Les Français libres dans la bataille d’Angleterre
1940-1941
Les pilotes français qui prirent part à la campagne d’Angleterre étaient décidés à se montrer dignes des équipages alliés qui s’étaient courageusement et efficacement battus pendant la campagne de France. La plupart venaient d’Algérie, où la défaite les avait surpris et d’où ils avaient rejoint clandestinement Gibraltar en juillet 1940. À la mi-juillet, une quarantaine de pilotes furent désignés pour suivre des stages d’adaptation au matériel britannique, douze sous-officiers sur Hawker Hurricane et quinze officiers sur Spitfire, douze autres sous-officiers faisant un stage de sélection sur avion école. Parmi ces douze derniers pilotes, onze rejoignirent des Squadrons de chasse à partir du 15 septembre, les derniers étant mutés début octobre. Trois pilotes vinrent renforcer cet effectif dans le courant du mois d’octobre. Les autres stagiaires, sauf un sous-officier maintenu comme moniteur, affecté en Squadron de chasse en Grande-Bretagne en décembre, furent désignés pour les deux formations mises sur pied pour l’Afrique.
Un officier, Philippe de Scitivaux, et treize sous-officiers, Didier Béguin, Pierre Blaize, Henry Bouquillard, Yves Brière, Maurice Choron, Jean Demozay, Emile « François » Fayolle, Charles Guérin, François de Labouchère, Henry Lafont, Xavier de Montbron, René Mouchotte et Georges Perrin, furent affectés en Squadron de chasse de la RAF avant le 31 octobre. Parmi eux, Didier Béguin, affecté au 245 Squadron le 15 octobre, ne fit son premier vol opérationnel que le 3 novembre.
Dès son arrivée au 615 Squadron, Henry Lafont fut frappé par l’ambiance de camaraderie et par la discipline librement consentie qui y régnait et aussi par la modestie de ces jeunes pilotes, dont certains avaient déjà plusieurs victoires à leur actif. La mission du groupe consistait à décoller sur alerte, en couverture d’un secteur le long des côtes, ce qui permettait une intervention plus rapide en cas d’incursion allemande, et aussi en protection de convois maritimes dans la Manche.
Le doyen des Français était Henry Bouquillard : il avait 32 ans. Pilote de tourisme mobilisé dans l’armée de l’Air en 1940, il s’était retrouvé moniteur à la base de Marrakech en juin 1940. Il avait rejoint l’Angleterre le 17 juillet en compagnie de trois autres aviateurs, parmi lesquels un jeune instructeur à l’école de l’Air de Salon-de-Provence, d’origine russe, Romain Kacew (le futur Romain Gary, qui se battra au sein du groupe Lorraine). Dès le mois d’août, Bouquillard effectua divers stages d’entraînement en compagnie de quelques-uns de ses camarades ; par la suite, ils seront envoyés dans des Squadrons mais ne se perdront jamais de vue.
La phase de la bataille d’Angleterre – déclenchée par Hitler le 13 août, « jour de l’Aigle » – visant l’anéantissement de la RAF pour s’assurer la suprématie du ciel prit fin le 7 septembre, avec le Blitz, qui vit le bombardement systématique des villes britanniques, et l’abandon définitif, le 17, des projets du Führer de débarquement outre-Manche. Les raids aériens contre les villes anglaises dureront encore deux bons mois et les bombardements nocturnes de Londres (le terrible Blitz) continueront jusqu’au printemps, mettant rudement à l’épreuve une population physiquement et moralement atteinte (40 000 civils tués, un million de logements détruits, des villes dévastées, des ports paralysés…). Mais la bataille s’achèvera par une défaite allemande, la première infligée au Reich jusque-là victorieux sur tous les théâtres d’opérations. Un millier d’aviateurs alliés y prirent part – quatre cents y laisseront leur vie. Parmi cette élite, la poignée de Français libres y tiendra une place honorable et remarquée. Le 16 octobre 1940, Bouquillard endommage un Messerschmitt ; dix jours plus tard, il sera blessé au cours d’un nouveau combat*.
En avril 1941, Pierre Blaize, 26 ans, sera abattu au cours d’une patrouille au-dessus du Pas-de-Calais ; il parviendra à sauter en parachute et à se poser normalement, mais sera porté disparu. Au début de mai, Charles Guérin, 25 ans, victime d’une fuite de carburant au cours d’une mission de protection de convoi, tentera d’amerrir au lieu de sauter en parachute : il s’écrasera sur la mer. Dix jours plus tard, Yves Brière disparaîtra dans des circonstances identiques : il avait 22 ans. « Nous étions sept français dans la même escadrille, note René Mouchotte dans ses Carnets. Je reste seul avec Lafont. À qui le tour ? »
Ce fut au tour de Maurice Choron, qui disparaîtra le 10 avril 1942 au-dessus de Calais ; il comptait alors 90 missions de combat et 700 heures de vol. Au cours de l’été, Fayolle et Labouchère seront à leur abattus, le premier au cours de l’opération contre Dieppe, le second lors d’une mission au-dessus de la baie de Somme. Le 27 août 1943, le plus illustre de leurs compagnons, le commandant Mouchotte, devenu chef du groupe Alsace, disparaîtra à son tour lors d’une mission de « forteresses volantes » au-dessus de Saint-Omer. Il venait d’avoir 29 ans et totalisait 1743 heures de vol et 408 opérations de guerre**.
La participation de pilotes volontaires des nations alliées n’était, pour la RAF, qu’un appoint, mais d’une forte valeur symbolique. L’Angleterre n’était plus tout à fait seule à se dresser contre l’Allemagne ; les Français libres avaient ouvert la voie***.
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* Compagnon de la libération et membre du conseil de l’Ordre de la Libération (janvier 1941), Henry Bouquillard sera promu sous-lieutenant quelques jours avant d’être abattu en mission (11 mars 1941).
** Il avait été le premier pilote français à commander une escadrille anglaise. Au sein de la RAF, il était considéré comme une figure de légende : beaucoup voyaient en lui « le Guynemer de la France Libre ». Pierre Clostermann lui consacrera un chapitre du Grand Cirque : « il a été pour nous, conclura-t-il, le chef exemplaire, juste, tolérant, hardi et calme au combat, vrai Français à l’âme trempée, sachant, quelles que soient les circonstances, imposer le respect. » Ses Carnets posthumes seront publiés en 1949.
*** Des treize pilotes français libres ayant participé à la bataille d’Angleterre, trois seulement survécurent. Deux se tueront accidentellement après la guerre: Demozay en 1945, Montbron en 1955. « J’étais le plus jeune de ces hommes remarquables », écrira le colonel Laffont en 1990. Il avait 20 ans en 1940 ; à 83 ans, ce Compagnon de la Libération en est aujourd’hui le dernier survivant.