La France Libre aux Indes, par P. de La Valette

La France Libre aux Indes, par P. de La Valette

La France Libre aux Indes, par P. de La Valette

Parler des comités de la France Libre qui, à la suite de l‘appel historique du général de Gaulle, se formèrent au-delà des mers dans l’enthousiasme et l’amour de la patrie lointaine opprimée, c’est revenir sur un sujet souvent évoqué mais que beaucoup de Français ignorent encore.

Hoec decies repetita placebit, disait Horace parlant de telle œuvre qui « répétée dix fois plaira toujours ». L’évocation de ces comités se place-t-elle sous l’aphorisme du poète latin ?

Pas toujours hélas ! tant est répandu non seulement le besoin mais aussi la volonté d’oublier tout ce qui se rapporte à la lutte héroïque de ceux qui furent un peu partout dans le monde les premiers et fidèles soutiens de cette France Libre glorieusement enfantée par le général de Gaulle.

Tous ceux qui, loin de la patrie, n’ont pu pour des raisons diverses rejoindre à Londres notre grand chef, aux heures cruciales, ont encore bien des choses à dire sur les efforts courageux et les bienfaits de ces groupes de Français rassemblés sous la bannière à croix de Lorraine, soit dans l’empire, soit à l’étranger. Nous voulons parler bien entendu de ceux qui ne sont pas partis parce que de toute évidence ils ne le pouvaient pas et qui là où ils se trouvaient, par tous les moyens et de toutes leurs forces, ont aidé au salut de la France.

Les autres, ceux qui pouvaient aller se battre et ne l’ont pas fait, de ceux-là nous ne parlerons pas, nous leur laissons le soin de se disculper, si tant est que l’on songe encore à leur demander sinon des comptes (ils étaient libres, n’est-ce-pas ?) du moins des explications opportunes.

Restons donc dans le cadre de la résistance extra-métropolitaine, pure et honnête.

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Nous vous parlerons aujourd’hui de la France Libre aux Indes. J’y rencontrai, à Bombay, à Calcutta, à Delhi, ces camarades qui fournirent inlassablement les efforts le plus dévoués pour apporter leur part à l’œuvre commune de sauvetage de la France que nous voulions libre, comme nous l’étions nous-mêmes. Ce furent à Bombay, le président Léon Mosse, Victor Rosenthal et son neveu Pack, Pierre Pagnon, le révérend père Caius, Élie Guetta et quelques autres, prodiguant sans compter leurs soins quotidiens à une tâche pas toujours facile.

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À l’occasion du premier anniversaire du 18-Juin, le président du comité de Bombay, Léon Mosse, adressa au général de Gaulle le télégramme suivant :

« À l’occasion du premier anniversaire de votre appel à tous les Français, leur demandant de poursuivre la lutte aux côtés de la Grande-Bretagne et de ses Alliés jusqu’à la victoire qui libérera notre patrie, les Français libres des Indes, comité de Bombay, réaffirment leur union indissoluble et leur dévouement absolu au mouvement de la France Libre. Ils vous assurent de leur respect et de leur fidélité et s’engagent à n’épargner aucun effort, aucun sacrifice pour réaliser l’œuvre dont vous aurez été l’âme, la libération de la France. »

La promesse fut tenue.

Le comité eut à résoudre bien des difficultés techniques. C’est lui qui obtint des autorités navales britanniques un statut pour les officiers de la marine marchande de la France combattante. Le bureau naval F.N.F.L. de Bombay, correspondant du bureau naval de Suez, fut dirigé par Pierre Pagnon. Quatre navires faisaient régulièrement escale à Bombay leur port d’attache. C’étaient le Président Doumer, le Félix-Roussel, le Cap Saint-Jacques, l’Espérance, qui portèrent bien haut le pavillon de la France Libre. Marins et officiers y firent leur devoir avec un héroïsme souvent obscur et auquel nous rendions un hommage ému lorsqu’ils étaient fêtés au sein du comité de Bombay. Deux de ces navires eurent une part glorieuse dans les combats, le Félix-Roussel, violemment bombardé en revenant de Singapour, et plus tard le Président Doumer qui sombra corps et bien. Je me souviens volontiers de ces réunions enthousiastes où régnait la plus franche et la plus patriotique camaraderie : le 11 mai 1941, à bord du Félix-Roussel, le 18 juin de la même année au Taj Mahal, le grand palace de Bombay où nos amis accouraient en nombre pour soutenir notre mouvement de leur sympathie et de leur généreuse obole, et tant d’autres manifestations qui suivirent jusqu’à la libération, fécondes sources d’entraide.

Je viens d’évoquer nos amis. Nombreux à Bombay étaient ceux qui se groupaient volontiers autour de la trentaine de Français adhérents du comité de la France Libre dont les efforts furent toujours encouragés et soutenus par nos amis britanniques et indiens. Parmi ces derniers, c’est au sein de la communauté parsi que les Français libres ont trouvé la générosité la plus large dans leur évidente sympathie pour la cause du général de Gaulle (…)

À Calcutta un tout petit comité fut formé en février 1941, les Français y étant peu nombreux. Cependant, quelque trois ou quatre personnes, sous la présidence de M. Le Vay, secondé avec dévouement par M. Louis, hébergèrent des volontaires, s’occupant d’eux aussi bien que des équipages de nos marins de passage dans le grand port du Bengale. Ils envoyèrent nombre de colis aux soldats de la France combattante et aux prisonniers de guerre. Dans le courant de 1941, le comité de Calcutta avait déjà envoyé 2.000 livres sterling à la délégation du Caire et en 1943 plus de 60.000 roupies avaient été recueillies. Lors des douloureux événements d’Extrême-Orient, le comité de Calcutta apporta une aide précieuse aux Français réfugiés de Malaisie et de Birmanie.

À Delhi, nous n’étions que trois ou quatre Français dont le lieutenant de vaisseau Robert Victor, le brillant éditeur de « France-Orient » et moi-même. Après avoir organisé les émissions françaises à la radio de Bombay, émissions qui au prix d’efforts magnifiques avaient été inaugurées avant mon arrivée par les soins du comité des Français libres, je continuai mon œuvre à Delhi. Au cours de deux émissions quotidiennes j’adressai par la voie des ondes, la bonne parole à nos frères et à nos amis d’Extrême-Orient et en particulier d’Indochine.

Dès que la France Libre s’installa aux Indes, le mouvement du général de Gaulle fut accueilli avec sympathie par les autorités britanniques et indiennes. Nous avons trouvé auprès d’elles un concours qui nous fut précieux en bien des circonstances.

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Arrivons à l’Inde française. Pondichéry ? Je sais bien que vous ne vous poserez pas la question : « Où est-ce ? » celle, précisément, que me posa tel personnage du cabinet d’un ministre aux beaux jours de Fromentin. Cet homme avait des absences géographiques.

Pierre Loti qu’avait séduit la petite capitale de l’Inde française puisqu’il avouait ne l’avoir point quittée sans « un serrement de cœur » la décrivait comme « vieille petite ville ou sommeille tout un passé français… qui dure par tradition, qui vit parce qu’elle a vécu ». C’est bien parce que nous perdons le sens des traditions… que nous risquons de perdre aussi Pondichéry. Dupleix le fastueux, après François Martin et Dumas, avant Bussy et Lauriston, qu’en diriez-vous, si vous pouviez savoir ?

Petite perle de la côte de Coromandel, sur les bords de l’océan Indien, Pondichéry garde encore des traces de son opulent passé. Cette petite ville coloniale dans le style du XVIIIe siècle, ce coin de France enclavé dans l’Inde, connut son dernier enthousiasme français lorsque mon grand et regretté ami le gouverneur Bonvin publiait dans le Journal officiel de la colonie le 9 septembre 1940, le message suivant : « Le gouverneur des établissements français dans l’Inde a l’honneur de porter à la connaissance de la population qu’il a décidé de se rallier au comité national français du général de Gaulle. Il compte que toute la colonie se rangera avec lui aux côtés des libérateurs de la France et de l’Empire britannique. Vive la France, Vive l’Angleterre ». Ce jour-là, bien des cœurs tressaillirent à Pondi, non point d’aise car l’on pleurait sur le sort de la mère patrie qui venait de perdre sa bataille, mais d’orgueil puisé dans la volonté de prendre part à cette guerre que n’avait point encore perdu la France.

Les Pondichériens de vieille souche française, la jeunesse indigène libéralement instruite, car depuis le début du XIXe siècle l’enseignement s’est prodigieusement développé dans la colonie, le peuple lui-même qui, jusqu’aux méfaits de certaine démagogie dissolvante, s’était toujours montré heureux de vivre sous l’égide bienfaisante du drapeau tricolore, tout le monde où presque répondit à l’appel du gouverneur Bonvin. Ce furent : le recrutement et l’équipement de nombreux détachements de volontaires dirigés vers la bataille, des souscriptions en faveur de la caisse d’aviation et d’armement recueillies par les soins du trésor et de la banque d’Indochine, un comité de la Croix-Rouge dirigé avec un inlassable dévouement par Mme Louis Bonvin et le médecin commandant Lecoanet, un bureau de propagande et d’information qui avec le concours financier du Comité national français prit à sa charge la distribution de publications, non seulement dans l’Inde britannique et dans les établissements français, mais jusqu’en Océanie et dans nos colonies africaines.

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Les établissements français dans l’Inde ont fait tout leur devoir, dans la mesure de leurs moyens et dans des conditions souvent difficiles sous la conduite habile, ferme et patriotique de feu le gouverneur Louis Bonvin, entouré de son chef de cabinet, Pierre Brutinel et d’une pléiade d’administrateurs dévoués.

Que restera-t-il de tout cela si ce n’est le dernier des grands souvenirs ?

Il a fallu le geste sublime et courageux d’un grand Français le général de Gaulle pour replacer la France dans la gloire de son histoire et ranimer jusqu’aux plus lointaines parcelles de la terre française l’attachement des cœurs à la mère patrie.

Étayé des souvenirs héroïques de la prestigieuse aventure de Dupleix, cet attachement aux Indes datait de loin.

On peut lire dans les « cahiers des doléances des citoyens de Pondichéry à l’assemblée nationale » en 1790 :

« Comme Français, nos désirs ont plus d’une fois été inscrits en caractères de sang dans les plaines du Carnatic et c’est sur les ossements de nos pères et de nos frères, morts pour le soutien de la gloire et l’honneur du nom français, que se sont élevés les remparts de Pondichéry ».

M. Filhau de Saint-Hilaire, conservateur de la bibliothèque de Pondichéry écrivait très justement dans « l’Inde française dans la guerre » :

« L’histoire de la domination française aux Indes est un des magnifiques épisodes des conquêtes lointaines de la France, mais les dernières pages sont d’une telle angoissante tristesse que le voile de l’oubli s’épaissit de génération en génération sur des exploits d’une pléiade de capitaines glorieux, que les cinq établissements français dans l’Inde ne sont plus traités que comme des déchets d’erreurs, relégués dans l’omission de notre action extérieure, qu’on voudrait laisser tomber dans les plus obscurs abandon et négligence. »

Nous souhaiterions ardemment qu’il n’en soit pas ainsi.

Puisse le gouverneur Baron, lui aussi, des premiers résistants, ranimer nos espoirs.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 10, juillet-août 1948.