Quatre minutes…
Un parmi 20 autres. Un de ceux dont Radio-Paris disait : « … ce ramassis de jeunes voyous, de juifs tarés, de mercenaires en mal de solde et de galons ! » Cependant, il avait 22 ans et déjà pour lui, sa vie, en regard de son idéal, était si peu de chose que, en toute connaissance du danger, il l’offrit… pour faire gagner quatre minutes.
Le 10 août 1941, Pelleport reçoit un coup de téléphone qui appelle au terrain cinq pilotes, pour une opération à faire sur le champ. Ce n’est pas un jour de vol pour Pelleport. Tout son devoir consiste à transmettre l’ordre, à attendre les camarades, qui seront là dans quatre minutes. Quatre minutes de cette guerre que l’on devine déjà devoir être si longue… Mais quatre minutes, cela suffit pour vaincre, et Pelleport n’hésite pas. De sa propre autorité, avec ses camarades des sections d’alerte, il part, sans attendre ceux qui arrivaient déjà, et qui voient décoller « sous leur nez » huit Hurricane…
Pelleport n’est pas rentré. Il a dû être tué en vol par l’un des Messerschmitt qui, embusqués derrière les nuages, fondaient à l’improviste sur les bombardiers.
Il avait devant lui sa vie, toute une vie avec ce qu’elle peut offrir à ceux que le sort a comblés. Mais ses lettres nous apprennent que, pour cette âme, le sacrifice le plus total était chose aisée et naturelle.
Il avait tant attendu de combattre !
Les longs mois de stage n’avaient fait que préciser, que raffermir son idéal, si haut qu’il ne pouvait s’y mêler aucun intérêt personnel, aucune restriction. Le don total à sa patrie, à son Dieu, voilà ce qu’avait décidé en son âme ce garçon, dont l’apparence élégante et gracieuse dissimulait une surhumaine, une absolue résolution.
Après sa mort, ses parents reçurent des lettres qu’il leur destinait. Elles constituent le plus beau des testaments et apportent aux jeunes de demain la mystique de ceux qui surent donner leur vie pour eux.
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Tout ce que je pense dépend de deux faits, je suis catholique et je suis Français.
Comme catholique, je veux propager ma foi et ma philosophie et le genre de vie qui en découle.
Comme Français, je veux le faire pour la France, car elle a besoin d’être refondue dans sa jeunesse.
Quand ma vie était encore un jouet tout neuf, j’ai juré de la consacrer à ce but.
Je veux me battre pendant ces quelques années où je sais que la France est en fermentation.
C’est à notre génération de guider la nouvelle, de lui donner un idéal de vie plus désintéressé, plus sain, plus complet, en un mot, plus chrétien.
Je suis convaincu de l’excellence de cet idéal et j’ai en Dieu une foi aveugle. De cette bataille, je sortirai ou « comme son lieutenant » ou bien j’irai le rejoindre dans son paradis. Ce prestige du combattant, je le transformerai en pouvoir d’influence sur les jeunes Français. De quelle façon ? Je ne le sais pas encore et ça n’a aucune importance. De cette influence, je forgerai un désir et à ce désir je donnerai un cadre.
Rien de ce que j’ai fait, ou dans ce que je suis, ne laisse entrevoir qu’il me sera jamais donné d’aider à la refonte d’une nation. Dieu seul peut quelque chose vraiment, et mon effort de tous les jours n’est autre chose que de me tenir prêt à le servir. Je voudrais être un homme instruit pour savoir juger, sain pour pouvoir agir sans tenir compte du facteur « santé », socialement complet pour forcer les amitiés et créer les influences dont j’aurai besoin.
C’est un programme qui ne laisse au hasard ou à la nonchalance aucune minute, car il demande une application de chaque instant, même et surtout dans le délassement.
J’ai trois grands ennemis : la paresse, l’orgueil-vanité et le tempérament. Ainsi chaque jour est une lutte et compromis – tantôt l’orgueil et la vanité me font douter de ma foi et de Dieu, tantôt la paresse me pousse à me laisser vivre. Il y a un seul domaine où j’ai assez de sang-froid et de courage pour choisir la bonne voie, c’est quand il s’agit de déterminer une ligne de conduite générale. Ainsi le jour où l’occasion se présentera, je serai prêt, à condition d’avoir disposé aux quatre coins du monde des bases d’où je pourrai agir.
Lettre du 17 mars 1941
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Je me demande ce soir quel est le lien qui nous attache à cette vie – pourquoi ne cessons-nous pas de vivre quand nous n’en avons plus envie ? – Il y a des jours où hier et demain semblent parfaitement inutiles et si ennuyeux. Le monde nous écrase par son énormité et notre esprit voudrait mourir parce qu’il ne comprend pas.
Le vocabulaire qu’ont employé les hommes depuis des siècles déguise et cache la magnifique simplicité de la foi. Je ne connais rien de plus pénible et de plus décevant que de repasser mentalement l’Église, le clergé, le cléricalisme et tout le mauvais français qui traduit cette histoire.
Pourtant l’Église est nécessaire et le clergé a produit les plus enviables types d’hommes qu’il soit.
Mais Dieu est si parfaitement Beau et Bon et Intelligent que de l’entrevoir au travers des esprits ou des systèmes médiocres est une odieuse déformation. Je pressens cette perfection divine et ma seule raison d’être est de m’en approcher et cependant je n’arrive pas à faire l’effort ou le pas nécessaire pour franchir la distance qui m’en sépare.
La misère, la douleur, la souffrance sont, je crois, les seules manières d’atteindre à cette vie de l’âme – à la face véritable que j’entrevois sans pouvoir y atteindre.
Quand on perd cette petite lumière, alors la vie devient laide, mortellement ennuyeuse et si parfaitement vide.
Bien sûr, l’argent et la santé dans une suite de plaisirs renouvelés nous endorment d’un sommeil artificiel – il est facile et si doux de ne pas penser. Mais quand une fois on a vu, on a senti, on a entendu la voix de Dieu – même de très loin – on ne peut pas, on ne peut plus ne pas y penser.
Je pense à cette voix souvent au fond de moi-même. Je voudrais sincèrement brûler les années, les heures, les minutes pour arriver plus vite là-haut – mais chaque jour j’hésite, je calcule, je recule – je n’ose pas oser ou je n’ai pas la volonté de continuer, c’est si dur de continuer.
Je voudrais pouvoir vivre avec la seule présence de Dieu. Je voudrais tant qu’il me donne la force de ne dépendre que de lui. Je veux bien vivre ma vie dans la plus atroce souffrance si je puis vraiment être intelligent à son service – vraiment fort dans ma volonté.
Une grande intelligence au service d’une grande volonté : et qu’importe le reste… Pourquoi faut-il que tandis que j’ai la foi et la bonne volonté d’agir pour Lui, pourquoi me laisse-t-il médiocre ?
Oh ! Médiocre ! petit, incapable. Pourquoi ! C’est si laid la médiocrité et c’est tellement nous les hommes. J’entrevois tellement de médiocrité dans les années à vivre que je voudrais mourir demain.
Mourir en combattant, l’âme en état de grâce, sachant ce que l’on risque, pourquoi on le risque et le faire joyeusement. Nous perdons si peu et nous gagnons tant qu’il faut être fou pour craindre la mort.
L’héroïsme comme l’entendent les hommes est facile – mais la patience, cette patience de tous les jours pendant des années – ça c’est affreux.
L’ensemble des années, c’est là qu’on pense sûrement, qu’on pense des idées à part de notre nature – qu’on éprouve des sentiments qui ne dépendent pas de notre nourriture ou de nos nerfs – que notre volonté n’est pas un enthousiasme naïf et bête, mais une décision réfléchie.
La patience de vivre dans le médiocre, en médiocre, sans savoir si on pourra jamais en sortir, c’est quelquefois plus qu’on peut supporter !
Lettre du 13 juin 1941
Extrait du Bulletin de l’Association des Français Libres, n° 2a, janvier 1946.