René Capitant
Avec la disparition de René Capitant, le général de Gaulle perd un de ses plus fidèles compagnons, les Français Libres, un de leurs meilleurs camarades, le Pays l’un des plus clairvoyants et des plus généreux de ses hommes d’État.
Ses nombreux amis l’admiraient; ses adversaires l’estimaient.
En nous quittant, il nous en apporte la preuve nouvelle. Car les obsèques des personnalités officielles sont souvent marquées par plus d’apparat que de recueillement. Mais le 28 mai 1970, en l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, l’émotion nous étreignait tous. On ne voyait que des visages crispés.
C’est que René Capitant n’était pas à la mesure commune : professeur des facultés de Droit, publiciste éminent, officier de réserve valeureux, Résistant audacieux, orateur fougueux, député, ministre ! voilà, certes, bien des titres distingués ou prestigieux.
Mais aucun d’eux ne rend compte de sa vraie personnalité. Rarement un homme fut aussi indifférent à la pompe extérieure et vaine. Intégrer dans les faits son idéal patriotique et social, travailler à une France toujours plus prospère, mais aussi toujours plus pure, généreuse, plus humaine, cela seul lui importait.
La silhouette massive, le regard souvent malicieux mais toujours bienveillant, volontiers bouillant dans les controverses, l’homme, dès l’abord, insufflait l’optimisme. Et si les rencontres se multipliaient, l’amitié, l’affection, ne tardaient pas à naître.
René Capitant naquit en Dauphiné d’un père qui fut un des maîtres du droit civil français. Ayant quant à lui opté pour le public, l’essence de son œuvre, le principe de son action furent toujours de faire de la démocratie non pas un simple idéal abstrait, mais une réalité. Sa foi patriotique et républicaine était communicative et il conquit ainsi à la Résistance bien des hommes qui, sans lui, fussent restés des tièdes et des hésitants.
Ce dauphinois devenu professeur à la faculté de Droit de Strasbourg dans les « années trente » dénonça aussitôt le péril hitlérien, avec un vigueur et une lucidité qui, si elles avaient été partagées par les « élites » et les masses de ce pays, nous eussent épargné la plus sanglante des tragédies. En 1939, il fut mobilisé comme officier de chars: et ce fut, lors de la campagne de 1940, sa première rencontre avec le général de Gaulle.
Après l’effondrement de juin 1940, il fut des premiers à saisir toute la portée de l’Appel du 18 Juin.
L’université de Strasbourg ayant été repliée à Clermont-Ferrand, dès cette époque René Capitant se consacra aux premières organisations de Résistance, aux premiers journaux clandestins, distribuant et faisant distribuer lui-même dès août 1940 « Poignées de Vérité » en accord avec François de Menthon et Marcel Prélot.
Il demanda bientôt sa nomination à Alger et, prenant congé de ses étudiants de Clermont, il se fit acclamer, leur donnant rendez-vous pour le jour de la victoire et lançant sa formule prophétique : « La route de Strasbourg passe par Alger ».
Novembre 1942 ! Les Alliés débarquent en Afrique du Nord. Capitant est de ceux qui ont coopéré aux préparatifs du débarquement. Mais les représentants du gouvernement de Washington, dans un premier temps, ont recours hélas aux « expédients provisoires. » Darlan prend le pouvoir. Puis après l’exécution de celui-ci par le jeune Bonnier de la Chapelle, un certain entourage du général Giraud, les anciens proconsuls nommés par Vichy (le gouverneur Chatel, le général Bergeret, etc.) traquent les gaullistes plus âprement que jamais.
Paradoxalement, les patriotes qui ont aidé au débarquement sont arrêtés ou doivent prendre le maquis. Capitant est dans ce dernier cas. Mais bientôt, après l’entrevue Churchill-Roosevelt-de Gaulle-Giraud d’Anfa-Casablanca, fin janvier 1943, l’atmosphère commença à évoluer. Et, Capitant, chef du mouvement « Combat » d’outre-mer, fut un des meilleurs et des plus actifs artisans des progrès puis de la prédominance de l’esprit gaulliste et républicain en Afrique du Nord comme dans la Résistance métropolitaine.
Lorsque le général de Gaulle, venant de Londres, arrive à Alger, en mai 1943, il y est triomphalement accueilli. Au mois de novembre 1943, le Comité bicéphale, dirigé conjointement par les généraux de Gaulle et Giraud fait place au Comité Français de la Libération Nationale, présidé par le seul général de Gaulle. René Capitant se voit alors confier le commissariat à l’Éducation nationale transformé, lors du débarquement allié dans la métropole, en ministère de l’Éducation nationale du gouvernement provisoire de la République française.
L’œuvre administrative de René Capitant, en tant que ministre de l’Éducation nationale, tant à Alger qu’à Paris après la Libération, fut prodigieuse et l’historien pourra facilement constater que c’est lui qui désigna à la tête des divers ordres d’enseignement et des diverses institutions culturelles.
Bibliothèques, archives, arts et lettres, recherche scientifique, bureau universitaire de statistique, toutes les équipes de grands fonctionnaires et de techniciens d’élite qui, dans la France convalescente, allaient assurer le renouveau de la culture française et de l’esprit de liberté. Ainsi, ce grand idéaliste était un incomparable réalisateur.
Militant du gaullisme en sa tendance la plus démocratique, René Capitant représentera à l’Assemblée nationale d’abord Strasbourg en 1945, puis Paris en 1946, 1962, 1967 et 1968.
En juin 1968, il est désigné comme garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il se consacrera de toutes ses forces à la réalisation et à la mise en forme juridique de la « Participation » sous la double forme, de l’association des travailleurs aux bénéfices et de leur coopération à la gestion de l’entreprise. L’enthousiasme sans réserve avec lequel il s’est donné à cette mission a peut-être, hélas, contribué à abréger une vie si pleine, si riche de dévouement.
À l’heure présente, tous les camarades de combat, tous les amis de ce grand Français, tournent leur pensée vers Mme René Capitant qui fut la compagne de ses luttes, la confidente de ses pensées, et vers ses enfants, qui en leurs activités respectives (et notamment scientifiques) font preuve, eux aussi, de cette ardeur généreuse dont leur père a toujours témoigné.
Leur immense chagrin est aussi le nôtre.
Les Français Libres n’oublieront jamais la personnalité et l’œuvre exemplaires de René Capitant.
Jean Labert
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 186, juin-juillet 1970.