Le ralliement de Marcel Florein et Georges Klein (1941)
Un extraordinaire exploit
Voici de larges extraits d’un article paru en 1958 dans la Voix de la Résistance et qui relate l’odyssée de notre camarade Marcel Florein qui utilisa, pour rallier la France Libre, un moyen peu commun en décembre 1941.
1941. – Ancien aviateur, je travaillais sous l’occupation chez Caudron-Renault. Jusque-là, toutes les filières que j’avais trouvées pour rallier l’Angleterre avaient craqué les unes après les autres.
Le soir, en revenant de l’usine, j’enrageais d’entendre à la radio de Londres le colonel Valin narrer les exploits des escadrilles Lorraine, Alsace et Bretagne, alors que je me morfondais dans un Paris occupé.
N’y tenant plus, je décidai de tenter ma chance et je me mis à étudier des plans d’évasion. Au début de décembre 1941, je fis la connaissance à l’usine d’Issy-les-Moulineaux d’un jeune mécanicien de 19 ans, Georges Klein, à qui je me confiai et qui accepta de partir avec moi.
L’usine sortait, à cette époque, pour le compte de Vichy et des Allemands, des Goélands bimoteurs de liaison qui pouvaient emporter de l’essence pour environ une heure et quart de vol tout juste le temps d’une traversée avec un peu de chance.
C’est le 10 décembre, le grand jour. En me réveillant je constate que le vent est sud-ouest, bon présage. Je fourre quelques pauvres souvenirs dans ma petite mallette et je traverse Paris en métro pour me rendre à l’usine. J’y retrouve Klein aussi contracté que moi. Il n’a jamais volé de sa vie, quant à moi, voici dix-huit mois que je n’ai pas tenu un manche à balai.
Dans l’après-midi, une occasion se présente : sur la piste deux Goélands attendent, l’un porte les couleurs nazies, l’autre celles de Vichy. Malgré l’interdiction, nous nous approchons des appareils avec Klein. Un mécanicien français travaille à bord de l’avion portant les marques allemandes, nous sautons dans l’autre. Manque de chance, il est dépourvu de batteries, impossible de démarrer. Nous restons accroupis dans la carlingue en suant à grosses gouttes malgré le froid.
Une heure passe, nous envisageons d’attaquer le mécano de l’appareil voisin lorsqu’en sifflotant il s’éloigne enfin vers les hangars. En deux bonds nous sommes dans l’appareil, les moteurs démarrent docilement ; un ennui : le siège est très profond car il est prévu pour un pilote muni d’un parachute dorsal, je glisse ma mallette dans mon dos et peux ainsi atteindre le palonnier. Un coup d’oeil aux instruments de bord qui me glace d’effroi : les jauges indiquant 60 litres d’essence dans le réservoir droit, 110 litres dans celui de gauche. Une chute à peu près certaine avant d’arriver au but, à moins que je réussisse à voler sur un seul moteur !
Pour décoller, je vais chercher le bout de piste où des soldats allemands sont à l’exercice auprès d’un char. C’est alors que je m’aperçois que les commandes des gaz de cet avion fabriqué pour les Allemands sont disposées en sens inverse ; du coup, je rate mon envol et suis obligé d’aller rechercher le bout de piste sous les yeux des soldats qui se moquent de ce pilote maladroit. Je leur fais un petit signe protecteur de la main et relance mes moteurs.
Bon décollage, cette fois, en évitant de justesse les cheminées d’usines environnantes. Cap sur l’Angleterre en s’orientant comme on peut au milieu des nuages bas.
L’essence baisse dangereusement, nous approchons du Tréport. Attention aux batteries de côtes, notre escapade a dû être signalée. Le plafond est de 100 mètres, nous volons en rase-mottes ; la nuit va bientôt tomber ; le réservoir de droite est presque vide.
Nous survolons maintenant la mer à 220 km/h, le moteur droit tourne toujours, il reste 55 litres dans le réservoir de gauche. Les nuages sont tellement bas que nous sommes obligés de frôler les vagues. Une bande grise, est-ce enfin la terre ? Hélas ! non, un courant un peu plus foncé va se présenter, nos croix gammées ne vont pas passer inaperçues des guetteurs britanniques.
Terre ! Une falaise blanchâtre entre l’eau glauque et le ciel gris sombre. La plage est jonchée de chevaux de frise, impossible de s’y poser. Je saute la falaise de justesse et tombe de l’autre côté sur un camp militaire où tous les occupants se précipitent sur leurs armes.
Tandis que je cherche un terrain convenable, mon passager agite par la lucarne son mouchoir blanc. Des rafales de mitrailleuses commencent à nous entourer. Une bande caillouteuse mal nivelée, tant pis, nous n’avons plus le choix, je pose l’appareil qui cahote et finit par capoter dans un grand bruit de tôle froissée. Nous sautons de l’épave et tombons dans les bras l’un de l’autre. On y est !
Baïonnettes au canon, des soldats anglais nous entourent. Nous ne devons pas avoir l’air bien dangereux car ils nous sourient aimablement. Des officiers nous interrogent. Si nous avions volé à 10 mètres plus haut, nous aurions été pris dans le faisceau des radars et la chasse nous aurait attaqués. Si nous nous étions posés 50 mètres plus loin, nous nous serions trouvés dans un champ de mines. Ouf ! quelle journée !
Puis ce fut pour nous la longue chaîne des interrogatoires qui nous conduisit jusqu’à Patriotic School où l’on rassemblait tous les évadés.
Un jour, nous eûmes le grand honneur d’être présentés, Klein et moi, au général de Gaulle qui nous reçut dans son bureau.
Enfin arriva le moment où nous fûmes admis à signer notre engagement dans les Forces Aériennes Françaises Libres, Klein comme 2e classe, moi comme adjudant.
Marcel Florein
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 165, novembre-décembre 1966.