Les Comités de la France Libre au Canada et en Egypte

Les Comités de la France Libre au Canada et en Egypte

Les Comités de la France Libre au Canada et en Egypte

Dès juin 1940 des Français de l’étranger donnèrent leur adhésion fervente au général de Gaulle et organisèrent des comités qui, pendant toute la guerre, eurent la mission de faire connaître l’esprit et les combats de la France Libre à l’opinion étrangère qu’avaient décontenancée les armistices, de recueillir des fonds pour aider le comité de Londres, de lui envoyer des soldats, d’aider les familles des volontaires partis au feu.

Ces comités ont accompli une grande œuvre pour la France. Nous rapportons ici des souvenirs sur la fondation et les premières activités de certains qui comptèrent parmi les plus dévoués.

Au Canada

Le C.V. d’Argenlieu à Québec en 1941, de gauche à droite : Mlle de Miribel, E.V. Savary, C.V. d’Argenlieu, M., Mlle et Mme Simard (RFL).

Québec, juin 1940. Semaines, jours, heures d’angoisse où nous ne vivions que dans l’attente des nouvelles… et d’un éphémère espoir… chaque émission crevait nos cœurs, révoltait nos raisons qui ne comprenaient pas… Nous attendions des noms, des noms de chefs militaires et politiques, de ces noms dans lesquels nous avions crus ! Dans chaque bulletin de dernière heure nous cherchions la vérité, enfin, elle fut horrible, cette vérité lancée sur toutes les ondes : la France a capitulé sans conditions.

Ce jour-là, Louis Francœur, journaliste canadien français, chargé de commenter les nouvelles à Radio Canada, n’a pu continuer à lire son texte, les mots France… capitulé… se sont étouffés dans un sanglot : on dut couper et le remplacer. Louis Francœur est mort tragiquement dans le printemps 1941, il n’a pas vu la libération de la France et nous Français, avons perdu trop tôt un ami au grand cœur.

Dans mon foyer, avec mon mari qui est aussi un Canadien Français, nous vivions douloureusement cette période ; en regardant mes yeux pleins de larmes, mon mari me console : « Attends, tu vas voir, tu sais bien que la France est trop riche en valeurs militaires et civiques, pour accepter ainsi une capitulation alors qu’il y a les colonies ! Il va surgir un porte-drapeau… » Mon mari pressentait avant moi l’épopée de la France Libre. Un nom est lancé sur les ondes, le général de Gaulle appelle les Forces françaises éparses à se rassembler autour de lui pour l’honneur de la France, honneur piétiné mais encore existant.

En septembre, je vois un jour arriver chez moi une grande jeune fille, vêtue d’une robe de lainage noir, éclairée d’un petit col de dentelle blanche, l’air étudiante d’un collège religieux, c’était Élisabeth de Miribel. Nous ne nous connaissions pas, elle était au Canada depuis deux mois, nos pensées nous avaient réunies pour notre vie.

C’est dans la salle à manger, autour de sa grande table, que pour la première fois des amis canadiens se sont groupés dans notre foi en l’appel du chef des Français libres, pour former un comité, avec statuts et raisons d’activité future, d’où est né le premier comité de la France Libre au Canada. Peu de temps après, « France Libre, District de Québec » y était légalement inscrit suivant les lois qui régissent les œuvres de guerre au Canada.

Dès le début des hostilités en 1939, la possibilité m’ayant été donnée d’organiser une société sous le nom d’Aide canadienne aux combattants de langue française, je reportais vers les mêmes combattants de 1940 l’intérêt que cette société manifestait auparavant aux soldats de notre armée. Le pas était vite fait. Il n’est pas douteux que l’objet ultime du mouvement de la France Libre au Canada était d’aider moralement et financièrement les F.F.L. Mais le cas de quelques Français qui exprimèrent un peu trop haut, dans des milieux canadiens, que « notre guerre était finie », imposait à la France Libre le devoir de leur rappeler que le Canada où ils vivaient et dont ils vivaient était en guerre. France Libre devait aider le Canada à faire sa guerre tout en sauvegardant un empire moral français. Telle fut immédiatement notre action.

Nous ne savions que peu de choses sur la formation des organismes France Libre de Londres. Nous étions tous d’accord sur l’importance de faire venir au Canada une grande figure militaire et religieuse dans la personne du commandant Georges d’Argenlieu. Un chevalier sans peur et sans reproche, fidèle à sa foi et à son honneur et qui payait de sa personne. Il venait d’être blessé par des balles françaises à Dakar.

Au début de mars 1941, le commandant d’Argenlieu a été reçu à Québec avec tous les égards. Les amis de la France ont rivalisé de courtoisie à son endroit.

Avec tact, discrétion, modération, il a dit nettement l’objet de son voyage, ce qu’il sait, lui, le plus irréprochable des hommes. Dès son départ, nous avons profité des excellents résultats de sa mission pour organiser la diffusion de la doctrine de la France Libre, élaborer des projets pour réunir le plus grand nombre possible d’adhérents et de sympathisants. C’est à la croix de Lorraine que je dois votre fidèle et bienveillante amitié, amiral d’Argenlieu.

Nous avions chaque semaine des émissions de T.S.F., l’une à Radio-État, l’autre à un poste local. Nous organisions des causeries supplémentaires pour le 18-Juin et le 14-Juillet. Français et Canadiens, nos amis prenaient part à ces émissions radiophoniques avec des textes qui ne manquaient jamais d’intérêt. Comment oublier l’inlassable dévouement d’un compagnon de la première heure, Pierre Chaloult, jeune Canadien Français, dont l’intelligence cultivée fut tout acquise à l’esprit de la France Libre. Nombreux sont ceux qui avaient à cœur de dire hautement, publiquement, leur foi en la France et dans le général de Gaulle. Nous vendions avec facilité des insignes à croix de Lorraine. Combien de fois remarquions-nous cette croix sur les vêtements d’inconnus, de tout âge et même sur l’agent de police conduisant le trafic au carrefour des rues… Le maire de Québec, M. Borne, Français d’origine, a offert à France Libre un bureau officiel au palais Montcalm, édifice municipal. C’est là où pendant quatre ans, un tricolore à croix de Lorraine flottant à une fenêtre, indiquait à tous ceux qui cherchaient la voie honorable où se renseigner. La porte était toujours ouverte aux bonnes volontés et à toute explication. Je ne peux évoquer le souvenir de ce sympathique local sans mentionner des très chers collaborateurs qui furent les infatigables secrétaires de France Libre : André Verrier, qui a rejoint Londres, Mme Solange Briggs, aujourd’hui professeur au collège Marie de France de Montréal, et Paule Langlois, jeune canadienne française de Québec, restée fidèle à me seconder.

Je pense à notre petit groupe, une douzaine, peut-être… dont une dizaine de Canadiens… en mai 1941, autour de la statue de Sainte Jeanne d’Arc, déposant une croix de Lorraine en fleurs. Nous fûmes plus nombreux l’année d’après… et encore plus la et les suivantes. Nous avions tous les honneurs militaires, de glorieuses figures de la France Libre en furent témoins, notre croix de Lorraine toutes en fleurs s’imposait, seule, sur le talus, aux pieds de la patronne de la France. Depuis la Libération, de nombreuses couronnes déposées par diverses sociétés françaises s’alignent aussi sur le même talus… et la croix de Lorraine ne cède pas sa place…

Mme Marthe Simard

En Égypte

Dix ans déjà ! Dix ans seulement ! que les Français d’Égypte recevaient, comme un coup de massue, la douloureuse nouvelle de l’occupation de la France par les Allemands et la signature de l’armistice de juin 1940.

Un an auparavant, Le Caire avait assisté avec une profonde émotion au départ des Français mobilisés qui, dans un enthousiasme et un élan dignes des anciens de 1914, allaient rejoindre à Beyrouth l’armée Weygand dans laquelle ils avaient une confiance absolue manifestée hautement au général lui-même lors de son passage en Égypte.

Aussi quelle ne fut pas la consternation générale en apprenant que la France avait capitulé et était livrée à la servitude ! Comment accepter l’idée que la guerre fut terminée ? La réaction violente du sentiment national ne devait pas tarder à se manifester. Dans la volonté de vaincre quand même, les ressortissants français d’Égypte conservaient « foi en la France ».

Convoquée immédiatement à la Maison de France, la colonie française, d’un seul cœur, approuvait le télégramme suivant qui fut envoyé au président Lebrun à Bordeaux, au général Weygand en France, à M. Peyrouton à Tunis, au général Noguès au Maroc, au général Legentilhomme à Djibouti et aussi au général Mittelhauser à Beyrouth : « La colonie française du Caire adresse son plus vibrant témoignage d’admiration à nos armées qui, combattant avec une héroïque vaillance contre un ennemi supérieur en nombre et disposant de moyens mécaniques écrasants, ont grandi notre patrimoine d’honneur national. Quel que soit le trouble qu’entraînent une grande bataille perdue et l’invasion ennemie de la France métropolitaine, quelles que soient les souffrances qu’endurent déjà et qui menacent plus encore tous nos malheureux réfugiés, parmi lesquels se trouvent des femmes, des enfants et des parents de Français du Caire, transiger avec l’honneur, avec la parole donnée à nos Alliés, compromettre la cause commune et l’avenir de la France serait une impossibilité française. Contre une telle transaction s’élèvent les Français du Caire, résolus aux pires sacrifices et décidés à continuer une lutte qui n’est pas sans espoir. « Le territoire de la France fut-il totalement envahi, la lutte doit continuer par l’empire français, à côté de nos fidèles Alliés britanniques, jusqu’à la victoire finale ». La colonie française du Caire met avec enthousiasme et avec la plus ferme résolution, tous ses biens, toutes ses forces au service de la France. »

En réponse à cette communication, des remerciements chaleureux arrivaient bientôt du général Mittelhauser qui alors commandait en chef le théâtre des opérations en Méditerranée orientale et qui ajoutait : « L’armée et la colonie française du Levant sont d’accord avec les signataires de votre message ».

Encouragés par cette assurance, et bien loin de songer que les velléités de résistance du général Mittelhauser devaient bientôt se briser, les Français du Caire ainsi que ceux d’Alexandrie décidèrent, le 24 juin, de créer un comité national français en même temps que le général de Gaulle, après son appel historique du 18-Juin, prenait sous son autorité tous les citoyens français résidant en territoire britannique.

La France Libre était née : et le 7 juillet une première assemblée restreinte sanctionnait la constitution du comité national français d’Égypte. Le 24 juillet, ce comité tiendra sa première séance plénière et élira son premier bureau qui se compose ainsi : M. le baron de Benoist, agent supérieur de la compagnie du canal de Suez ; le colonel de Larminat arrivé de Beyrouth ; le R. P. Carrière qui deviendra vice-président de l’Assemblée consultative d’Alger et ensuite de Paris ; M. Georges Gorse, aujourd’hui député de la Vendée, sous-secrétaire d’État ; MM. Victor Zagdoun, Raoul et Roland Boniteau et le docteur J. Malartre. À son ordre du jour, le comité consacre l’autorité du général de Gaulle sur tous les Français libres qui optent pour la résistance et décide de combattre jusqu’au bout à ses côtés. Dans ce comité prennent alors une place d’honneur M. le baron de Benoist et une grande partie de son personnel de la compagnie du canal de Suez qui, dans une situation extrêmement délicate et sur ce point stratégique d’importance mondiale, joueront un si grand rôle dans la résistance en Égypte et en Orient et défendront si dignement les intérêts de la France.

Le comité national français d’Égypte, définitivement constitué, fit honneur à sa parole. Est-il besoin d’insister sur son développement qui devait exercer une influence capitale sur le redressement français en Orient et plus tard en Afrique ?

Au siège central du Caire, en effet, s’étaient jointes les délégations d’Alexandrie, d’Ismaïlia, de Port-Saïd, de Suez qui toutes contribuèrent à la formation des comités F.L. de Grèce, de Turquie et des Indes.

De Syrie, de Palestine, à pied, à cheval ou même en camion, le plus souvent avec leurs armes, arrivèrent alors, individuellement ou par petits groupes, des officiers et soldats français qui répondaient à l’appel du général de Gaulle et refusaient de s’acclimater à la défaite. Tout un bataillon d’infanterie coloniale cantonné à Chypre s’embarquait même le premier pour arriver à Port-Saïd.

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Le général Sir Archibald Wavell passe en revue le B.I.M. (RFL).

À Moascar fut alors mis sur pied le premier bataillon d’infanterie coloniale qui reprit l’ancien nom d’infanterie de marine (B.I.M.). Une cérémonie magnifique eut lieu à cette occasion. Sir Miles Lampson, ambassadeur d’Angleterre au Caire (devenu Lord Killearn) y assistait avec M. le Baron de Benoist. Deux drapeaux, symboles de notre alliance confirmée, l’un anglais et l’autre français, furent remis à la nouvelle formation. Ainsi naquit et se constitua la première unité française du Moyen-Orient qui bientôt allait rejoindre l’armée anglaise dans le Western Desert, tandis qu’une partie gagnait l’Érythrée où elle devait se joindre à la 13e demi-brigade de la Légion étrangère sous les ordres du colonel Monclar (aujourd’hui général).

La colonie française d’Égypte, pendant ce temps, fondait des hôpitaux et des maisons d’accueil, soignait les blessés, recueillait les permissionnaires, soutenait les troupes de ses encouragements et de ses précieux colis. M. Antony Eden, ministre de la Guerre britannique, a pu déclarer dans une réunion du comité national d’Égypte : « L’existence du mouvement France Libre assure à votre pays le droit à la parole le jour où le monstrueux régime de Hitler et de Mussolini sera tombé ».

Comme l’avait demandé solennellement le général de Gaulle, les Français libres d’Égypte, comme les autres, n’avaient jamais perdu « leur foi en la France ».

Révérend Père Carrière, 0rdres des Prêcheurs

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 29, juin 1950.