Le refus de la défaite
Cependant pour certains, la demande d’armistice faite le 17 juin 1940 par le maréchal Pétain est l’élément décisif qui les incite à quitter leur foyer ou leur unité pour poursuivre la guerre aux côtés des Britanniques.
Nous proposons deux témoignages : l’un d’un militaire qui n’a pas entendu l’appel mais a rejoint le combat. L’autre du fils du célèbre écrivain Georges Bernanos qui, ayant entendu l’appel, s’engage auprès du général de Gaulle.
L’engagement de Mouchotte
L’auteur
Breveté pilote lors de son service militaire dans l’armée de l’air (1935-1937) et sergent de réserve, René Mouchotte est mobilisé en septembre 1939. Il rejoint, contre son gré, le centre d’instruction de la chasse de Chartres pour effectuer un stage d’élève instructeur. Nommé en mars 1940, à l’école de chasse d’Avord, il est affecté en tant qu’instructeur en mai 1940 en Afrique du Nord. Réticent, il parvient à se faire intégrer comme stagiaire, au centre d’instruction à la chasse d’Oran. Lors de son entraînement de pilote de chasse, il apprend la demande d’armistice du maréchal Pétain.
Avec cinq camarades, il s’envole pour Gibraltar, le 30 juin. Engagé dans les Forces françaises libres, il combat au sein de la Royal Air Force avant d’être affecté au groupe de chasse Île-de-France puis de prendre le commandement du 65e squadron britannique.
Nommé à la tête du groupe de chasse Alsace, le 9 janvier 1943, il est abattu au-dessus de la Manche le 27 août suivant.
Le contexte
Le 17 juin 1940, René Mouchotte commence la rédaction de ses carnets. Il la poursuit jusqu’à sa mort. Dans ces carnets, il évoque les événements quotidiens qu’il agrémente de réflexions personnelles, de photographies et de coupures de presse.
Le document
Les carnets de René Mouchotte paraissent pour la première fois, en 1949, aux éditions Flammarion. Ils contiennent une présentation d’André Dezarrois.
Le service historique de l’armée de l’air a publié, en 2000, une version intégrale et annotée sous le titre Mes carnets juin 1940-août 1943.
Extrait des carnets
René Mouchotte, Mes carnets, juin 1940-août 1943, SHAA, 2000
Oran. Juin 1940
Lundi 17 juin
Je viens d’apprendre par la radio l’incroyable nouvelle de la capitulation de Pétain. C’est tellement inconcevable qu’on reste là, les membres brisés, à s’imaginer mille choses, un rêve, une erreur, une propagande, pour tenter de faire s’évanouir l’horrible cauchemar. L’impitoyable TSF achève de briser la résistance de nos nerfs trop tendus en faisant résonner une Marseillaise vibrante, le dernier appel d’une France hier libre.
De ma vie, je ne me rappelle avoir ressenti une émotion aussi intense et douloureuse. On voudrait courir, montrer à tous qu’on a encore une force, une énergie pour continuer à combattre. La France doit rester la France et son coeur bat toujours, malgré ceux qui veulent l’assassiner sans lui permettre de lutter. Un grand dégoût nous saisit pour ces vingt années passées depuis 1918, où la France fut le jouet d’une bande d’arrivistes qui se bousculèrent les uns les autres pour tenir à leur tour les rênes de l’État. De gauche, de droite, ils ont tous concourus pour faire du théâtre politique un spectacle de querelles, de désordres et de honte.
Et voici aujourd’hui le bilan de leur oeuvre. Pourquoi donc se sont battus nos anciens, pour la recherche d’un idéal ? En 1919, on s’arrangeait déjà pour que ces « anciens combattants » n’aient pas le droit de regard sur les affaires de l’État. On évinçait ces gêneurs, eux qui pendant quatre ans ont souffert mille morts pour conserver à la France sa liberté. S’ils avaient su qu’on saboterait leur victoire, ils auraient continué à lutter, contre un ennemi intérieur, plus fourbe, plus lâche…
16 heures
Ce n’est pas possible, nous reprenons nos esprits, la France ne peut ainsi être vaincue, même si elle fut la malheureuse victime de saboteurs et de traîtres. Il reste, Dieu merci, des hommes d’énergie qui ont encore une foi et un coeur. Il en sera bien un pour ranimer les courages défaillant devant de honteux exemples…
L’Afrique du Nord va se désolidariser de la métropole et, les armes à la main, tiendra bon. Quelles vont être les clauses de cet armistice ? Qui croire maintenant ? Le maréchal Pétain, cette vivante légende, on s’en est servi comme d’un drapeau. On a fait appel à ses services alors que la situation s’avérait désespérée. Que pense-t-il ? Ce qu’il va nous commander de faire est-il en rapport avec ce que son coeur de Français nous supplie de faire ?…
Pour en savoir plus
Martial Valin, « Les obsèques définitives du commandant pilote René Mouchotte », Revue de la France Libre, n° 23, décembre 1949.
René Mouchotte, Mes carnets, juin 1940-août 1943, SHAA, 2000.
Colonel Henry Lafont, Aviateurs de la liberté. Mémorial des Forces Aériennes Françaises Libres, SHAA, 2002.
Une notice biographique est disponible sur le site www.ordredelaliberation.fr.
Le témoignage de Jean-Loup Bernanos
L’auteur
Fils de l’écrivain Georges Bernanos, Jean-Loup Bernanos s’installe avec ses parents au Brésil en 1938. C’est à Belo Horizonte que la famille apprend la défaite de juin 1940.
Contexte
Résidant dans une région isolée du Brésil, privée d’électricité, Georges Bernanos suit les nouvelles de France à travers les journaux et la radio avec souvent plusieurs jours de retard.
À cette époque, depuis début juin, il rédige des articles défendant la France qui sont publiés dans la presse brésilienne. Le 18 juin, il apprend la demande d’armistice. Le soir même, la radio brésilienne retransmet l’appel du général de Gaulle.
Georges Bernanos s’engage immédiatement en faveur de la France Libre. De même, deux de ses fils, Yves et Michel, et l’un de ses neveux, Guy Hattu, partent pour Londres afififin de s’engager dans les Forces françaises libres.
Le document
Le témoignage de Jean-Loup Bernanos paraît sous la forme d’un entretien dans le n°13 d’Espoir, revue de la Fondation Charles de Gaulle.
Témoignage
Jean-Loup Bernanos, « Témoignage », Espoir, n° 113, décembre 1997
Bernanos apprend l’armistice dans un wagon de chemin de fer qui le conduit avec sa femme et moi à Belo Horizonte. Les voyageurs brésiliens se sont approchés de lui pour le réconforter et Bernanos a dit qu’ils lui avaient apporté la seule chose qui pouvait lui redonner du courage; ils lui avaient dit : «L’Angleterre tiendra» ce qui voulait dire que la France aussi tiendrait.
Nous arrivons à Belo Horizonte. Le soir du 18 juin un peu avant dîner, nous nous installons dans le salon de l’hôtel et ma mère et moi nous écoutons le feuilleton qui passait tous les soirs pendant que mon père lisait les journaux. Les informations arrivent et la voix du speaker brésilien annonce le message d’un général français diffusé le jour même à Londres. C’était l’appel du 18 juin.
Je n’oublierai jamais la réaction de mon père. Cette guerre avait tellement marqué mes parents que c’était le sujet de conversation constant dans la famille. J’étais fort jeune, j’avais 7 ans, mais j’étais très au courant de ce qui se passait et des sentiments de mes parents à ce propos.
Lorsque j’ai entendu l’appel, j’ai senti qu’il se passait quelque chose et j’ai regardé mes parents. Ma mère pleurait et mon père était extrêmement ému. C’est la seule fois où je l’ai vu aussi ému et bouleversé. Aussitôt après, il a cherché un moyen de parler à la radio, de faire savoir sa position, d’écrire dans la presse.
Questionnaire
Les réactions à la défaite
1. Quelle est la situation de René Mouchotte et de Georges Bernanos au moment de la défaite?
2. Comment Mouchotte réagit-il au discours du maréchal Pétain? Bernanos à celui du général de Gaulle?
3. Quelle volonté l’un et l’autre affirment-ils aussitôt? Quelle est leur motivation?
< La journée du 18 juin 1940...
> La diffusion immédiate de l’Appel