Les conditions extérieures du ralliement des territoires de l’Afrique française libre, par le général de Larminat
Le ralliement de ces territoires a résulté essentiellement :
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La mission envoyée par le général de Gaulle pour le représenter en Afrique et prendre toutes initiatives en vue du ralliement des territoires français arrive à Lagos sur hydravion Sunderland Le Clyde, le 10 août. Elle comprend le commandant Leclerc, René Pleven et le capitaine de Boislambert. Elle dispose du commandant Parant, qui l’a précédée avec mission d’organiser et commander un millier de tirailleurs africains, détachement de renfort pour la France en juin 1940, qui a été détourné sur la Grande-Bretagne et renvoyé en Gold Coast. Elle dispose aussi d’un détachement d’environ 400 hommes de haute qualité et très encadrés, qui ont passé de la Haute-Volta en Gold Coast.
De mon côté, après des tentatives infructueuses au Levant et Djibouti, dès mon retour au Caire fin juillet, j’ai télégraphié au général de Gaulle pour lui demander ses instructions, et en ai reçu celle de rejoindre Londres où il me destine le poste de chef d’état-major. Je me prépare à prendre le bateau pour faire le tour par le Cap – c’est à l’époque la voie normale – quand l’état-major du Middle-East au Caire, apprenant l’envoi du Sunderland à Lagos, a l’idée de me le faire utiliser en retour et me dirige par avion sur cette ville le 9 août. J’ignore – et on ne le savait vraisemblablement pas au Caire – la raison d’être de ce Sunderland et l’envoi d’une mission de Londres. J’arrive à Lagos le 13 août ; nul ne m’y attend, ce qui donne lieu à quelques quiproquos.
Pleven, prévenu, me voit aussitôt et me met au courant de la mission dévolue à son petit groupe. Boislambert est parti se renseigner à la frontière du Cameroun, et Leclerc est à Accra, siège du commandement militaire local (le Milwestaf), pour organiser une expédition sur le Cameroun avec les moyens réunis en Gold Coast. C’est à ce moment-là le seul point fixe de la manœuvre, en raison des renseignements reçus, des relations faciles entre Nigeria et Cameroun, de la possibilité de transporter des troupes rapidement entre ces deux territoires. Rien de net n’est prévu sur le Tchad, dont on connaît les dispositions mais sans précisions récentes. Le problème des autres territoires de l’A.E.F. reste entier.
Vient me voir ensuite une connaissance du Caire, le capitaine Moitessier, officier de liaison auprès du Middle-East, rallié au général de Gaulle, il s’est rendu à Abeché puis à Fort-Lamy pendant que j’étais à Djibouti. À Fort-Lamy, où il était connu, il est tombé en plein complot, en rapporte des informations fraîches et du plus haut intérêt, et un code chiffré direct avec le gouverneur Éboué. Il m’apprend que tout est prêt à Fort-Lamy, qu’il suffit de l’arrivée d’un représentant civil et d’un représentant militaire du général de Gaulle, le premier ayant comme principal rôle de faire les arrangements économiques sans lesquels le Tchad, isolé, ne peut se rallier. Mais Moitessier, agissant en enfant perdu et venu de sa propre initiative au Tchad d’abord puis de là à Lagos, est inconnu en ce dernier lieu, considéré comme suspect par les Britanniques et la mission de Londres, et n’a aucune audience. J’arrive à point pour le « dédouaner », ainsi que sa cargaison de précieuses informations.
Le plan commence aussitôt à s’élaborer. Le point le plus sûr est certainement le Tchad, avec son gouverneur, son secrétaire général, la quasi totalité des militaires. Il n’y a pas de temps à perdre pour s’en assurer, car Vichy ne va pas rester inactif indéfiniment. Pleven s’y rendra comme délégué civil du général de Gaulle ; quant au représentant militaire, comme il est préférable que je reste disponible pour un autre secteur, nous faisons choix du commandant d’Ornano, officier de grande réputation au Tchad, qui se trouve à Brazzaville et dont les dispositions paraissent assurées. Mais il faut le faire venir à Lagos où il se joindra à Pleven, et c’est là la difficulté.
Leclerc et Boislambert sont orientés vers le Cameroun. Mais le Tchad et le Cameroun seuls, cela resterait fragile. Il faut tout le groupe de l’A.E.F. et pour cela agir à Brazzaville. Or, ce qu’on en sait est à moitié favorable. Il y a un fort mouvement gaulliste, mais le gouverneur général, le général Husson, et son entourage, sont hostiles ; de plus, comment aborder Brazzaville autrement que par Léopoldville, capitale du Congo belge, dont les dispositions ne sont pas affirmées ?
En attendant l’arrêté définitif du plan, je fais télégraphier au commandant d’Ornano, par l’intermédiaire du consul britannique de Léopoldville, de passer dans cette dernière ville pour s’y mettre à la disposition du général de Gaulle. Le gouverneur de la Nigeria, Sir Bernard Bourdillon, prend sur lui de conserver l’hydravion Clyde qu’on lui réclame à Londres, et sans lequel la liaison avec Léopoldville serait impossible.
Entre temps le général de Gaulle a été prévenu le 14 ou le 15 de mon arrivée à Lagos et de nos premiers projets, qu’il approuve le 16 en me déléguant son autorité pour en diriger l’exécution.
Parant éprouve de graves mécomptes avec son « Bataillon » d’Africains, détachement de renfort sans encadrement, inarticulé, démoralisé par trois mois de bourlingage, qui est en état de mutinerie latente et devra être renvoyé dans son pays. Il ne reste donc plus comme troupes, que le détachement de Haute-Volta, mais le commandant du Milwestaf refusera de le faire transporter sur le Cameroun. Leclerc et Boislambert opéreront finalement seuls, avec une poignée de militaires et de civils venant de sortir du Cameroun.
Tous les contacts ayant été pris, nous nous réunissons tous les cinq : Leclerc, Pleven, Boislambert, Moitessier et moi-même, à Lagos, le 18 août, et décidons :
– de jouer le Tchad, coup à peu près assuré, dans les moindres détails ;
– d’agir sur le Cameroun et Brazzaville au plus près de la précédente action pour en exploiter le contre-coup.
Je partirai le lendemain avec Moitessier en hydravion pour Léopoldville d’où je renverrai aussitôt à Lagos par le même appareil d’Ornano qui se joindra à Pleven pour remonter sur le Tchad ; nous fixons la date du 24 août pour leur arrivée à Fort-Lamy.
Leclerc et Boislambert agiront au plus près de cette date sur Douala, en partant du port britannique de Victoria et en traversant l’estuaire du Wouri avec leur détachement.
Quant à moi, je ferai pour le mieux, toujours dans le même temps, selon mes contacts avec nos partisans de Brazzaville.
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Tout se passa comme prévu avec une précision digne d’admiration étant donné les distances et les vastes marges d’incertitude de notre manœuvre.
D’Ornano m’attendait à Léopoldville, depuis le 18, ayant aussitôt répondu à mon appel (nous ne nous connaissions pas). Sitôt arrivé à Lagos il en repartait avec Pleven pour Fort-lamy où il arrivait le 24, reçus sur le terrain par le gouverneur et de nombreux militaires et civils qui les conduisaient au gouvernement où Pleven haranguait la foule des Européens. La proclamation du retour du commandant militaire. Dans la nuit du 26 au 27 Douala était rallié, et Yaoundé dans la même journée. Le 28, à midi, à Brazzaville, la garnison déposait le gouverneur général et commandant supérieur et m’installait à sa place, ce qui réglait le sort du Moyen-Congo. L’Oubangui et le Gabon suivaient le mouvement dès qu’ils en étaient informés. Les quelques contradictions localisées furent éliminées sans douleur dans les semaines suivantes : seul le Gabon fit défection après s’être rallié et nous obligea à une pénible campagne pour rétablir l’unité du bloc centrafrique et lui permettre de se consacrer tout à l’effort de guerre.
Tel fut exactement le mécanisme des actions extérieures qui déterminèrent le ralliement de l’Afrique française libre. La pauvreté extrême des moyens mis en œuvre fut composée par une vue juste : la conviction que la volonté de combattre existait partout et serait la plus forte dès que la possibilité de se manifester lui serait donnée. L’honneur revient donc avant tout à nos compatriotes et aux populations d’outre-mer, qui surent garder, dans la démoralisation générale, le cœur ferme et l’esprit clair et acceptèrent de prendre les risques d’une rébellion pour le salut du pays.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 99, juin 1957.