Avec le 1er régiment de fusiliers marins
Cap 213
Le 2 juillet 1940 les portes de l’Empire Hall, à Londres, s’ouvraient pour livrer passage à un bataillon d’étonnants garçon.
Ils venaient de s’engager dans les Forces Françaises Libres.
Ce jour-là à l’Olympia, qu’y avait-il ? Quelques soldats, marins, aviateurs et civils, en tout, peut-être cent volontaires.
La veille, le F.N.F.L. avaient été créées. Ils ne le savaient pas. Le 12 juillet, ces mêmes garçons, ou d’autres, partaient pour l’ortsmouth. Ce fut alors, le « Courbet », les corvées de tout ce qu’on veut, la pluie souvent, des alertes, une vie anarchique. Enfin, Coves, Morval Camp, le 29 juillet. Ils rentraient de manœuvre en chantant. C’étaient eux enfin, les fusilliers marins.
*
J’avais choisi de les rejoindre, j’atteignais le but et j’étais heureux.
Là, le commandant Detroyat était grand maître de nos destinées. Nous étions ce qu’on appelait « les jeunes » ; les « vieux », eux, avaient déjà fait marcher, tirer, ramper, traverser des cours d’eau, s’exposer à la grenade et même faire du maniement d’armes ; mais comme tout marchait bien !
Et puis, pour la premières fois, le 20 août, on entendit parler de l’Afrique. C’était en perspective l’armée Wavell et les pyramides.
Les « jeunes » ne partiraient pas, disaient les « vieux ». Il n’en faut que deux cent cinquante pour le bataillon, vous attendez que la barbe vous pousse au menton.
Pourtant, on nous transformera, à quelques-uns, en des pièces si originales que n’en aurait pas voulu le conservateur du musée colonial de l’armée britannique.
Et ce fut Liverpool, un bombing, l’appareillage du « Westernland », la découverte du Général à notre bord et cap sur Freetown.
Régime carottes bouillies, choux bouillis, patates bouillis, des jours, des semaines, des mois presque, on file. C’est Dakar Rufisque, les journées du « Dominé », Freetown encore, le passage de la ligne, Pointe-Noire enfin.
Ce n’est plus le « Westernland » c’est le « Capo-Olmo », le « Thysville ». Nous avons traversé en coup de vent l’Équateur et les Tropiques. Certains sont allés sur l’Ogoué, à Lambaréné, à Port-Gentil, d’autres à Libreville, pour moi c’était Mayumba et nous voilà de nouveau réunis.
Le bateau file toujours, il accoste à Durban, les Zoulous font la guerre à leur manière, ce sont des batailles de pousse-pousse et de plumes d’autruche.
C’est Pâques de 1941, Port-Soudan, la fin de la guerre en Érythrée. Apparaît Suez, le canal qu’on traverse de nuit, des avions dans l’air, ragoût de beans à minuit, la tasse de théau R.A.S.C., un désert, des caravanes, les premiers orangers, les Australiens, une N.A.A.F.I., Quastina-Camp, la Palestine.
L’entraînement reprend de plus belle. À tour de rôle nous faisons du « palud », quand nous n’en faisons pas c’est que nous sommes en manoeuvre, il n’y a pas d’autres alternatives.
Nos camions foncent maintenant vers le Nord, passent le Jourdain, grimpent les djebels, l’un après l’autres, nous sommes en Syrie. Deraa, Guabaguch, notre chemin de Damas. L’assassinat de Detroyat, les bagarres pour Kissoué et Diédet-Artouz. Damas, la vallée heureuse, des jardins enchanteurs, le coup de feu à chaque coin de rue. C’est déjà Beyrouth.
Nous nous préparons pour la campagne de Libye. Le bataillon se transforme. À Rayack nous avons récupéré des 25 D.C.A. et les voilà fièrement campés sur nos camions.
Finies les tragiques rentrées avec les pieds en marmelade, les blessés nous reviennnent, on boit sec. C’est le départ.
*
De la boue argileuse, un vin chaud à minuit, au minaret d’Anklus la prière du muezzin, nous sommes au dernier jour de l’année 1941. Ismaïlia nous fête. Le Caire voudrait nous garder et c’est une nuit au pied des pyramides. Les camions foncent encore. Daba. Mersah-Matrou. Sidi-Barrani, noms du désert, devenus familiers depuis. Premières « boites de singe » Italiennes. Halfaya barre l’horizon, nous contournant le plateau par le sud en prenant la piste de Bug-Bug. On bouffe du sable, il y a des mines, la Navy décrasse ses pièces sur Sollum-Haut.
Le grand chef des Éléphants (1) descend avec « Joseph » (2) et son fidèle troupeau sur les sentiers de la guerre. Halfaya se rend. La B.B.C. raconte des histoires de héros qui nous font crever de rire, on se livre à des orgies avec une tasse de thé, serrés à quinze, sous un camion renversé, pour fêter la victoire.
Fort-Capuzzo. Nous découvrons entre deux vagues de sable les généraux de Larminat et Kœnig, transformés en M.P. On ne voit pas à un mètre, les bidons d’essence sont vidés à tour de rôle pour décrasser les pièces. La course tape-cul continue.
Sidi-Rezeck, Eladem, des « Bir », d’autres « Sidi », une pancarte, des mines, c’est El Gazala et voici la mer.
La mer, une route en corniche, nous croisons des Anglais qui foncent en bolides et doivent s’être trompés d’objectif. Des bruits de batailles, une piste au sud du Djebel Lakdar, nous approchons d’Afrika-Corps.
El Mikili, à 100 kilomètres au sud de Giovanni Berta, un capitaine anglais brûle « le intendance », nous remplissons la voiture de boites d’asperges et d’ananas.
La route de Gazala est coupée, les boches y sont, nous revenons sur nos pas, les Allemands nous précèdent, le convoi s’étire à la façon d’une escadre. Au lever du soleil nous sommes à la cote 208 et quelques heures plus tard à 40 kilomètres de Tobruck. Nous n’avons pas vu un boche vivant.
Les Stuka piquent sur les positions des B.M., sur les Polonais, sur nous aussi, les canons font ce qu’ils peuvent, un avion est abattu, c’est notre premier succès.
*
Le 16 février, la boussole du général resta sans doute bloquée sur un point de désert, pas mieux qu’un autre, aussi plat que partout ailleurs. Il y avait pour rompre la monotonie du paysage une sorte de petit fort fait de terre battue où peu de gens de chez nous ont mis les pieds sans doute ; il y avait aussi, disait-on, un puit à sec. Les T.T. que nous relevons disaient que c’était un fichu bled.
Bir-Hakeim était situé à l’extrême sud des positions alliées. La place aurait pu avoir 3 kilomètres de côté si elle avait été carrée, mais je n’en ai jamais très bien compris la forme. le sous-sol était fait de solides rocs en beaucoup d’endroits et justement à l’emplacement de notre canon. En surface, une couche de terre de couleur ocre se mettait en mouvement au moindre coup de vent et c’était alors un sauve-qui-peut général sous les tentes. Cela arrivait plusieurs fois par jour et il fallait sans cesse démonter et remonter le maudit engin, dont les qualités étanchéité étaient plus que douteuses.
« L’astuce » (3) et le lieutenant de vaisseau Iehle avaient disposé nos pièces en couronne et nous nous trouvions forcément mêlés à la vie des unités que nous avions mission de protéger des foudres du ciel. L’aviation ennemie était d’ailleurs très sagement installée sur ses positions et les alertes se réduisaient à des petits échanges avec quatre ou cinq avions par jour. La D.C.A. se mit à nous déplaire parfaitement.
Ce fut enfin le tour de ma section d’aller en Jock-colonne du côté d’Eltellim et de Mikili. C’était la chose la plus distrayante qu’on puisse imaginer au désert. Nous vivions en nomades, échangeant avec les Berbères des moutons contre du thé qui avait déjà été utilisé. De temps en temps, il y avait des engagement assez sérieux avec les patrouilles boches. Le canon servait alors à tous les usages, on tirait en l’air, en antichar, contre tout ce qui bougeait. Le soir on se regroupait et après une tasse de thé, le camp s’endormait. À l’aube le lendemain, nous étions prêts à recommencer et à tenter la chance avec les A.M. à six roues de l’Afrika-Corps.
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Le 11 mai, un Tomawak de la R.A.F. fit un atterrissage forcé dans nos champs de mines, sans dommages, ce qui nous mit parfaitement en confiance.
C’est vers ce moment-là qu’arrivèrent de superbes canons Bofors de 40 mm et que nos « 25 » se préparèrent à une glorieuse réforme dans la plaine de Bir-el-Gobi. Le « Pacha » et Bob (4) fonçaient de pièce en pièce, bâtissant d’astucieux projets. Les changements dans les équipages allaient bon train et c’est ainsi que le sort me désigna pour la batterie de M. Colmay. C’était un baroudeur qui me faisait un peu peur, mais cela passa vite, car sous sons aspect bourru, se cachait une personnalité toute de franchise et un cœur d’or.
Dix jours durent, notre Poum-Poum subit les supplices de démontages et remontage multiples. Quand nous nous arrêtons de jouer avec, c’était pour sauter sur les vieux 25 et tirer sur la « mère poule et les trois poussins » (5).
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Dans la nuit du 26 au 27 mai, nos Jocks-colonnes rentrèrent ventre à terre dans Bir-Hakeim. Des fusées de toutes couleurs zébraient la nuit. Nous creusions. Le trou était immense, c’était pour notre Bofors, il lui fallait un abri, ou sentait que venait vers nous quelque orage.
A l’aube du 27, les Italiens et les Allemands se ruèrent sur les positions sud. Les obus antichars passaient, chantaient et ricochaient tels que des cailloux dans l’eau.
Je me trouvais dans le nord de Bir-Hakeim, me bornant à compter les points. Je pris des photos, M. Colmay s’en fut aux nouvelles. L’attaque se situait dans les passages de la batterie de l’E.V. Bauche. Une trentaine de chars italiens étaient en l’air et autant d’A.M. et de camions. Six chars étaient entrés dans la position et démolis à la grenade ou à bout portant.
Et puis, tout s’arrêta d’un seul coup. L’ennemi perdait le contact. On vit ses convois par notre sud, sur l’est et sur l’ouest.
Du nord, nous arrivèrent les bruits sourds d’une violente bataille qui se livrait près d’Acroma.
Les jours passent lentement. Nous attendons, il y a quelques alertes aériennes. Des Bostons britanniques arrosent le bataillon du Pacifique le 28 mai et bien sur nous tirons, les prenant pour des boches un d’entre eux est touché.
Les prisonniers italiens se creusent des abris. Le siège peut durer. Des Hindous libérés se ruent sur nos provisions d’eau et de vivres. Le 30, il faut se battre avec eux pour les empêcher de vider les radiateurs des voitures.
Et des bruits circulent. La brigade se déplacerait sur Mikili. Le 31 mai, le camp est attaqué par six J.U. 88 et le lendemain le colonel Broche avec une partie du B.I.M.P. quitte Bir-Hakeim pour Rotonda-Signali, ligne d’arrières de l’ennemi. La batterie de l’E.V. Bauche l’accompagne.
Le même jour, l’aviation boche s’occupe assez sérieusement de nos oreilles. A deux reprises, douze stuka, dans de magnifiques descentes en piqués, nous arrosent copieusement et ce sont les J.U. 88 qui reviennent, toujours plus nombreux.
La batterie « Bauche » est attaquée dans l’après-midi, près d’El Telim, par des M. 110 volant en rase-mottes. Elle en descend quatre. La pièce « Rey » en a deux à son actif. Nous avons quelques blessés.
2 juin – L’ordre du jour du Pacha :
« Fusiliers-marins, sept des vôtres ont été tués ce matin à leur poste de combat. Le coup est rude, mais nous ne devons pas faiblir une seconde. L’aviation ennemie fait tout ce qu’elle peut pour dégager son armée qui sait la bataille perdue pour elle. Ces diversions ne changent en rien l’avance des forces armées. Le moment n’est pas de s’attendrir, mais de combattre l’ennemi. Vos camarades sont morts pour la France Libre. Vive la France. Amyot d’Inville. »
À l’horizon, des chars ennemis patrouille. Le vent de sable se lève. C’est enfin du répit pour nos artilleurs. Ils sont d’une fougue qui fait l’admiration de tous.
M. Colmay nous apprend la présence de Rommel, qui a envoyé un parlementaire et nous demande de nous rendre.
Les boches ont des chars en masse et les Anglais viennent de prendre la pillule. La mission principale des Bofors est maintenant la défense antichars. Godan ! nous porte un ordre de « l’Astuce » dans l’après-midi : « Mettez vos masques à gaz en position d’attente ».
3 juin – A 6 heures, le bal commence. Les obus tombent avec une densité sans cesse accrue. Il y en a de tous les calibres.
Les B.I.M.P. rentrent de Mikili et les équipes Frémeaux-Rey s’installent dans nos parages.
À huit heures, l’infanterie attaque. Je prends quelques photos, mais cela devient très difficile car les balles et les obus ricochent en tous sens.
Le Poum-Poum fait du bon travail. Il marche à merveille. Les bombardements d’artillerie n’ont cessé à aucun moment et nous avons eu six bombardements d’aviations. A dix heures onze Stuka ; à onze heures trente, dix-huit Stuka ; à treize heures, douze Stuka ; à quinze heures, onze Stuka ; à dix-sept heures, quinze Stuka et vingt-deux M.C. 111 à vingt heures. Nous avons descendu sept avions je crois ce jour-là.
4 juin – On nous dit que Rommel a envoyé deux nouveaux parlementaires hier soir.
Dans la nuit, trois jours de vivres nous ont été distribués et de l’eau. Avec ce qu’il nous reste, nous pensons étaler jusqu’au 10, si la barrique n’est pas crevée par les éclats.
À 8 heures, douze Stuka viennent nous saluer et une demi-heure plus tard, douze autres. On en démolit un qui tombe en torche près du Q.G.
Notre coin est arrosé par un déluge de shrapnels. La R.A.F. se promène en rase-mottes, mitraille un peu chez nous, un peu chez les boches et s’en va. Un quart d’heure plus tard, un tire dans un tas de C.R. 42 Italiens. Il en touche un.
Près de nous, le camion de Bernier (6) est démoli par l’artillerie.
5 juin – Dans un bruit de locomotive, passent au-dessus de nos têtes d’énormes obus. Cela a commencé dès le lever du jour. Nos artilleurs sont extraordinaires. Leurs canons tirent sans arrêt, dans toutes les directions. Les boches arrosent copieusement toute la journée a grand renfort de 105, 155 et par paquets de 88 et 77.
Pour la première fois, ce jour-là, les avions nous ont laissé la paix. Mais l’infanterie allemande n’est pas restée inactive. Elle s’efforce de grignoter nos champs de mines et fait des incursions dans ce qu’on appelle le V.
… Et ainsi passe le 6 juin, l’artillerie reste active, une attaque d’infanterie appuyée de chars est repoussée dans le secteur du fort que tient le B.I.M. Pacifique. Il tombe des tonnes de ferrailles et nous sommes si habitués au bruit des armes automatiques, qu’elles ne nous impressionnent plus. Notre cuisine est criblée d’éclats et commence à s’effondrer, le camion est également endommagé.
7 juin – A nouveau, les avions sont de la partie. Notre tracteur prend un obus de plein fouet et rend l’âme sans avoir été à un seul moment utile.
Le canon, à force de tirer, s’est déplacé. Noirs remplissons des caisses de munitions vides, de sable et fabriquons une sorte de petit mur pour nous mettre à l’abri.
Nous entamons notre première journée de vivres de réserve, l’eau ne nous manque pas encore.
La puissance des armes ennemies se concentre sur notre secteur. Les bons noirs du B.M. 2 sont en avant de nous et nous dégustons des rations de ferraille véritablement très copieuses.
La nuit nous pouvons dormir un peu, l’infanterie veille mais nous commençons à avoir des airs de brigands. Il y a dix jours bientôt qu’on ne se lave pas, les barbes sont poudreuses.
8 juin – A 5 heures ce matin, le lieutenant Bellec, est parvenu jusqu’à nous avec des munitions, des vivres, de l’eau qu’il est allé chercher à l’arrière en passant au travers des lignes boches.
Une soixantaine de J.U. 88 ouvre le bal à 7 heures et jusqu’à 10 heures des tirs d’artillerie extrêmement violents démolissent notre secteur. C’est l’heure choisie par l’ennemi pour attaquer fortement avec l’infanterie appuyée de blindés, nos voisins du B.M. 2 ; quelques fantassins en profitent pour se creuser des trous dans nos champs de mines et s’y installent avec des armes automatiques.
Les incendies autour de nous font rage. Camions, canons, munitions, sont allumés à tour de rôle. La R.A.F. nous salue toutes les trois ou quatre heures.
15 heures : l’attaque sur le B.M. 2 reprend de plus belle. Les soixante avions de ce matin, ou peut-être davantage (il y en avait plusieurs paquets de douze dans ma grille), nous ont tellement arrosés et la pièce a tellement tiré que quand la fumée s’est dégagée. je ne savais plus très bien ce qui venait d’arriver. Nos sacs de terre se vident les uns après les autres. Un antichar nous a repérés et ses obus tombent à quelques mètres derrière la pièce.
Vers 17 heures, les avions sont revenus, mais les bombes sont tombées à notre droite ; à dix heures, l’attaque d’infanterie a repris de plus belle, précédée de solides bombardements. Nous commençons à être inquiets sur notre approvisionnement en obus car nous en faisons une consommation monstre.
La pièce de Canard (7) est mise en fâcheuse posture, mais, le L.V. la remet en état avec ce qu’il reste de la pièce de Bey.
9 juin – Raid très matinal des Stuka, une trentaine environ. Nous n’avons tiré que très peu, une breda et l’antichar, nous en empêchent.
La pièce Bernier est coupée en deux par un antichar. Autour de nous les camions prennent feu successivement.
14 h 30, des Stuka, plus nombreux encore que ce matin, nous piquent dessus en direct, la pièce tire, les bombes, les obus éclatent sans cesse, la terre remue sous nous, on tire et ce sont des moments formidables.
L’attaque bat son plein.
17 heures : les « Brenn-Carriers » du B.M. 2 tirent en antichars entre Bernier et nous, s’abritant de ce qu’il reste de notre tracteur et de sa pièce. Des Hurricane viennent de mitrailler les lignes, mais amis et ennemis sont maintenant si proches que la bonne R.A.F. tire où elle peut et pas toujours au bon endroit.
Le canon Frémeaux, sur notre gauche, est à son tour démoli. La citerne de Dreyer subit les derniers assauts d’une mitrailleuse et se trouve transformée en passoire. Le groupe sanitaire de la brigade est fortement mis à mal. La salle d’opération est en l’air, une vingtaine de blessés sont pulvérisés.
Nous avons encore touché une journée de vivres, mais nous n’avons pas faim.
Nous avons encore touché une journée de vivres, mais nous n’avons pas faim.
10 juin – Il brume. A 9 heures, les avions sont venus et n’ont pas lâché leurs bombes.
La brume s’est levée à 9 h 30 et l’artillerie se taille de belles pièces pendant plusieurs heures. C’est alors que l’armada d’avions fit son entrée en scène. Il y en avait de toutes les formes et de toutes les tailles. J’étais à m’efforcer d’attraper dans ma grille un régiment de Stuka quand je découvris une ombrelle de J.U. 88 et de M. 111 et tout se mit à tanguer, les bombes tombaient par douzaines, les Stuka piquaient, le canon tirait comme jamais peut-être il ne l’avait fait, cela dura longtemps et puis ce fui la nuit tout autour de nous, les sacs, le mur, les caisses, les bonshommes qui voltigeaient dans la nature. La pièce n’avait pas subi de grands dégâts. Mais près de nous, Deuil était tué ; le paysage qui nous était familier, s’était complètement transformé, ce n’étaient que cratères fumants, incendies, camions en pièces détachées.
L’artillerie s’est déchaînée, les mortiers éclatent en tous sens, les mitrailleuses crépitent, il est quinze heures trente, le B.M. 2 est encore attaqué.
L’attaque se poursuit plusieurs heures, deux chars pénètrent dans la position ; l’un d’entre eux est détruit, l’autre bat en retraite, poussé par les tirs de nos antichars.
En fin d’après-midi, on me dit que six de nos Bofors sur les douze sont détruits. Les artilleurs ont subi des pertes, sans doute encore plus sévères et leur tir est moins fourni qu’aux premiers jours de l’attaque, mais ils ne restent jamais silencieux.
À 19 heures, c’est encore une ronde infernale d’avions dans le ciel. Ce sera la dernière à Bir-Hakeim.
*
Nous étions à remettre notre trou en état et à nettoyer la pièce quand l’« Astuce » vint en moto nous donner l’ordre de départ. « Sauvez ce qui petit être sauvé. Détruisez le reste à la pioche, lacérez vos vêtements surtout n’y mettez pas le feu et opérez en silence, nous gagnerons si nous sortons par surprise, rejoignez la passe sud et le cap au 213, jusqu’aux Anglais ».
Il a fallu les efforts combinés de l’équipe Bernier, du Bidel, de Dreyer et les nôtres pour sortir la pièce du trou. Une des roues était criblée d’éclats. Par chance, Frémeaux en avait une en bon état, c’était d’ailleurs le seul morceau convenable restant à son canon. Nos essieux étaient ratissés, ils avaient reçu de grands chocs pendant les bombardement La pièce fut enfin sur pied et le camion de Bernier rempli de nos munitions et des siennes. De temps en temps, il fallait plonger le nez dans la poussière, car une breda nous tirait au ras des oreilles.
Clerc (8) nous conduisait. Il était à peu près minuit, le camion surchargé avançait avec peine, on ne voyait, pas à 10 mètres, mais devant nous les balles traceuses, les fusées, les explosions indiquaient l’axe à suivre.
Probablement à la hauteur du G.S.D., camion, canon, équipage, munitions, se retrouvèrent mêlés au fond d’un trou immense. Il était impossible de sauver le matériel, on se mit à le saboter à coups de marteau.
Le Bidel nous donna ordre de poursuivre l’avance vers les feux et de sortir chacun au mieux de ses intérêts. Dépourvus de véhicules, il n’était pas possible de rester en groupe. Je pris au vol avec Saliou une chenillette de la Légion qui nous entraîna dans la mêlée à un train d’enfer. Sur elle, j’atteignis « la passe » supposée. Là, les camions s’entassaient ou tournaient comme des lions en cage, ce n’était pas là bonne. Le conducteur du Brenn fit faire subitement demi tour et son engin et nous cria : « Descendez, J’ai ordre de remonter le Nord ».
Ce fut alors la marche vers les lumières qui reprit de plus belle. La « passe » enfin et cette fois, la bonne, Il n’y avait pas à se tromper. Les fusées ennemies nous éclairaient comme en plein jour, les mitrailleuses tiraient dans tous les sens, les grenades éclataient devant nous, les mines sautaient et avec elles les camions.
L’embouteillage était extrême et nous avancions à une vitesse de tortue. J’avais trouvé l’équipe Frémeaux et Le Bidel était derrière nous avec des gars du B.I.M.
Nous devions être alors dans nos propres champs de mines, à pied. Dans le camion nous étions encore plus mal, les mitrailleuses s’acharnaient à tirer sur les grosses masses et il y avait deux tonnes d’obus à bord ou pas beaucoup moins.
Les heures passaient et la bagarre se poursuivait sans relâche. Le commandant Puchois (9), le monocle en bataille, cherchait sa compagnie. On la remplaça, pour lâcher quelques grenades sur la gauche dans les champs de mines, où se trouvait une mitrailleuse boche.
Après cela, la nuit prit vraiment des allures folles, Nous devions être à la sortie du grand champ de mines, dans « le marais ». Il était deux heures ou peut-être trois. On avançait plus vite, mais continuellement il fallait éviter des voitures explosées, récupérer des blessés. La bagarre était vive et à chaque pas quelque chose éclatait, quand ce n’était pas devant, c’était derrière nous au-dessus de nos têtes. Des blessés criaient, on les évitait autant que faire se peu, mais il l’allait avancer et ne pas obstruer la piste.
Nous approchons du premier feu (10). Un camion nous tamponna et deux mitrailleuses se mirent alors à nous arroser à cœur joie. Elles étaient installées à quelques mètres, c’était la fin de l’enfer ; nous étions libres.
À 4 h 30, nous rencontrâmes les premiers Anglais. C’étaient des ambulanciers. Ils prirent nos blessés.
Quelques heures après nous retrouvions la brigade et avec elle ce fut plus tard encore de belles aventures : El-Alameim, la Tunisie, l’Italie et un beau jour d’août… Cavalaire.
Eugène Jestin
Ancien du 1er R.F.M.
Ancien du 1er R.F.M.
(1) 3e section commandée pli, le L.V. Bourgeois.
(2) Son chien basset.
(3) C.F. Amyot d’Inville.
(4) Le chien du C.F. Amyot d’Inville.
(5) Avion de reconnaisance, toujours accompagné de trois chasseurs.
(6) S.M. Bernier, tué près de Belfort.
(7) S.M. Canard, noyé en Méditerranée, au bombardement du bâtiment qui transportait en Italie les prisonniers français de Bir-Hakeim.
(8) Tué à El-Alameim.
(9) Officier de la Légion.
(10) Trois feux allumés par les Anglais devaient nous servir de guide.
(2) Son chien basset.
(3) C.F. Amyot d’Inville.
(4) Le chien du C.F. Amyot d’Inville.
(5) Avion de reconnaisance, toujours accompagné de trois chasseurs.
(6) S.M. Bernier, tué près de Belfort.
(7) S.M. Canard, noyé en Méditerranée, au bombardement du bâtiment qui transportait en Italie les prisonniers français de Bir-Hakeim.
(8) Tué à El-Alameim.
(9) Officier de la Légion.
(10) Trois feux allumés par les Anglais devaient nous servir de guide.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 39, juin 1951