Dernières lettres d’André Cholet
Né en 1901, André Cholet est un ingénieur radio, diplômé des Arts et Métiers. Artisan monteur-dépanneur de poste TSF à Levallois-Perret dans les années 1930, il sert dans l’artillerie en 1939-1940. Fait prisonnier, il s’échappe et rejoint les siens en région parisienne, avant d’entrer dans le réseau de renseignements de Gilbert Renault, dit Rémy, en 1941. D’abord chargé de l’entretien et de la réparation des postes émetteurs-récepteurs, il se voit bientôt confier l’installation d’antennes, de postes, la répartition des quartz, la ventilation des messages à expédier et la remise des messages reçus, avant d’être remplacé à la tête de la cellule radio du réseau CND-Castille par un opérateur radio (pseudonyme Phœbus). En mars 1942, Phœbus est pris par les agents de l’Abwher. Interrogé, il parle, et 14 agents sont capturés. Arrêté à son domicile, il a le temps de faire cacher par son fils son carnet de rendez-vous. Jugé par un tribunal militaire allemand le 26 mars 1943 après un an de détention à Fresnes, il est condamné à mort avec onze de ses camarades après deux semaines de procès. Le jeudi 13 mai 1943, après une ultime visite exceptionnellement longue de sa femme et de son fils, les douze hommes sont fusillés, trois par trois, au Mont Valérien, entre 16 h et 16 h 45. Avant d’être conduit sur le lieu de son exécution, il trouve le temps d’écrire deux lettres, les dernières, l’une à son fils, l’autre à son épouse.
À son fils :
Ce 13 mai 1943
Mon petit Jean-Louis,
Dans quelques heures je ne serai plus. Ce sont mes derniers conseils et prières que je vais t’adresser.
Sois toujours sage et travaille toujours bien. Franchise et loyauté doit toujours être ta devise. Aide et soutiens Mammy que je te confie comme à un grand garçon que tu es maintenant.
Pense toujours à moi, et demande-toi, lorsque tu feras quelque chose, ce que ton Dad aurait pensé.
J’ai pu t’embrasser ce matin pour la dernière fois. J’emporte ainsi avec moi le souvenir de ces derniers instants.
Je te donne mon Missel. Si tu ne sais pas suivre une messe dessus, demande à un abbé de te montrer.
Sois sage. Mon petit, je t’embrasse comme je t’aime. Je serai près de toi dans la vie qui s’ouvre devant toi.
Avec mes dernières tendresses et mes plus doux baisers.
Dad
À son épouse :
Ce 13 mai 1943
Ma petite chérie, mon amour,
Je t’ai vu ce matin – pour la dernière fois – je l’ai su vers midi – que notre sort était décidé et qu’à 4 heures nous serons fusillés. Tu ne le sauras probablement que bien après quand tout sera fini. Pardon ma petite de briser ainsi ta vie, j’aurais voulu pouvoir continuer à te rendre heureuse mais hélas cela ne devait pas être. Ce que je vais te demander c’est de vivre, si tu peux, pour ton petit car il est bien jeune encore. Si, comme je le souhaite, tu arrives à survivre de cette douleur, ma grande aimée, tu sauras que je suis mort pour la France. Je n’ai qu’un regret, c’est toi – mon petit – et Jean-Lou.
Je sais que cela sera dur pour toi, très dur, mais en souvenir de moi, fais-le pour notre fils.
Naturellement j’ai vu l’aumônier , et je lui ai donné ton dernier petit mouchoir.
Que te dire d’autre que tu ne saches. Que jusqu’à mon dernier instant je penserai à toi, à tous les doux et tendres instants passés avec toi, toujours j’ai pensé à toi, et je continuerai jusqu’à mon dernier instant.
Je t’ai rendue, je crois, heureuse, si dans le cours de ces 17 ans je t’ai dit ou fait des chagrins, je t’en demande pardon.
Je te laisse le soin d’annoncer à Edith cette nouvelle. Car une lettre pourrait arriver et, vu la façon de se comporter d’Edith, il est préférable que tu le lui dises – ou comme tu le jugeras bon. Remercie ceux qui se sont occupé de toi et t’ont témoigné et te témoigneront encore leur sympathie.
Je t’aime, ma petite, ma chérie – c’est tout ce que je peux te dire – toi qui a été la seule que j’ai aimée dans toute ma vie. Mes derniers et plus doux baisers. Ton Dad qui signe pour la dernière fois. Je t’aime.
A. Cholet
J’ai encore le temps de te parler ma petite, comme si tu étais encore là près de moi, derrière ce grillage. Pour ce dernier jour tu étais belle comme tu ne l’as jamais été et quelle peine est maintenant la tienne. Je voudrais être encore à cet instant. Hélas à quatre heures, cela sera terminé. Je t’envoie mes derniers baisers, mes plus douces caresses, et en pensée je t’embrasse comme tu aimais, comme je ne pourrai plus le faire.
Je sais que le choc sera terrible, ma douce chérie. Sois forte – si tu le peux – pour ton petit – et en souvenir de moi.
Pour toi un cauchemar fini, un autre commence. Ce calvaire, tu seras seule avec ton petit. Mais je serais près de vous deux.
Les derniers instants que je vis – près de moi Roger -courageux – comme moi, nous saurons mourir en Français.
Pour ta situation, que puis-je te dire – tu as autour de toi des amies et amis qui sûrement t’aideront, mais avec ta fierté il sera difficile de t’aider.
Je mets un point final, comme à ma vie, à cette lettre.
Toutes mes pensées à toi, ma grande, à mon petit. Toutes mes caresses. Tous mes plus doux et plus tendres baisers, toi ma grande chérie.
Ton Dad.
Embrasse mon petit pour moi.
Embrasse Maman pour moi, ainsi qu’Edith.
Amitiés à tous ceux qui m’ont connu.
Extrait de Fondation de la France Libre, n° 29, septembre 2008.