L’appel du 18 juin, par Jacques Bauche
À 17 h 50, arrivé en taxi, le général de Gaulle est dans l’immeuble de la BBC à Londres ; il y est attendu par le lieutenant de Courcel. Dans un bureau voisin, non informés de sa présence, travaillent deux Français : Jean Oberlé et Jean Marin.
À 18 heures (heure de Greenwich), depuis le studio 4 D de la British Broadcasting Corporation, un homme seul, de 49 ans, général de brigade à titre temporaire depuis dix-huit jours, inconnu du grand public et venant de l’arme blindée, hier encore sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre du gouvernement Paul Reynaud, prend la parole devant le micro que M. Churchill a mis à sa disposition.
À 20 heures, en possession du texte tapé à la machine, le bureau de l’agence Havas à Londres, dirigé par Paul-Louis Bret, diffuse à travers le monde l’Appel du général de Gaulle. À la même heure, la BBC retransmet cet appel, lu par un speaker ; elle le répétera à 22 heures.
Trois jours s’écoulent pendant lesquels, dans les territoires d’outre-mer, les chefs tergiversent. Le général de Gaulle leur a adressé à chacun un appel pressant par télégramme. Il a, par cette voie, demandé au général Noguès de prendre la tête de la résistance française dans l’Empire.
Le 22 juin, à 18 heures, heure de Greenwich, le général de Gaulle reprend le micro. Semblable sur le fond, mais différent dans son texte, ce nouveau discours est plus long, plus solidement étayé, il cherche à être plus convainquant. Le chef des Français Libres avait disposé de plus de temps pour le composer dans ce style clair et précis qui était le sien, avançant les arguments qui devaient toucher le coeur et la raison.
Cette fois avertie, la BBC enregistre l’émission et le disque nous reste.
Le 29 juillet 1940, le Journal officiel de Vichy, qui curieusement s’intitule encore « Journal officiel de la République française », alors que cette République, a fait place à l’État français, dans son tirage du jour qui porte le numéro 185, publie la loi étendant les dispositions de l’article 75 du Code pénal, articles 1 et 2 : «Tout Français qui livre à l’étranger des armes, des munitions ou du matériel de guerre, tout Français qui prend, ou conserve du service dans une armée étrangère, tombe sous le coup du 4e paragraphe de l’article 75 du Code pénal, et de ce fait est déclaré coupable de trahison et puni de mort. »
Cette disposition qui vise tous les Français Libres est signée du maréchal Pétain, chef de l’État, de Raphaël Alibert, garde des Sceaux et du général Weygand, ministre de la Défense nationale.
Surprenante condamnation à mort, de la part d’un maréchal de France, à l’encontre de soldats qui veulent, non pas déserter, mais continuer le combat pour défendre, leur patrie !
Dès lors, tous les ponts sont rompus entre les Français Libres et Vichy. Les services de l’état-major du général de Gaulle font éditer une affiche, véritable appel aux armes, sur un texte court, percutant, condensé, préparé par le chef de la France Libre lui-même. On retrouvera ce manuscrit en 1970 et il sera remis au musée de l’ordre de la Libération.
Après un premier essai qui ne donna pas satisfaction, car les caractères en italique et trop fins n’étaient pas suffisamment lisibles, on en fit un second qui fut adopté. La première maquette, celle qui fut rejetée, et qui est unique à notre connaissance, est conservée au musée de l’ordre de la Libération dans la grande salle d’honneur. Cette affiche de 60 centimètres sur 40 fut tirée à 1 000 exemplaires par un artisan londonien, Achille-Oliver Fallek, 24 Seawell Road.
Elle sera apposée le 4 août 1940 sur les murs de Londres ; le «Times » en reproduira le texte dans son édition du lendemain.
En bas à droite, le document comportait la signature du général de Gaulle et l’adresse : Quartier Général, 4 Carlton Gardens, London SW1.
En bas à gauche, par courtoisie pour le peuple britannique, dans un petit cadre rectangulaire, était reproduit ce texte en langue anglaise. Comme la plupart des affiches, celle-ci ne comportait aucune date, et encore moins celle du 18 juin.
Encadré des trois couleurs, surmonté de deux drapeaux français entrecroisés, ce placard rappelle les affiches de mobilisation apposées sur les murs de France le 1er août 1914 et le 3 septembre 1939.
L’affiche authentique, celle qui est sortie des presses de Mister Fallek à Londres, était encadrée, par suite d’une erreur, de rouge, blanc, bleu, à la manière anglaise, au lieu du bleu, blanc, rouge français, la première couleur énoncée étant celle qui se trouve le plus près du centre. De plus, malhabile dans notre langue, le typographe avait fait une faute en composant le mot « servitude » ou le d est remplacé par un P renversé.
Après la guerre, beaucoup de copies de ce document furent tirées en France. Si elles reproduisaient presque toutes les erreurs que nous venons de signaler, le cadre en anglais n’y figurait pas toujours et certaines d’entre elles, on ne sait pas pourquoi, comportaient à l’emplacement de ce cadre, la date du 18 juin. C’est là une source de confusion puisque ce texte varie de l’Appel proprement dit.
Jacques Bauche
Compagnon de la Libération
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 262, 2e trimestre 1988.