De Vannes à Londres, par Maurice Gaubert
Avec mon commandant, nous visitons le camp de Meucon, les cantonnements de Muzillac, de Grand-Champs, nous avons rencontré le commandant Pillière, il prépare la défense du camp…
J’ai reçu deux lettres du Mans, mes chéris me disent qu’ils se préparent à partir vers le S.-O. si seulement ils en ont le temps.
Le quartier est consigné, les hommes désarmés, oui le maréchal Pétain a signé l’armistice, la défaite… cela ne va pas.
Le général de Gaulle, depuis l’Angleterre, fait un appel à tous les Français. Je suis prêt à partir avec lui. 17 heures, la cour est en pleine effervescence, le 505e et le 509e sont sur le départ. À 18 heures, le 507e parle aussi de départ mais tous ne sont pas de cet avis, nos petits bleus sont très excités eux, ces braves qui hier chantaient encore « et l’on ira laver notre linge sur la ligne Siegfried » certains retrouvent des vêtements civils, je suis content pour eux.
Les camions de la S.H.R. sont dans la cour, moteurs en route, les Allemands sont au camp de Coëtquidan, un jeune lieutenant en vient, il y a été désarmé par l’ennemi une heure avant et a récupéré une voiture pour se sauver… Les officiers restants sont dans le bureau du commandant, ordre du bureau de la Place, Vannes est déclarée ville ouverte, moi j’ai gardé mon vieux 93 et 8 cartouches. 23 heures, le lieutenant Pierre prend le commandement du convoi et dit se diriger vers La Roche-Bernard, La Rochelle, Rochefort… Voici les mauvais bruits ; les ponts ont sauté à La Roche et à Nantes… cinquième colonne !
1 heure du matin, je refais des adieux à mon commandant qui me dit ses regrets de ne pouvoir prendre la même route que moi mais veut servir ici la cause de De Gaulle son ami de promotion… et me demande de continuer ma route avec sa voiture (si la chose avait été autrement j’avais une deuxième clef). Merci mon commandant.
1 h 40, presque personne à la caserne, je récupère mes objets de toilette et de la route…
Aucun ne voulant venir avec moi, je suis seul avec la Citroën sur la route de Nantes, j’entends des crépitements… les ponts de La Roche-Bernard ne sont pas sautés, après ces ponts, deux voitures belges, comme la mienne sans lumière. 4 heures, je passe les ponts de Nantes, minés et gardés, avec mon laissez-passer tout va bien. Trois jeunes aviateurs de Rennes montent avec moi, voici des avions qui nous mitraillent et une bombe pas tombée loin… un des aviateurs a très peur, ne sait où se mettre, le pauvre… Là, nous comptons prendre un artilleur, cela marche, il monte aussi, nous voici donc cinq. Partout où nous passons, La Rochelle, Rochefort, pas de trace du 507e, mon régiment. Bordeaux à 11 h 30. Bombardement. 12 h 30, Mérignac, le commandant du terrain d’aviation voulant nous mettre en taule, je lui présente mon ordre de mission, cela semble s’arranger mais surtout ne pas quitter le camp. Pas moyen d’avoir un litre de gazoline, la cinquième colonne est là, cela se sent, rien à faire pour sortir par les grilles, avec la voiture nous prenons, en douce, le chemin de ronde, en bout de piste nous sortons du camp entraînant avec nous un cheval de frise, la sentinelle, n’ayant pas voulu nous laisser passer, a subi quelques écorchures… nous voici à 3 kilomètres de ce maudit camp, le compteur essence est à zéro, voici notre chance, une grosse américaine au fossé, nous vidangeons son réservoir, elle a été mitraillée au sol, nous en avions pas mal vu comme cela depuis deux jours, nous aussi avions été au fossé sans grand dégât, nous avons retiré les fils de fer barbelés qui s’étaient enroulés aux cardans de la Citroën…
21 juin 1940. Saint-Jean-de-Luz, midi, avec le commandant du port, des accords sont pris, je remets la Citroën n° 242 583 à un caporal-chef. Mes amis de route sont près de moi, tous ne sont pas d’accord, deux aviateurs se dégonflent, je ne change pas d’avis, surtout que nous avons la chance de pouvoir embarquer et de répondre « OUI » à l’appel de De Gaulle, avec l’artilleur et un autre aviateur trouvé là, les deux du voyage et moi, nous voici donc cinq volontaires sur la route de la continuité.
Nous signons un papier à l’Hôtel de la Baleine, là, deux marins pêcheurs nous prennent en charge, ici la résistance est bien en place, mais il est utile de prendre des précautions, ces braves nous ont payé un casse-croûte… La nuit venue, la mer grosse, à bord de la petite barque des pêcheurs, de là, nous embarquons sur le Sobieski, tout proche se trouve le Batory, deux bateaux polonais venus récupérer le restant des armées polonaises en retraite depuis les Alpes. Pour embarquer, nous avions échangé nos vêtements et nos bérets avec des soldats polonais, sans quoi, nous ne montions pas à bord, eux aussi sont pour la continuité. 15 heures, l’on nous donne à manger, menu anglais. 17 heures, « adieux et au revoir » aux miens et à mon pays.
22 juin 1940 : le Batory nous suit, voici une alerte, d’autres suivront.
23 juin : en rade de Plymouth, retard pour notre débarquement, un espion est à bord, à 10 h 30, il est retrouvé, pied à terre, bon accueil.
Départ de Plymouth à 18 h 30.
Liverpool, nous avons pris un autobus à étages ; vive les légionnaires français, les Anglais nous font fête. Nous étions 250 volontaires à l’arrivée au camp de « Trentham-Park » grand parc royal avec ses arbres, ses lacs, ses cygnes et ses poissons. Nous couchons sous la tente, du vrai camping, faisant notre cuisine… Ici, nous avons à choisir pour continuer la lutte contre les Allemands avec de Gaulle, ou dans l’armée anglaise, ou comme civil, employé en usine et en dernier, être rapatrié en France. J’ai, bien sûr, signé la première proposition. Je suis séparé de mes camarades de voyage, hélas ! nous étions devenus des amis, dans ma guitoune, de sept, tous ne sont pas d’accord avec moi, deux seulement !!!
Les Anglais font le nécessaire pour rapatrier les défaillants, eux ces drôles qui avaient, comme nous, la chance d’être parmi les bons Français, certains de ces soldats avaient fait la Norvège et Dunkerque, nous avons peu après de leurs nouvelles, le Meknès est coulé, il y a 70 % de rescapés. De mon côté, je passe dans les cantonnements pour rallier des hésitants, je reçois des coups, des godasses, des boîtes de conserve… Je crois malgré cela avoir fait changer d’avis à plus de vingt…
14 juillet 1940 : nos soldats de la France Libre défilent à Londres…
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 158, septembre-octobre 1965 (l’article reprend un passage du livre Les Éléphants ont de la mémoire de l’ex-sergent Maurice Gaubert).