La répression des marins des FNFL
Situation des personnels militaires
D’emblée, le personnel de la France libre est considéré comme félon par le gouvernement de Vichy.
Les chefs d’accusation vont de l’atteinte à la sûreté de l’État et la trahison jusqu’à la provocation de marins à se mettre au service d’une puissance étrangère, en passant par la désertion à l’étranger en temps de guerre ou le service à bord d’un bâtiment battant pavillon français sous contrôle d’une puissance étrangère.
Les sanctions sont de deux ordres.
Sur le plan disciplinaire :
– pour le personnel d’active : non-activité par retrait d’emploi ou réforme ;
– pour les réservistes : révocation, non-disponibilité et privation de grade.
Sur le plan judiciaire, elles vont de la peine de mort (VA Muselier, LV Sonneville, EVI Barberot*, EVI Deschartres, EVI Péri, CLC Cannebotin, CLC Vuillemin, IGM Schlumberger*) et la déchéance de la nationalité, aux travaux forcés ou la détention, la dégradation militaire, l’interdiction de séjour, la saisie, la séquestration ou la confiscation des biens. Certaines peines de mort (*) sont commuées ultérieurement en détention.
Les peines les plus légères prononcées par contumace ne sont pas inférieures à 20 ans de détention.
Un tableau récapitulatif, retrouvé dans les archives de l’amirauté française à Vichy et daté du 22 juillet 1941, fait état de 124 sanctions concernant les officiers gaullistes : quarante-six de non-activité par retrait d’emploi ; treize de réforme ; vingt-trois de révocation ; trente de non-disponibilité ; neuf de privation de grade ; trois de condamnation à mort.
Situation des familles des personnels FNFL
Dès octobre 1940, le gouvernement de Vichy supprimait les délégations de solde aux familles des Français libres. Les épouses des dissidents devaient être considérées comme veuves sans pensions et laissées sans ressources. La circulaire de base donnait 14 noms d’officiers et 8 d’hommes d’équipages (essentiellement des personnels du Narval et de la Force X ayant rallié la France libre). Elle sera constamment tenue à jour au fur et à mesure que Vichy a connaissance des ralliements à la France libre.
Il semble que les services locaux du Commissariat aient interprété à leur manière ces instructions. C’est ainsi que dans certains ports, les familles des hommes d’équipage du Rubis (pour ne citer que lui), qui n’étaient pourtant pas nommément désignées dans les listes officielles, voient leurs délégations supprimées. La veuve d’un ancien chef d’Etat-major de la Marine a conservé l’importante correspondance qu’elle a maintenue tout au long de la guerre avec les familles des marins du Rubis.
Les lettres et les messages de la Croix-Rouge, leur laconisme, traduisent bien les détresses des malheureuses épouses et mères, sans ressources, sans nouvelles, condamnées pour survivre à des travaux de couture, de broderie, d’aide ménagère. Il n’est plus question pour elles de bénéficier, comme les autres, de logements de la Marine, des soins aux familles, de fournitures de médicaments, du ravitaillement en pommes de terre, savon, lait, des colonies de vacances pour les enfants ; il ne reste que la soupe populaire. Les épouses restées seules avec leurs enfants en bas âge et réduites à l’indigence sont incapables de se défendre devant les rigueurs de cette situation nouvelle. Les enfants des engagés FNFL ressentent particulièrement les mises à l’index par leurs camarades de classe, enfants de Vichystes.
J’ai reçu les confidences de cette triste époque ; je les ai écoutées les larmes dans les yeux. Je ne comprends toujours pas la haine de Vichy et de ses fidèles vis à vis des familles des marins FNFL qui combattaient pour libérer la France !
Une citation parmi bien d’autres :
« … il s’ensuivit pour nous une grande période de rejet et d’abandon : abandon de l’Etat, de la Marine qui nous a expulsées de notre appartement, de l’Eglise « Institution » et d’une partie de nos anciens amis… Je voudrais rendre hommage à ma mère et à toutes ces grandes dames que l’on appelle les veuves de guerre qui marginalisées ont été quotidiennement confrontées à des tempêtes d’un autre type : celui d’assurer dans des conditions d’existence matérielles et morales extrêmes l’avenir de leur famille ».
Le Service des œuvres sociales de la Marine n’a gardé aucune trace de ses éventuelles interventions en faveur des sans-secours. Pourtant, à la même époque, Vichy, par son intermédiaire multiplie ses efforts pour « soutenir » les ouvriers des arsenaux travaillant en Allemagne. Ceux-ci et leurs familles reçoivent vivres, habillement et bénéficient de nombreuses mesures de nature à « conserver la santé, l’ordre moral et l’attachement de ce personnel à la Marine ».
A ce dénuement matériel s’ajoute une détresse morale. Les lettres que les FNFL tentent de faire parvenir par des voies détournées à leurs proches sont interceptées par les services de renseignement de Vichy. Les censeurs sont impitoyables : si les nouvelles sont bonnes, si le moral « déserteur » est haut, la lettre est saisie ; dans le cas contraire, elle est acheminée à son destinataire.
Il faut reconnaître que quelques familles échappent à ces mesures discriminatoires, soit parce que Vichy ignore que les époux ont rallié les FNFL ou les croit prisonniers des Britanniques, soit qu’elles bénéficient de la sollicitude de certains chefs locaux du service de la solde. Mais dès que la qualité de dissident est connue et notifiée, la sanction tombe comme un couperet.
On aurait pu penser qu’après le débarquement en Afrique du Nord tout le personnel des FMA (forces maritimes en Afrique) serait considéré, à l’instar des FNFL, comme dissident. Ce n’est pas le cas : Vichy les étiquette comme « absents » et diverses circulaires autorisent le paiement de délégations ou de la demi-solde à leurs familles. Mais les familles des dissidents FNFL sont expressément exclues et il faudra attendre mars 1944 pour qu’elles aient enfin droit au paiement des délégations.
Si on s’en tient aux textes officiels, Vichy n’est sévère qu’avec les familles d’une centaine de dissidents nominativement désignés et les plus malheureuses ne seront totalement privées de ressources que pendant 13 mois. En théorie, les familles des personnels des FNFL non signalés pouvaient prétendre aux délégations et en cas de décès ou de disparition avérés la demi-solde.
En réalité, dans la pratique :
– d’une part, la suppression officielle des délégations de solde aux familles des dissidents nominativement désignés a été dans certains ports injustement étendue aux familles de tout le personnel servant en Grande-Bretagne ;
– d’autre part, certaines familles concernées par les secours n’ont pas eu connaissance des dispositions prises en leur faveur, mais on ne peut établir de façon certaine si la faute en revient aux services locaux du Commissariat, ou si volontairement les intéressés n’ont pas voulu ou ont craint de se faire connaître.
Il sera difficile d’établir la vérité. L’absence dans la majorité des ports de pièces comptables ne permettant pas de trancher la question.
V.A.E. (c.r.) Emile Chaline
Témoignage de Marie-Claude Drogou
Décidément, en ce temps-là, nous devions nous battre sur tous les fronts !
Ecole – lycée
Mise en quarantaine de mes camarades de classe comme « Enfant de traître »… Cette exclusion nous la partagions avec les enfants juifs qui se trouvaient dans une situation comparable.
En 1947, refus de la directrice de me faire entrer au lycée de Casablanca. Heureusement la loi était de notre côté. En tant que pupille de la Nation, elle ne pouvait, sans être elle-même sanctionnée, me fermer les portes du lycée.
Ma mère nous avait demandé de ne jamais agresser les autres enfants mais de nous défendre si on nous attaquait. Cette consigne nous la respections… mais il est souvent arrivé que ma sœur Naïc (11 ans en 1940) revienne à la maison les vêtements déchirés, les lunettes cassées par des enfants qui nous provoquaient à la sortie du lycée en nous criant « Enfant de traître ».
Vexations quotidiennes de quelques professeurs mais je dois dire, soutien de la majorité d’entre eux, comme par exemple, la surveillante générale du lycée qui veillait constamment sur moi.
Police française
Perquisition de la police française à notre domicile. Saisie d’une douzaine de lettres que mon père avait adressées à maman et qui ont servi de pièces à conviction pour le jugement. Après avoir lu ces lettres, le commissaire est revenu à titre personnel faire des excuses à ma mère. Il se sentait vraiment honteux ! Peut être s’est-il engagé par la suite ? Mon père a été condamné à mort par contumace.
Marine
Expulsion de l’appartement de fonction que nous occupions à Casablanca. Heureusement un protecteur veillait sur nous en la personne de M. du Saussey qui, quand il apprit l’entrée du Narval en dissidence, est venu voir spontanément ma mère pour lui dire qu’en cas de représailles nous pouvions compter sur lui. Il a tenu parole et, non seulement il nous a trouvé un deux pièces proche de chez lui, mais a toujours été à nos côtés pendant les « coups durs » que nous rencontrions.
Solde supprimée et rétablie je crois en 1944 par le gouvernement provisoire.
Eglise
L’Eglise « Institution » était en majorité vichyste. Nous n’avons pas tardé à nous en rendre compte :
Refus de l’aumônier de la cathédrale de Casablanca de dire une messe en souvenir des marins du Narval qu’il considérait comme traîtres à leur patrie. Face à la colère de ma mère, il a accepté de faire une messe à 6 heures du matin. Nouveau refus catégorique de cette dernière. La messe a eu lieu à 1l heures comme elle le désirait.
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