Les Françaises Libres. Spécificités d’un engagement hors norme(s) – appel à communications

Les Françaises Libres. Spécificités d’un engagement hors norme(s) – appel à communications

Les Françaises Libres. Spécificités d’un engagement hors norme(s) – appel à communications

Colloque international organisé à Paris en novembre 2020 par la Fondation de la France Libre

Joséphine Baker, Jeanne Bohec, Florence Conrad, Ève Curie, Margot Duhalde, Eugénie et Ginette Éboué, Marie Hackin, Simonne Mathieu, Élisabeth de Miribel, Marthe Simard, Josiane Somers, Hélène Terré, Tereska Torrès, Susan Travers, Simone Weil… Autant de noms qui évoquent l’engagement féminin durant le second conflit mondial. Du point de vue statistique, les engagées volontaires représentent 2,2% des effectifs de l’ensemble des Forces françaises libres1. Toutefois, si l’on prend en compte la nébuleuse française libre dans son intégralité (engagées militaires et civiles, comités, presse, propagande, philanthropie…), l’engagement des Françaises Libres est autrement plus significatif.
Et pourtant… Au-delà de ces parcours d’exception, le rôle et la place des femmes dans la France Libre est un sujet toujours relativement méconnu. Pendant la guerre, leur engagement fait l’objet d’une très forte médiatisation en raison de son caractère hors norme. Du fait de cette visibilité, des récits autobiographiques paraissent très vite, notamment sous la forme de mémoires et de carnets – avec des succès divers. Parmi ces nombreux titres, on peut citer Camarades de combat de Florence Conrad (1942), Volontaires pour la France d’Hélène Terré (1946), Women’s Barracks (1950) et Une Française Libre (2000) de Tereska Torrès, L’Épopée des A.F.A.T. d’Éliane Brault (1954), Quand j’étais Rochambelle, de New York à Berchtesgaden de Suzanne Torrès-Massu (1969), Au volant de Madeleine Bastille de Zizon Bervialle (1975), La Liberté souffre violence d’Élisabeth de Miribel (1981), Les Demoiselles de Gaulle de Sonia Vagliano-Éloy (1982), Où est Scarabée ? de Gilberte Parthenay-Charbonnel (1989) ou encore Tomorrow to be Brave de Susan Travers (2001).
En revanche, la recherche historique attend le début des années 2000 pour se pencher sur l’engagement des femmes dans la France Libre2. À cela, plusieurs explications : le succès de La France Libre de Jean-Louis Crémieux-Brilhac (1996), l’arrivée en France des gender studies et d’une nouvelle génération historienne, de nouvelles recherches sur l’anthropologie de la vie résistante venant complexifier ce champ d’étude, ou encore la disparition des dernières survivantes, qui crée un sentiment d’urgence. Quelques biographies mettent ainsi en lumière des personnalités d’exception, à l’image d’Éliane Brault (2009), Susan Travers (2014), Ève Curie (2016)… Malgré l’intérêt croissant pour ce sujet, nous ne disposons pas encore d’études générales sur les Françaises Libres, la plupart des travaux ayant été consacrés à des cas spécifiques tels que celui des Rochambelles, des volontaires françaises, ou des femmes Compagnon de la Libération3. Par ailleurs, une grande partie de ces récents travaux sont le fait de journalistes, non-universitaires, ou d’historien(ne)s anglophones – ce qui dénote la marginalité de la France Libre dans la recherche universitaire française. Toutefois, les publications à venir de Sébastien Albertelli et de Laure Humbert, respectivement sur le Corps des volontaires françaises (CVF) et l’ambulance Hadfield-Spears, laissent augurer une meilleure prise en compte de cette question par des historien(ne)s – en témoigne également ce projet de colloque.
Ce dernier a pour but de faire le point sur l’état de l’historiographie et d’impulser de nouvelles recherches. Lors de cette rencontre, nous nous interrogerons sur une question centrale : quel engagement pour les femmes dans la France Libre ?
Les projets soumis s’inscriront dans les axes ci-dessous :

1) Les chemins de l’engagement féminin
L’enjeu est d’établir une typologie de l’engagement féminin. S’inscrit-il dans la continuité d’une vie ? Représente-t-il une parenthèse ? Marque-t-il une rupture ou une réorientation ? Quel est son impact sur les relations personnelles, sur le domaine professionnel ou face aux normes sociales ? S’agit-il d’un acte isolé ou d’une dynamique de groupe ? Quels sont les buts, les motivations, de cet engagement ? Comment et depuis quel pays les volontaires rallient-elles la France Libre ? À quelles contraintes, à quels dangers doivent-elles faire face ? Comment ces femmes vivent-elles cette aventure ? Dans quelle mesure les normes sociales genrées et les relations de pouvoir homme-femme sont-elles un frein – ou au contraire, permettent, l’engagement politique, militaire ou culturel des femmes dans la France Libre ? Ces femmes y voient-elles une forme de libération ? Ou au contraire, quels états d’âme éprouvent-elles face à leurs choix – et éventuellement face aux réalités de l’exil ? Comment ces chemins de l’engagement féminin, dans leur diversité, se traduisent-ils dans les correspondances et les écrits de ces engagées ?

2) Les différentes formes de l’engagement féminin
L’engagement féminin au sein de la France Libre prend diverses formes. Pour « faire quelque chose », les volontaires briguent-elles un engagement militaire – qui peut les conduire au front ou à l’arrière ? Ou leur situation genrée les entraîne-t-elle plutôt vers un engagement civil – au sein des comités, dans le combat intellectuel, dans une organisation caritative ? Ou encore appartiennent-elles à cet univers si particulier de l’armée des ombres ? Dans quelle mesure le genre détermine-t-il la forme de l’engagement – et par conséquent le quotidien de ces femmes, ainsi que leur place au sein du mouvement ? Quelle fut la place des émotions, à l’épreuve du genre et de l’expérience combattante, chez ces engagées4 ? En quoi ce choix de la France Libre, dans ses différentes formes, les distingue-t-elles de leurs consœurs de la Résistance intérieure, des services alliés, ou des autres pays européens occupés – sur lesquelles l’historiographie s’est davantage penchée ? Et que peut nous enseigner cette comparaison ?

3) Les spécificités genrées de l’engagement féminin
Pour une femme dans les années quarante, l’engagement au sein de la France Libre est éminemment hors norme. Quels stéréotypes suscite-t-il ? Quel retentissement la propagande donne-t-elle à leur engagement, et comment met-elle en valeur leur courage, leurs parcours ? À l’inverse, dans quelle mesure les volontaires perpétuent-elles, ou non, la réputation d’élégance de la femme française au sein des armées et des comités ? Comment font-elles face à l’image de « femmes faciles » accolée à celles qui touchent de trop près au monde militaire ? Comment sont-elles représentées, médiatisées, selon quels codes ? Dans quelle mesure l’entrée des femmes dans la France Libre dénote-t-elle la porosité du genre, et la fluidité des identités ? En quoi leurs expériences de la bataille se distinguent-elles de celles des hommes ? Quel a été le poids de l’origine ethnique, de la classe sociale ou de la situation familiale de ces volontaires dans l’entrecroisement des rapports de domination au sein de la France Libre5 ? Quelles contraintes, quelles ruptures, implique leur insertion dans un univers éminemment masculin6 ? Comment les volontaires s’adaptent-elles à cette double rupture – à la fois personnelle et institutionnelle – que représente un engagement dans la France Libre ? Quant aux normes de genre, peut-on réellement parler de rupture, ou bien constate-t-on plutôt une continuation des pratiques genrées d’avant-guerre ? Quelles stratégies les volontaires développent-elles pour avoir accès à un plein engagement ? Comment jouent-elles avec les codes et se les approprient-elles ?

4) La mémoire et les héritages de l’engagement féminin
La mémoire ne conserve les traces que d’une infime minorité de ces milliers d’engagées, que de quelques figures illustres. Malgré une forte médiatisation pendant le conflit et la précocité des premiers témoignages, comment expliquer cette mémoire désunie, voire effacée ? Quel a été l’écho de ces témoignages, dans la masse des mémoires parus après-guerre, auprès du grand public ou au sein du monde combattant ? Quelle a été la part de l’auto-censure dans ces récits – et dans l’absence de récits chez de nombreuses engagées ? Peut-on, ainsi, parler d’une mémoire « genrée » ? À partir de quand cette mémoire a-t-elle émergé dans la conscience et l’imaginaire collectifs ? Peut-on, alors, établir une périodisation de la mémoire de l’engagement féminin ? Quels rôles ont pu jouer les associations dans ce phénomène, dans le cadre d’une « économie morale de la reconnaissance »7 ? Quel statut, quelles commémorations – plaques, stèles, monuments, décorations, représentation – et quelle historiographie pour ces « anciennes combattantes » hors norme(s) ?

Seront bienvenues les contributions portant sur :
– l’engagement féminin dans une perspective historique
– l’engagement féminin dans la France Libre et la France Combattante
– l’engagement féminin dans l’armée française de la Libération
– l’engagement féminin dans une perspective comparatiste :

  • dans la Résistance intérieure française, ses réseaux comme ses mouvements
  • dans la Résistance extra-métropolitaine des territoires coloniaux
  • dans les résistances étrangères
  • dans les armées et services alliés (SOE, SIS, OSS…)
  • sous Vichy et dans la collaboration

Modalités pratiques :
Les langues de travail du colloque seront le français et l’anglais. Un argumentaire (300 mots maximum) et une brève biographie académique sont à envoyer en français ou en anglais, avant le 15 mars 2020, à l’adresse suivante : documentation[at]france-libre[dot]net
Les auteurs des contributions retenues par le comité scientifique seront avertis avant le 15 avril 2020.
Les frais de transport, d’hébergement et de restauration des intervenants ne résidant pas en région parisienne et les repas du midi sont pris en charge par l’organisation.
Vous pouvez télécharger l’appel à communications au format pdf.

Comité scientifique :
– Sébastien Albertelli
– Valerie Deacon
– Charlotte Faucher
– Fabrice Grenard
– Laure Humbert
– Christine Levisse-Touzé
– Guillaume Piketty

Coordination scientifique : Diane de Vignemont et Sylvain Cornil-Frerrot (FFL)

1Jean-François Muracciole, Les Français libres. L’autre Résistance, Paris, Tallandier, 2009, pp. 45-49.
2Ce renouveau s’appuyait en grande partie sur une historiographie déjà bien développée, portant sur la notion de genre dans la Résistance. On peut citer, entre autres, les travaux de Claire Andrieu et de Paula Schwartz, ainsi que le premier numéro de Clio. Femmes, Genre, Histoire, paru sous la direction de Françoise Thébaud en 1995 et dédié à la place des femmes et du genre dans la Résistance et la Libération (https://journals.openedition.org/clio/700). Certains de ces ouvrages mentionnaient les Françaises Libres, mettant en avant la pertinence de ce thème et l’intérêt de cette nouvelle piste de recherche – mais il fallut toutefois attendre les années 2000 pour voir apparaître des études portant sur les Françaises Libres comme catégorie distincte.
3Voir, entre autres : Ellen Hampton, Women of Valor: The Rochambelles on the WWII Front, New York; Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006 ; la communication de Christine Levisse-Touzé sur le Corps des volontaires françaises dans Mechtild Gilzmer, Christine Levisse-Touzé, et Stefan Martens (dir.), Les femmes dans la Résistance en France, Actes du colloque de Berlin, 8-10 octobre 2001, Paris, Tallandier, 2003 ; Vladimir Trouplin, Christine Levisse-Touzé, et Guy Krivopissko, Dans l’honneur et par la victoire : Les femmes Compagnon de la Libération, Paris, Tallandier, 2009.
4Sur les notions d’émotion, on peut citer les récents travaux de Guillaume Piketty, dans lesquels ce dernier reprend la notion de « communauté émotionnelle », développée par Barbara Rosenwein, et l’applique à la sociologie résistante, ainsi que Damien Boquet et Didier Lett, « Les émotions à l’épreuve du genre », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 47 (2018), p. 7-22, URL : https://journals.openedition.org/clio/13961
. Cette approche émotionnelle aux questions genrées nous permet, notamment, de rompre avec une approche du genre purement identitaire.‬
5Citons, notamment, les travaux en cours de Nina Wardleworth sur Raymonde Jore, qui mettent en lumière les tensions entre ethnicité et genre pour les engagées de l’Empire.
6Sur la sociologie de cet univers masculin, citons les travaux de Luc Capdevila et de Fabrice Virgili sur la notion de virilité et les problématiques liées à la sexualité en temps de guerre.
7Guillaume Piketty, « Économie morale de la reconnaissance : l’Ordre de la Libération au péril de la sortie de Seconde Guerre mondiale », Centre d’histoire de Sciences Po|« Histoire@Politique », vol. 3, n° 3, 2017, URL : https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2007-3-page-5.htm