Elles ont combattu avec nous, par Jacques Bauche
Dans cette revue consacrée à la D.F.L., il serait injuste d’oublier toutes celles qui nous ont accompagnés et qui ont servi à nos côtés avec tant de dévouement.
Dès juillet 1940, en Angleterre, un certain nombre de jeunes femmes britanniques rejoignaient l’Ambulance Hadfield-Spears, en pleine refonte, grâce à l’activité inlassable de Lady Spears.
Cette formation, équipée de matériel anglais, avait été bousculée sur les routes de France durant la retraite de 1940; elle renaissait maintenant, courageusement, pour servir à nouveau.
L’ambulance Spears ne devait plus quitter la D.F.L. et participa à toutes ses campagnes, liée dès le départ à cette unité pour le meilleur et pour le pire.
Les infirmières et les conductrices (1) qui entouraient les médecins furent toujours admirables de dévouement et de gentillesse envers les blessés qui ne cessaient d’affluer vers elles. Et ceci aussi bien sous le bombardement qu’elles subirent à El-Mékili en Libye, ou sous la mitraille des Stuka à Ména Camp, près du Caire, que sous les bombes encore d’El-Alamein en Égypte, sous les obus de San-Giorgio-de-Liri en Italie, ou ceux du Canadel en France.
Au cours de ces quatre années de combats, plus de 2.000 blessés de la division passèrent entre les mains des spearettes, et ce sont autant d’amis reconnaissants qu’elles se firent grâce aux soins attentifs dont elles entouraient chacun.
Nous ne pouvons les citer toutes, mais que toutes trouvent ici le tribut de notre affectueuse reconnaissance.
*
D’autres jeunes femmes accompagnèrent la D.F.L. dans des formations et à des époques différentes.
Tous les anciens de la division se souviennent de la discrète et sympathique conductrice du général Kœnig : Miss Travers, qui fut la seule femme présente à Bir-Hakeim durant les combats, et qui portait avec élégance le béret kaki de la Légion étrangère.
Plus tard et pour ne pas être en reste, le général Brosset comptait, parmi les officiers de son état-major, le lieutenant Ève Curie, plus particulièrement affectée au 3e bureau de la division.
*
À partir de 1943, en Tunisie, les effectifs de la division ayant été accrus, on répartit un nouveau contingent de volontaires féminines dans les différentes formations médicales : doctoresse (comme les docteurs Vallon et Picard), infirmières, conductrices et auxiliaires, l’insigne à croix de Lorraine nouvellement cousu sur la manche du battle-dress, s’apprêtèrent à nous suivre en Italie.
Elles eurent, pour le faire, quelque peine à embarquer sur les liberty ships qui nous étaient destinées, les règlements de la flotte interdisant l’admission des femmes sur de tels navires. Mais tout finit par s’arranger (en trichant un peu) et elles eurent, dès les premiers combats, l’occasion de montrer leur cran.
Les Forces Navales Françaises Libres voulurent participer à l’effort commun, et si l’amirauté avait fait, dès juillet 1940, à la division, le beau cadeau un peu turbulent d’un régiment de fusiliers marins, en mai 1941, elle lui offrait en joyau une brochette de S.F.F. (auxiliaires des Services Féminins de la Flotte).
Elles portaient l’uniforme kaki et le béret sans pompon qui leur était particulier; elles appartenaient à l’ambulance chirurgicale légère comme conductrices-ambulancières et ne se tiraient pas trop mal de la conduite des espèces de gros paniers à salade qu’elles avaient touchés comme ambulances-automobiles.
Elles faisaient partie des équipes détachées par l’A.C.L. auprès des unités combattantes pour drainer vers l’arrière et plus précisément vers les postes de l’A.C.L. les blessés les plus graves.
Comme Marinettes, elles se trouvaient le plus souvent détachées auprès des escadrons de fusiliers marins, ce qui n’était pas considéré comme une sinécure puisque ceux-ci, toujours en tête, se trouvaient perpétuellement sous les obus.
Marins et Marinettes faisaient un excellent ménage basé sur une grande estime mutuelle.
Certaines histoires de cette coopération sont restées célèbres, telle celle-ci qui se passa près de Champagney dans la Haute-Saône. L’escadron de chars du lieutenant de vaisseau Barberot devait attaquer à 5 heures du matin en dévalant une colline boisée et en débouchant de front sur un village qu’il s’agissait de prendre.
On redoutait une défense acharnée de l’ennemi, il était à craindre que l’on eût de la casse, et deux ambulances conduites par des Marinettes devaient suivre les chars à 10 minutes de distance, c’est-à-dire, en langage militaire, passer la base de départ à 5 heures plus 10 minutes.
Au cours de la nuit, pour une raison de mise en place d’une section d’artillerie de renfort arrivant dare-dare d’un autre secteur et qui ne serait pas en batterie à temps, l’attaque fut reculée de 20 minutes.
Mais par suite d’un malentendu, les ambulancières ne furent pas informées de cette modification dans l’horaire.
C’est ainsi que ce matin-là, à 5 heures 10, les marins réchauffaient tranquillement leurs moteurs et s’occupaient à balancer les tourelles de leurs chars, sachant qu’ils avaient encore 10 minutes à attendre avant de se lancer à l’assaut, quand, stupéfaits, ils virent foncer, branlantes, grondantes et cahotantes, les deux ambulances couvertes de boue qui se lançaient dans une charge déchaînée à la poursuite des chars. Le plus drôle c’est que les deux équipes de Marinettes continuèrent leur course sans s’apercevoir de rien, qu’elles pénétrèrent dans le village (évacué par chance dans la nuit), qu’elles se virent entourées de gens qui les acclamaient et qu’elles durent attendre 10 minutes pour voir, enfin, déboucher sur la place les superbes guerriers de Barberot un peu décontenancés.
Jacques Bauche
—————————————————————————————————————–
(1) Au personnel féminin britannique se joignirent par la suite quelques Français.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 79, 18 juin 1955, numéro spécial.