Jean-Pierre Lacroix
Éloge prononcé par le général d’armée Jean Simon en la chapelle de l’hôpital du Val-de-Grâce, le 18 octobre 1983
Il me revient, aujourd’hui le douloureux devoir de rendre, à Jean-Pierre Lacroix, l’hommage qui lui est dû, au nom de la France Libre, des SAS, ses camarades de combat, de l’Association des Français Libres et de ses nombreux amis.
En 1940, l’avenir butait sur la nuit, alors ceux qui, comme Jean-Pierre Lacroix, ne s’accommodaient pas de vivre dans la résignation et la soumission, prirent leur destin en main. L’espérance alors s’appelait de Gaulle.
Ainsi, plus de quarante années sont passées, mais notre souvenir reste intense, de ces heures où il fallait se décider et avoir le courage et la détermination de saisir les occasions qui se présentaient.
En 1940, Jean-Pierre Lacroix a 18 ans. Il suit les cours de la Faculté de Droit et de l’école libre des Sciences Politiques de Paris.
Très vite, il entre dans la Résistance, et travaille pour un réseau d’évasion des aviateurs alliés abattus en France. Il accomplit, à ce titre, de périlleuses missions en accompagnant ces aviateurs jusqu’à la frontière espagnole, où ils sont pris en charge par des organismes spécialisés Angleterre.
En 1943, pour éviter d’être arrêté, Jean-Pierre Lacroix traverse à son tour la frontière des Pyrénées. « Est détenu au camp de Miranda pendant cinq mois. » Rejoint l’Afrique du Nord et demande à servir dans une unité parachutiste de la France Libre.
Il est affecté au 3e Bataillon SAS et s’embarque à Oran sur le Cape Town Castle pour rejoindre Kilmarnock en Écosse, camp de base des SAS.
Après le stage de sauts à la Royal Air Force Training School, il fait, de jour et de nuit, pendant plusieurs mois, le dur entraînement spécifique aux SAS. Et c’est enfin le départ en opérations !
Dans la nuit du 11 au 12 août 1944, il participe à l’opération Selgrove et saute près de Bourganeuf dans la Creuse. Le but de l’opération est de ralentir la progression des troupes allemandes en provenance du sud-ouest de la France, qui se rendent en renfort vers la Normandie, en évitant les routes de la côte, par de nombreux coups de main et embuscades, et plus particulièrement le 24 août, dans la région de Châteauroux où ont été signalées d’importantes concentrations ennemies.
Le 12 septembre, avec ses camarades, Jean-Pierre Lacroix est l’un des premiers à entrer dans Châteauroux libéré. Des unités entières de SS sont capturées, et cette action abrège la durée de la guerre.
Quelques jours plus tard, ce sont les opérations de Saint-Nazaire, et en octobre, le regroupement en Champagne de tous les rescapés des 2e et 3e Bataillons SAS.
Mais la guerre continue, dure et implacable, et dans la deuxième quinzaine de décembre, l’offensive Von Rundstedt, sur les Ardennes, menace de nouveau Strasbourg (1).
La période de Noël retrouve Jean-Pierre Lacroix en surveillance sur les points importants de la région. Il s’agit, travail inhabituel pour les SAS, de détecter les Allemands déguisés en Américains.
Au début de 1945, c’est le retour en Angleterre et la reprise de l’entraînement au camp d’Ipswich dans le Suffolk.
Deux régiments de parachutistes, dont le sien, sautent dans la nuit du 6 au 7 avril 1945, dans le nord-est de la Hollande, et participent à l’opération Amherst en avant des lignes alliées.
Il prend part à de nombreuses embuscades, ce qui lui vaut la reconnaissance du peuple hollandais et une haute distinction décernée par la reine Juliana.
La Légion d’honneur, la médaille militaire, la croix de guerre, le MBE et la croix de guerre néerlandaise, viennent reconnaître ses mérites exceptionnels.
La paix revenue, il est journaliste à l’Agence France Presse au service économique, puis au bureau de Londres où, en plus de ses fonctions de rédacteur, il assiste le correspondant diplomatique et assure la rubrique des nouvelles artistiques.
Il travaille ensuite plusieurs années dans le privé, puis est chargé de mission auprès du directeur général de l’ORTF.
Le président de l’Assemblée nationale, Jacques Chaban-Delmas, toujours fidèle à ses amis, l’appelle auprès de lui à son cabinet où il est chargé des problèmes touchant l’information et la communication. Il lui remettra les insignes d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur.
Plus récemment, il sert à l’Institut national de l’audiovisuel, mais toutes ses activités du temps de paix ne lui ont jamais fait oublier ses camarades des années difficiles ou glorieuses de la France Libre.
Président de l’Amicale des anciens parachutistes SAS et des anciens commandos de la France Libre, il s’efforce toujours de renforcer les liens d’amitié et de solidarité entre eux, et d’aider discrètement certaines détresses.
Membre du comité directeur de l’Association des Français Libres, il se dépense sans compter, dans le cadre de ses activités parisiennes. Sa disponibilité, son efficacité, son total dévouement, ont grandement contribué à la bonne marche de l’Association. Sa vie, une vie d’homme, loin des mesquineries et des querelles, entièrement consacrée à son pays et au service des autres.
Nous l’aimions pour sa modestie, son courage tranquille, exempt de toute gloriole, pour sa simplicité et la fidélité de son amitié. Et il y avait aussi son sens de l’humour, ses yeux pétillants de malice, la vivacité de ses réparties toujours spirituelles et amicales.
Sa mort aura été aussi courageuse que sa vie. Conscient de la gravité de son état, toujours lucide, il a lutté longtemps sans se plaindre.
Nous avons suivi, au fil des jours et des semaines, les progrès de sa maladie, et nous vous sommes très reconnaissants, Madame, de l’avoir désespérément aidé à lutter contre ce mal implacable. Au moment où nous pensions tous qu’il l’avait surmonté, il a été emporté soudainement.
Permettez-moi, Ghislaine Lacroix, de vous assurer du soutien et de l’affection de tous les amis de votre ami, auquel vous unissaient une totale communauté de pensée et la même conception du devoir.
Je souhaite de tout cœur que les témoignages de ses camarades de combat, de ses amis, du comité directeur de l’Association des Français Libres, contribuent à atténuer votre grande douleur.
Le souvenir de Jean-Pierre Lacroix restera gravé dans nos cœurs.
(1) Indirectement car Strasbourg ne constituait pas l’objectif de l’attaque allemande.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 245, 4e trimestre 1983.