de chacun 12 à 15 Stuka, dans la journée du 1er juin. L’investissement de Bir-Hakeim est à peu près réalisé le 2 juin.
Ce jour-là deux parlementaires viennent proposer la reddition sans condition au « général grand vainqueur de Libye » nous menaçant d’être exterminés. Au refus du général répond un bombardement par obus de 105.
Le lendemain seulement nous récupérons le B.P.1 qui rentre dans la position malgré l’attaque de 12 Messerschmitt dont quatre sont d’ailleurs abattus par les fusiliers marins qui accompagnaient le bataillon.
Du 3 juin au 10 juin, la situation ne change que pour empirer. Les bombardements d’artillerie et d’aviation se succèdent. Aux éclatements du 105 se mêlent maintenant ceux du 210. Nos artilleurs et nos fusiliers marins tirent sans arrêt.
Les faits marquants de ces journées sont, le 3 juin, l’intervention de la chasse anglaise contre les Stuka qui nous assaillent. Un chasseur sud-africain atterrit dans la position puis, réparé, réussit à décoller.
Le 4 juin, un ravitaillement en obus de D.C.A.
Le 5 juin, nouvel ultimatum, nouveau refus, nouvelle canonnade de répression longue d’une heure.
Le 6 juin, enfin, il y a du nouveau. Deux bataillons allemands attaquent le B.P.1 et sont stoppés. Leurs ambulances avec drapeau blanc s’affairent ensuite à ramasser blessés et morts.
Au 7 juin, nous n’avons plus qu’une journée de vivres et d’eau lorsqu’un convoi réussit à franchir les lignes allemandes accompagné d’ailleurs de nombreux coups de canon.
Le temps se met à son tour du côté de nos adversaires : les matinées sont fraîches et une brume épaisse cache les mouvements de ceux qui nous enserrent de plus en plus.
Il y a en face de nous une artillerie nombreuse, une quinzaine de groupes environ, une vingtaine de chars, plus de deux divisions d’infanterie, tous les sapeurs d’assaut de Rommel ; et chaque jour nous recevons la visite de cent bombardiers.
Tels sont les effectifs qu’immobilisent 3.600 Français libres. Par contre, les Britanniques ont pu déjà engager dans la bataille des renforts venus d’Irak, d’autres encore sont en route venant de Syrie. Alertée à chaque raid d’aviation, la R.A.F. prend en chasse et détruit de nombreux bombardiers.
Mais Rommel s’impatiente. Il fait venir de nouveaux chars, des unités fraîches, et le 8 juin prend en personne la tête de l’attaque.
À 10 heures, préparation générale de 45 minutes, attaque d’un bataillon d’infanterie avec six chars sur notre point d’appui nord-ouest. Elle est repoussée.
À 13 heures, nouvelle préparation. Le signal de l’assaut est donné par soixante bombardiers qui couvrent la position de bombes, de fumée, de poussière.
Attaque sur le B.P.1 au sud-ouest, assaut sur le B.M.2.
Sous le feu, la 22e compagnie nord-africaine se porte sur le nord-ouest que l’on croît entamé. Il n’en est rien. Nos lignes sont intactes. Un dernier assaut a lieu dans la soirée sur la face nord B.M.2 et 6e compagnie de Légion. Il est arrêté in extremis. Rommel a trouvé que le nord est notre point faible, la clef de la position, il va faire effort sur ce point.
Le même scénario se répète dans la journée du 9 juin, mais la 9e compagnie de Légion est venue dans la nuit relever une unité du B.M.2 très éprouvée. Le manque d’eau notamment fait cruellement souffrir les noirs de ce bataillon.
Et l’alternante préparation d’artillerie, bombardements d’aviation, attaque d’infanterie reprend et dure tout le jour. Au soir, l’Allemand est à moins de 200 mètres de nos mines sur tout le secteur sud-ouest-nord-ouest. Nulle part la position n’est entamée malgré les 188 avions qui, en trois fois, ont semé leurs bombes. Sous le feu, nos artilleurs tirent, debout à leurs pièces, sous la pluie de bombes, nos fusiliers marins ripostent.
Le 10 juin, les défenseurs sont harassés, un ravitaillement par air tenté de nuit n’a rien donné. L’ennemi aussi doit être fatigué, il tire dans le nord plus qu’il ne tente de progresser. Une heureuse intervention de la R.A.F. cloué au sol, en fin de matinée, un essai d’attaque plus marqué.
La journée ne se termine pas dans le calme. L’après-midi, les Allemands s’acharnent sur le nord, face à la compagnie de Légion située dans le dispositif du B.M.2.
Cent avions d’un seul coup déversent leurs bombes, l’attaque se produit enfin soutenue par des chars lourds. La lutte reprend au corps à corps et dure une heure. La position nord-ouest est entamée, une section aux deux tiers détruite et les survivants capturés. L’ennemi épuisé s’arrête.
Comme chaque jour depuis le 6, la position a encaissé plusieurs milliers d’obus.
Le soir tombe, mais 100 avions viennent encore lâcher leurs bombes.
Les défenseurs sont à bout de nerfs, il n’y a pratiquement plus de vivres et de munitions, l’eau est finie. La position ne peut plus tenir.
Le commandement a donné l’ordre d’évacuer Bir-Hakeim. « C’est pour cette nuit ». Nous devons nous ouvrir de vive force un passage vers le sud-ouest. Tout ce qui ne peut être emporté sera détruit, les paquetages lacérés, l’essence vidée sur le sable le tout sans feu.
Les officiers seront rasés pour être corrects.
Dans la nuit très noire, les véhicules se massent, les bataillons à pied commencent à passer pour prendre leur formation. Dans le passage déminé la colonne de véhicules s’engage.
Un poste allemand dans notre propre champ de mines lance une fusée. Les rafales lumineuses de mitrailleuses lourdes se succèdent. Des mines sautent sous les véhicules. Des camions flambent. Des blessés appellent.
La réaction est immédiate, les hommes un instant surpris foncent. Derrière la voiture du général le convoi fonce, passe et disparaît dans la nuit. Quelques unités attaquent, font des prisonniers ; les hommes à pied se regroupent par petits paquets et marchent dans la direction que trace au ciel la voie lactée et au sol la porte sud-ouest, le marabout.
Derrière une section de Brenn Carriers, qui charge jusqu’à la mort, les ambulances s’ébranlent et passent emportant 200 blessés.
Les groupes à pied se portent vers le lieu de recueil où les attendent nos vaillants équipages du train et la 7e brigade blindée britannique. De temps à autre l’un d’eux disparaît, haché par un tir de mitrailleuses lourdes.
Il est 5 heures, la majorité des défenseurs et une grande partie de notre matériel roulent déjà vers la liberté et les futurs combats.
Des isolés errent encore dans le cercle d’investissement, quelques-uns trouveront le moyen de passer.
Et une brume épaisse recouvre Bir-Hakeim où restent quelques centaines d’hommes arrêtés par des tirs plus précis. Il faudra le 11 juin un nouveau bombardement général avant que l’ennemi n’occupe la position.
Bir-Hakeim est tombé, rien n’arrêtera plus Rommel et en quelques jours il est à El-Alamein où des troupes récemment arrivées en Égypte l’attendent. Il s’arrête épuisé.
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On aurait pu peut-être tirer un meilleur parti de cette défense, qu’il nous suffise de rappeler ici les pertes énormes subies par Rommel tant en hommes et en matériel qu’en temps. Il a consacré en effet cinq journées uniquement à la destruction des Français libres de Bir-Hakeim.
Ce combat de Bir-Hakeim c’est d’abord la magnifique réhabilitation du soldat français aux yeux du monde.
La France reconnaît son sang et renaît à l’espoir. En métropole, l’âme de la résistance se fortifie de notre lutte et nos morts vont faire lever par centaines des combattants de l’intérieur.
Enfin, ces cinq journées perdues c’est Malte qui respire enfin. c’est l’échec à El-Alamein, le rétablissement du front, le canal de Suez sauvé, la Royal Navy évacuée des ports d’Égypte menacés.
On peut même penser que Rommel à Alexandrie c’est la branche de la tenaille se fermant au sud du Caucase ; c’est la porte des Indes ouverte et peut-être la chute de Stalingrad prise à revers.
Soldats de Bir-Hakeim, « la preuve est faite », écrit Rommel à votre propos « qu’un chef décidé à ne pas jeter le fusil après la mire à la première occasion peut réaliser des miracles, même si la situation est apparemment désespéré ».
Voilà ce que vous avez fait, voilà ce qu’on oublie trop souvent.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 85, février 1956.