Le sous-lieutenant Paul Tripier

Le sous-lieutenant Paul Tripier

Le sous-lieutenant Paul Tripier

Compagnon de la Libération – chevalier de la Légion d’honneur

Le 18-Juin 1940, le général de Gaulle lance l’appel qui retentira à travers l’Histoire. Dès le lendemain 19 juin Paul Tripier connu par ses camarades sous le nom de Paddy s’embarque à Bayonne pour s’engager en Angleterre. C’était simple : il avait 18 ans et il voulait continuer à se battre car, pour lui aussi, rien n’était perdu.

Il venait de se présenter au concours de Saint-Cyr mais il ne lui vint pas à l’idée une seconde qu’il aurait avantage à rester pour en connaître le résultat – L’esprit d’attentisme ne l’atteignit jamais. Il part pour servir la France envahie par l’ennemi – « La guerre n’est pas finie, dit-il, on peut avoir besoin de moi ».

Plus tard, d’Angleterre, il écrira :

« Ce qu’il faut dans la vie c’est avoir un idéal pur, quel qu’il soit, de croire dans le futur et de foncer dans l’avenir, la tête en avant, vers son but, en se moquant du tiers comme du quart et de tous les petits à-côtés ». Et il « fonce » sans aucun calcul. Il n’est pas de ceux qui ne songent qu’à leur carrière. Ses galons il les gagnera au feu, sans les chercher. Ses chefs les lui imposeront. De Camberley où il apprenait son métier de soldat, il ne pensait qu’à entrer en action le plus tôt possible.

À Brazzaville où il arrive au début de l’automne 1941, il ne veut même pas, dans sa soif d’agir, entendre parler du peloton d’aspirants et réclame son départ vers le Tchad. Mourzouk, Koufra sont des noms qui sonnent mieux à ses oreilles que la théorie.

Son désir se réalise. C’est la campagne du Fezzan « randonnée dure, fougueuse, triomphale dans le désert hostile ».

Tout de suite il va devenir le soldat qu’il ne cessera d’être jusqu’à ce qu’il tombe 18 mois plus tard, lors d’une attaque, marchant seul, comme de coutume, à la tête de sa section.

Ses qualités dominantes ? Le courage calme, l’énergie tranquille, la force d’âme et la force physique.

Ses chefs disent de lui : « Il fait preuve du plus parfait mépris du danger ». – « Il avait cette calme certitude des hommes que leur simple courage rend plus forts que la vie ». « Il s’est vraiment imposé par ses qualités ».

« Sa brillante forme physique, son calme au feu, sa bravoure exceptionnelle, ses qualités de cœur et d’intelligence, faisaient de lui un chef d’élite. Il était destiné au plus brillant avenir. » La physionomie ouverte, le regard droit et direct, reflet de son âme, il donne une impression de franchise, de calme et de parfait équilibre physique et moral.

Franc, dévoué, sûr, il était aimé et admiré de ses hommes. Il était aimé de tous ses camarades qui le jugent « un chic garçon », « un modèle d’allant et de cran ». Et ce jugement prend un étonnant relief dans la bouche de ces vrais « durs » qu’étaient les combattants du Tchad, ou de la 1re D.F.L.

Spécialiste des coups de mains ou des reconnaissances de nuit, Tripier était un « baroudeur » né. Il avait pour l’aider en plus de son absence de peur, un sens instinctif de la direction, et une remarquable adaptation visuelle à l’obscurité.

Après son départ du Tchad il gagne sa première citation lors des attaques aériennes des 26-27-28 décembre 1942. Un peu plus tard, à Matmata, en Tunisie, il a un duel au fusil avec un Allemand au cours duquel le boche est descendu grâce à la science de tireur de Tripier. Du coup, il devient célèbre dans son régiment.

Le 24 mars 1943, au djebel El Matled, lors d’une contre-attaque particulièrement brillante, il mérite une autre citation.

Le 10 mai suivant, sur les pentes du djebel Garci après une nuit de patrouilles et de combats, il s’approche en plein jour, d’une mitrailleuse allemande, en abat les trois servants et s’empare de la mitrailleuse.

Cette extraordinaire action d’éclat lui fait décerner une nouvelle citation et il est nommé aspirant.

En août 1943, il ne veut pas quitter ses tirailleurs noirs Saras et Hadjerrais qui se sont attachés à lui et il passe avec eux au B.M.24 de la 1re D.F.L.

Et puis c’est la campagne d’Italie.

Le 20 avril 1944 il arrive à Naples et aussitôt monte en lignes.

Cette campagne fut dure et meurtrière. Mais devant les fatigues et les difficultés, Tripier garde cet « humour » qui était un des traits de son caractère. Dans les quelques rares notes retrouvées dans sa cantine, on lit :

« Le 6 mai, départ en détachement précurseur, joie générale et, je crois, sincère. Premier obus qui siffle : les vieux réflexes reviennent vite et on salue… Le 7 mai, une attaque se prépare ; çà se sent dans l’air, on a envie de foncer. De l’observatoire je vois le premier « fritz » de la campagne, un jeune blond, qui fume une grosse pipe… fume vite ! Le 12 mai, premier barrage d’attaque… qu’est-ce qu’ils prennent ! Départ de l’attaque… Aucune émotion chez moi. Les tirailleurs marchent sur des œufs… mines… mines… mines… Ça ne fait rien, je chasse ce refrain de ma tête et, je pars devant, advienne que pourra ! Liaison perdue. Ça ne fait rien, en avant quand même. On tombe sur des branches, des fossés, des buissons… on se relève et on repart. Un peu avant l’aube, arrivée à Saint-Andréa et annonce des premières pertes. À notre gauche le B.I.M. se replie. Nous aussi et la pagaïe commence… »

La bataille est sévère. L’aspirant Tripier fait preuve plus que jamais de volonté et de sang-froid. Le 13 mai 1944, rééditant en quelque sorte, son exploit de l’année précédente, et voyant qu’une mitrailleuse allemande gênait considérablement la progression, il se porte à 50 mètres d’elle avec un fusil-mitrailleur qui ne tirait plus que coup par coup et, malgré un tir violent, réussit à abattre le tireur.

Le général Juin lui fait décerner la médaille militaire et, dans la citation qui l’accompagne, le qualifie de « magnifique chef de section, exemple constant de calme et de bravoure ».

Le 17 mai, le B.M.24 a un très dur accrochage à « Tomba di Rosa » et doit se replier de quelques centaines de mètres. La section de Tripier couvre la retraite et enlève les derniers blessés. Sous une fusillade intense il reste debout pour donner confiance à ses tirailleurs, et, comme à l’exercice, remet tout en place.

Il gagne ainsi une nouvelle citation. La médaille militaire et sa proposition au grade de sous-lieutenant seront ses dernières joies.

La mort qu’il a si souvent bravée, va avoir raison de lui.

Il le sent confusément et la regarde en face de son regard franc et clair. Il écrit le 7 juin 1944, après de rudes combats et, ayant appris la mort d’un ami : « Mourir n’est rien si on le fait proprement, sans avoir eu peur. Pour ma part, je n’ai rien eu et pour la suite je m’en remets au Bon Dieu : qu’il dispose ».

À Crispino, le 19 juin 1944, quatre ans jour pour jour, après son départ de France, pendant une attaque, debout à la tête de ses hommes, il est frappé d’un éclat de mortier dans la poitrine. Il tombe. Dès juin 1940 il avait sacrifié sa vie à son idéal. Son sacrifice est maintenant consommé. Il meurt comme il a vécu, simple, droit, sans calcul, sans arrière-pensée.

Le 24 novembre 1944, le jour même de son entrée à Strasbourg, le général Leclerc, a voulu rappeler à ses parents qu’il se souvenait, particulièrement en ces heures de gloire, du « sous-lieutenant Paul Tripier, héros tué à l’ennemi ».

Le lieutenant Tripier a reçu la croix de la Libération et de la Légion d’honneur. Le Tchad a voulu garder son souvenir. Une avenue de Fort-Lamy portera son nom.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 22, novembre 1949.