La nécessaire alliance franco-russe
Lorsque le 18 juin 1940, le général De Gaulle décide de continuer la guerre au nom de la France à partir du territoire anglais, un écueil le guette lui et le mouvement qu’il s’apprête à mettre en place : devenir le chef d’une force d’appoint française vouée à ne jamais s’affirmer politiquement.
Le déclenchement de l’opération Barbarossa des 21 et 22 juin 1941 contre l’Union soviétique présage pour le général de Gaulle du tournant décisif de la guerre malgré la défaite russe et la rapidité de l’avancée allemande.
Le 28 juin, Maïsky, ambassadeur russe à Londres, apprend de René Cassin et de Maurice Dejean l’offre de collaboration militaire entre les FFL et l’armée soviétique. Le 26 septembre 1941, le Gouvernement russe reconnaissait le Général comme chef de tous les Français libres et l’assurait de sa volonté de restaurer l’indépendance et la grandeur de la France.
Dans ses “Mémoires”, le général de Gaulle présente ainsi les relations qu’il envisage d’entretenir avec la Russie de Staline : «Je ne doutais évidemment pas qu’une victoire à laquelle les Soviets auraient pris une part capitale pourrait, de leur fait, dresser ensuite d’autre périls devant le monde. On devait en tenir compte, tout en luttant à leurs côtés, c’est à dire vaincre. (…) D’autre part, la présence de la Russie dans le camp des Alliés, apportait à la France combattante, vis à vis des Anglos-Saxons, un éléments d’équilibre dont je comptais bien me servir ». C’est le partisan de l’Alliance franco russe de 1935 qui parle, l’homme qui avait répondu à Léon Blum au moment de la non-intervention dans la guerre espagnole.
De cette vision du problème découle la relation particulière entre le Général et Bogomolov, ancien ambassadeur russe à Vichy devenu ambassadeur à Londres. A partir du 25 novembre 1941, la France Libre envisage l’envoi de troupes sur le front de l’Est. Mais l’état major britannique s’y oppose et la participation française à la guerre soviétique se limite à la création du régiment aérien Normandie Niemen.
Le 20 janvier 1942, sur les ondes de la BBC, le général de Gaulle rend un vibrant hommage aux alliés russes et célèbre l’échec de l’offensive allemande devant Moscou et Leningrad. Cet éloge de l’héroïsme russe porteur d’un immense espoir pour les Français libres, figure comme un des moments forts d’une amitié franco-russe en guerre. « La France qui souffre est avec la Russie qui souffre. La France qui combat est avec la Russie qui combat. La France, sombrée au désespoir, est avec la Russie qui sut remonter des ténèbres de l’abîme jusqu’au soleil de la grandeur. »
Les relations de la France Libre avec la Russie se renforcent au fur et à mesure que les succès de l’Armée Rouge s’affirment. Au cours de son voyage à Londres, en mai 1942, le ministre soviétique des Affaires étrangères, Molotov, déclare au Général de Gaulle, après l’avoir reconnu «représentant de la vraie France», que l’URSS désire avoir avec la France «une alliance indépendante» de la Grande Bretagne et des États-Unis. C’est là un objectif de grande importance pour la France Libre. En effet, elle a l’occasion de dépasser le stade des relations bilatérales avec l’Angleterre et de se préparer à un rôle médiateur, qui pourrait s’avérer plus tard nécessaire. D’ailleurs le gouvernement anglais sent les risques d’une telle situation et exerce des pressions pour limiter les accords possibles entre De Gaulle et Staline. Il est vrai qu’à partir de l’entrée en guerre des États-Unis, l’Union soviétique elle-même privilégiera ses possibilités d’entente avec Roosevelt qui ne porte pas De Gaulle dans son cœur, sur l’alliance franco russe. La politique de la France Libre vis à vis de l’Union soviétique, fidèle à l’esprit de la traditionnelle alliance franco russe, permet au général De Gaulle de s’assurer la loyauté de la partie communiste de la Résistance à l’intérieur, et l’appui russe en cas de négociation au moment du rétablissement de la souveraineté française. C’est-à-dire, l’unité nationale et une alliance continentale.
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