Eugénie Éboué
Par Djylena Jacir
Cette femme exceptionnelle nous a quittés à la suite d’une très longue et très douloureuse maladie, nous laissant une fois encore l’exemple de son grand courage.
C’est le 14 juin 1922 qu’elle s’est mariée avec Adolphe Sylvestre Félix Éboué. Tous deux se comprennent et se complètent.
En 1923 (c’est l’époque de la croisière noire de la mission Citroën), son mari est nommé en Oubangui-Chari. Elle le suit avec leur fille Ginette, mais ses obligations familiales ne l’empêchent pas de seconder activement son mari. Elle participe activement à ses recherches sur la transposition du langage tambouriné et sifflé. Pour cela elle n’hésite pas à apprendre les langues de l’Oubangui : le Sango et le Banda.
1932 est une date importante pour Eugénie Éboué. Son mari nommé à la Martinique secrétaire général exerce par intérim les fonctions de gouverneur. En effet, ils mènent ensemble cette action qui tend à faire disparaître les distinctions entre. Blancs, mulâtres et noirs.
L’année 1934 les voit de retour en Afrique, au Soudan. Elle accompagne son mari dans ses tournées dans le pays continuant ainsi ses recherches sur le langage sifflé. Elle parcourt ainsi pendant deux ans le Soudan, le Niger et la Haute-Volta.
Pour la première fois en 1936 le gouvernement français nomme un noir gouverneur et Félix Éboué dont la haute valeur est reconnue par tous est gouverneur de la Guadeloupe. Eugénie Éboué se dévoue sans compter pour affermir sa position n’hésitant pas à taper elle-même les notes confidentielles, les rapports, etc. (jeune fille, elle a eu un diplôme de sténodactylo).
Excellente musicienne, pianiste, Eugénie Éboué est également une remarquable cantatrice, et sa voix de soprano s’accommode admirablement de tous les airs d’opéra, qu’elle chante en s’accompagnant elle-même.
Artiste complète, elle fait du dessin, de la peinture, de la pyrogravure, elle exécute des tapis de haute laine, elle fabrique des objets en cuivre ou en étain repoussé.
En 1938, le gouvernement nomme Félix Éboué gouverneur du Tchad.
En France, en 1940, Eugénie Éboué parvient à rejoindre son mari à Fort-Lamy en passant par Alger et la Transsaharienne.
En août 1940, elle participe à la décision de son mari de rallier le Tchad à la France Libre, ce qui va permettre à Leclerc et à tant d’autres de prendre le départ pour le combat de la libération de la France.
Ce jour-là, Félix et Eugénie Éboué n’ont pas hésité à faire passer l’amour de la France avant la sécurité de leurs enfants. Les deux fils aînés prisonniers de guerre et leur fille en zone occupée. Les Forces féminines de la France Libre se forment, après Londres, à Brazzaville. Eugénie Éboué s’engage dans leurs rangs. Elle apprend à conduire les camions militaires et, après un stage d’infirmière, assiste en cette qualité les médecins de l’hôpital de Brazzaville, où sont soignés de nombreux blessés du front d’Afrique, notamment ceux de la colonne Leclerc qui ont pris Koufra.
Pendant ces quatre années de guerre, Eugénie Éboué seconde toujours son mari qui organise l’économie du pays pour la guerre et préconise l’éducation des masses. Une large décentralisation fait du colon un guide et l’administration se forme sur le principe du respect des coutumes et des institutions africaines.
Le 17 mai 1944, son compagnon, notre compagnon Félix Éboué meurt au Caire.
Poursuivant sa tâche, Eugénie Éboué, député de la Guadeloupe, membre de la délégation française aux diverses conférences des Caraïbes, sénateur, membre de l’Assemblée de l’union française, membre du Conseil économique et social, déjà titulaire de nombreuses décorations, dont la Légion d’honneur, qui lui fut remise dans la cour des Invalides par le général Kœnig, se voit élevée au grade de commandeur de la Légion d’honneur par le général de Gaulle.
Celle qui a toujours vécu pour élargir l’horizon, pour que les divers pays francophones et la France couvrent ensemble, fraternellement unis pour une paix dans la justice et la liberté, n’est plus.
Eugénie Éboué a rejoint les disparus de la grande épopée de la France Libre.
Elle est près de son mari, près de ses frères d’armes. Elle laisse parmi nous l’immense affirmation de la volonté qui passe tous les obstacles pour défendre et maintenir le respect de l’être humain.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 200, mars-avril 1973.