Amherst
Au printemps 1945, la 8e Armée britannique est en Hollande où les dernières unités d’élite de la Wehrmacht lui opposent une forte résistance. En mars, le général Calvert, surnommé « Mike le fou » pour ses missions spéciales contre les Japonais en Birmanie, a pris le commandement de la brigade SAS en remplacement du général Mac Leod. Elle est composée depuis la fin 1943 de quatre régiments. Deux sont britanniques, le 1er et le 2e SAS, deux sont français, le 3e et le 4e SAS. En mars 1944, une compagnie belge a complété l’effectif de la brigade.
Etudiant avec les différents états-majors les possibilités d’intervention de ses hommes, le général Calvert rencontre le commandement des unités canadiennes qui se heurtent à une résistance acharnée. Les Allemands étant encore à La Haye, Amsterdam et Rotterdam, pour diminuer la résistance et les pertes alliées, il était procédé à des bombardements massifs par air et par artillerie. La reine Wilhelmine était fermement intervenue pour que son pays ne soit pas libéré et détruit ainsi. Le général Calvert proposa donc de faire intervenir deux régiments de sa brigade en les parachutant très en avant des unités canadiennes pour, d’une part, s’emparer des ouvrages qui pourraient faciliter l’avancée des blindés et, d’autre part, diminuer la résistance ennemie en désorganisant ses arrières.
Le projet accepté, le commandant de la brigade en confia l’exécution aux 3e et 4e SAS français. Ils sont d’abord rassemblés, au secret comme avant chaque opération, à « Mushroom farm » dans l’Essex où le bruit court que leur destination serait la Hollande. Le 6 avril, l’ordre d’opération n° 3 du PC de liaison n° 20 est rédigé par le colonel Prendergast, adjoint de Calvert. Il précise que le 2e RCP (4e SAS) et le 3e RCP (3e SAS) seront parachutés dans la province du Drenthe, au cours de la nuit du 6 au 7 avril en avant du 2e corps canadien qui devrait les rejoindre dans les soixante-douze heures suivantes. Les SAS opèreront par sticks de 15 au lieu de 10, pouvant se diviser en deux demi sticks capables d’agir séparément.
L’objectif principal est la désorganisation des arrières ennemis par des interventions en de multiples points. Pour augmenter la confusion, des mannequins seront parachutés en grandes quantités, disséminés dans le Drenthe. En mission particulière, des sticks du 3e SAS devront attaquer les aérodromes de Steenwijk, Helve et Leenwarden, neutraliser une douzaine de ponts routiers sur canaux et le 4e SAS, une dizaine du même type de ponts ainsi que deux ponts de chemin de fer. Des appareils émetteurs-récepteurs, dont les sticks des commandants de squadrons seront dotés, permettront de communiquer de précieuses informations au quartier général.
Les deux régiments seront parachutés de part et d’autre d’un axe Groningen-Assen-Hoogeveen. Le 3e SAS commandé par le lieutenant-colonel Pâris de Bollardière avec 360 hommes répartis en 24 sticks de 15 à l’ouest et le 4e SAS commandé par le commandant Puech Samson à l’est avec 335 hommes, dont les équipages de onze jeeps qui seront larguées ensuite par des « Halifax ». Quarante-sept « Stirling » partiront de trois aérodromes Dunmow, Shepgrave, Rivenhall en direction des droppings zones de chaque stick.
Pour innover, un nouveau mode de parachutage a été décidé, mais hélas, sans en informer les intéressés. La pratique voulait que les sticks soient largués le plus bas possible, environ 250 mètres, pour que les écarts entre chaque homme, à l’arrivée au sol, soient les plus réduits car, se retrouver de nuit en territoire inconnu, posait toujours des problèmes de regroupement. Dans la situation présente, en se basant sur certains progrès techniques, les avions seraient, pour la première fois, pris en charge par des radars terrestres qui, après de savants calculs, tenant compte de la distance à parcourir, des vitesses et des dérives dues aux vents, donneraient le feu vert à des avions ayant théoriquement atteint leur zone de droppage. A une altitude d’environ 5 à 600 mètres, l’ordre de saut serait donné.
Ces conditions inédites ignorées provoquèrent des effets néfastes multiples. Habitués à un temps court de chute, sa prolongation fit que certains se désunirent et abordèrent le terrain dans de mauvaises conditions, ce qui provoqua des blessures handicapantes. Par ailleurs, à dix, de nuit, se regrouper en terre inconnue était déjà un obstacle. A quinze, l’inconvénient était aggravé. A l’aube, nombreux furent les sticks qui se cherchaient.
Les difficultés furent aggravées par les erreurs dues aux droppages faits sur signal des radars terrestres. Le plus grand nombre de sticks, arrivés au sol, ne trouvèrent aucun des points de repères étudiés au départ concernant leurs droppings zones, car ils en étaient à 10, 20, 30 kilomètres (près de 50 pour un stick). Pire, plusieurs atterrirent dans des agglomérations, en particulier à Assen, rendant encore plus difficile un quelconque regroupement et la poursuite normale de la mission. C’est dans ces conditions trop souvent désastreuses que les paras des 3e et 4e SAS furent parachutés dans la province du Drenthe, région de Hollande très germanisée où un fort contingent de nazis locaux sévissait.
Si tous les objectifs précis ne furent pas atteints, par contre les actions menées par les 47 sticks de quinze hommes éparpillés sur les arrières ennemis, à une centaine de kilomètres en avant des blindés canadiens de la 8ème armée, commandée par le maréchal Montgomery, provoquèrent des mouvements de replis accélérés de l’ennemi craignant d’être pris à revers par des parachutistes qui, en opérant partout sur leurs arrières proches, étaient supposés beaucoup plus nombreux qu’ils n’étaient.
A ce titre, l’attaque du poste de commandement de la gendarmerie des Pays-Bas à Westerbork par le capitaine Betbèze du 4e SAS et une vingtaine de ses hommes, au cours de laquelle le generalmajor Karl Böttyer et plusieurs officiers furent tués, est la démonstration de l’insécurité à laquelle les forces allemandes se trouvaient subitement confrontées. Trois paras SAS furent tués lors de l’assaut et deux grièvement blessés et fait prisonniers.
Les sticks SAS opérant de part et d’autre de l’axe Groningen / Hoogeveen ont réussi la mission qui leur était confiée, dans des conditions contraires portant atteinte à leur efficacité, tels les erreurs de dropping zone et un largage à 500 mètres d’altitude. Ces deux éléments conjugués ont fait que peu de sticks, à la fin de la nuit, avaient pu rassembler la totalité de leur effectif et que presque tous, ne retrouvant aucun de leurs points de repères, ignoraient où ils étaient. D’où l’obligation de prendre contact avec des fermiers isolés pouvant être approchés avec une lettre d’introduction en hollandais, dont chaque stick était pourvu. Ce n’est qu’après s’être localisé qu’un stick pouvait ensuite mettre le cap sur sa zone d’action.
Les résultats furent influencés par l’intervention, la province du Drenthe ayant une longue frontière avec l’Allemagne, des nombreux nazis hollandais agissant en milices armées. Cela fut, par exemple, fatal au premier stick du premier squadron. Ayant atteint, une ferme, ils reçurent un bon accueil et une grange écartée leur fut offerte comme refuge pour se cacher jusqu’à la nuit suivante, mais à huit heures du matin, ils avaient été silencieusement encerclés et c’est un feu nourri qui abrégea leur repos. Refusant les sommations en français, ils livrèrent combat. L’assaillant ayant mis le feu à la grange bourrée de paille, ils effectuèrent une sortie en force. Dans ce combat inégal, onze sur treize furent blessés dont plusieurs grièvement. A une trentaine de kilomètres à l’est, un autre stick ainsi encerclé et refusant de se rendre, le chef de sticks et deux de ses hommes périrent brûlés vifs.
La durée prévue de l’opération Amherst était de soixante-douze heures. Près de deux semaines après, des sticks se battaient encore dans leur région. Au total, 33 hommes des deux régiments trouveront la mort dont quatre fusillés. Le nombre des blessés dépasse le double. Soixante-sept faits prisonniers ont rapidement été évacués jusqu’au camp de Milag, près de Tarmstedt, entre Brême et Hambourg. Une paire de SAS réussira une évasion préparée afin de transmettre au quartier général allié des informations importantes.
Amherst sera la dernière mission effectuée par les régiments français de la brigade SAS.