L’école d’élèves aspirants « Colonna d’Ornano », à Brazzaville
À la fin de l’année 1940, le général de Larminat, alors haut-commissaire de l’Afrique française libre, ordonne la création à Brazzaville d’un cours d’élèves aspirants. À vrai dire il s’agit bien d’une création : il y a seulement quelques mois que le Cameroun et l’A.E.F. ont décidé de reprendre les armes et de consacrer toutes leurs énergies à la lutte pour la libération. Aussi l’École sort de terre par les moyens du bord et les conditions de vie matérielle sont assez rudimentaires. On ne voit au camp d’Ornano ni pelouses spacieuses, ni stade bien tracé, ni terrain d’exercice pittoresque, ni bâtiments imprégnés de tradition.
Mais dans les « cases » de planches recouvertes de tôle ondulée, sur une motte de terre sablonneuse, dominant le Stanley Pool, revit l’esprit de Saint-Cyr, d’un Saint-Cyr de guerre, vivifié par le souffle des combats de la revanche déjà commencée et à laquelle tous brûlent de participer rapidement.
L’École porte le nom du lieutenant-colonel « Colonna d’Ornano ». Le nom de ce héros qui vient de tomber en janvier 1941 dans un raid d’une rare audace en territoire ennemi, à la tête de ses hommes est déjà un idéal. Au fronton de la salle de réunion s’inscrit la devise de l’École choisie par les élèves aspirants eux-mêmes : « Action – Sacrifice – Espérance ». Trois mots du général de Gaulle dans l’appel du 18-Juin, tout un programme que les élèves aspirants réaliseront pleinement. Cet esprit domine l’École, imprègne les élèves officiers et leurs instructeurs et tandis que les premiers demandent à terminer les cours au combat, les seconds, impatients de partir au feu, craignent que le commandement ne les retienne trop longtemps à Brazzaville.
C’est encore cette ardeur qu’exprimait au général de Gaulle, lors d’une de ses inspections à l’École, en février 1941, l’élève aspirant Dargent (photo ci-dessous), tombé glorieusement 15 mois plus tard à Bir-Hakeim :
« Nos âges sont différents. Nos formations intellectuelles visaient à des buts différents. Nos vies passées furent infiniment diverses. Mais nous n’avons tous qu’un âge, celui dont nous ont marqués les épreuves passées. Nous n’avons plus qu’un but : servir. Nos vies suivront dans le futur des voies parallèles…
Car nous savons tous que ceux d’entre nous, qui deviendront officiers, s’ils auront droit à un peu de respect, auront surtout les sérieux devoirs du travail, de la patience, de l’ardeur, du courage et la charge importante de lourdes responsabilités…
Nous ne sommes ni des surhommes, ni des saints mais nos devoirs envers notre patrie, envers nos chefs et nos hommes, envers nous-mêmes enfin, nous hausseront au-dessus de ce que nous fûmes.
Nous ne faillirons pas à nos devoirs.
Nous arracherons à nos ennemis, et par les armes et par la force souveraine d’une volonté indestructible, les bonheurs qu’ils nous ont ravis.
Nous partirons et prendrons chaque joie d’assaut. De victoire en victoire nous parviendrons au bonheur suprême, de la résurrection et de la pureté de la France.
Action, Sacrifice, Espérance.
Mon Général, mettez-nous à l’épreuve… »
Cet esprit qui s’affirme à l’École, était déjà, au départ, dans le cœur de chacun de ces garçons évadés de France pour combattre. La très grande majorité des élèves aspirants est en effet formée de jeunes étudiants de 20 ans, venus d’Angleterre avec les premières unités débarquées en septembre et octobre 1940 en Afrique française libre.
Le cours compte en outre quelques sous-officiers d’élite provenant des troupes coloniales et même quatre ou cinq administrateurs et colons engagés volontaires, tous animés de l’esprit d’ardeur de la jeunesse. Aussi le programme d’instruction militaire qui est celui d’un Saint-Cyr de guerre est assimilé en six mois par un travail acharné et continu que des « colles » hebdomadaires ou presque, stimulent s’il en est besoin.
Pourtant les conditions de travail sont particulièrement pénibles. Le camp est un « pauvre enfant né avant terme qui s’en ressentira toujours malgré les soins dévoués et éclairés dont il est entouré ».
C’est ainsi que le présente la Catapulte, le journal du camp. Six grandes cases de planches abritent les salles de cours, les réfectoires et les dortoirs et, après quelques mois, le « foyer ». Les lits sont des cadres de bois sur lesquels une toile est tendue ; les tables : des planches sur des tréteaux ; les marmites de la cuisine : des fûts d’essence coupés en deux. Si la douche consent parfois à vous arroser pour le savonnage, elle se refuse obstinément à vous rincer.
Mais surtout, le camp est dominé par le terrible soleil de l’équateur. Après l’exercice, qui dure de 5 h 30 à 11 heures, après la rosée, la boue des marigots qui « s’agglutine aux tibias », c’est vers 8 heures l’apparition du dévorant soleil africain. L’après-midi les cases au toit de tôle en protègent si peu qu’il est prudent de garder le casque durant la courte sieste ou les « Amphi ». Tous ces inconvénients sont d’ailleurs supportés avec bonne humeur et quelques bons « dégagements » surtout après la « colle » de fin de semaine, font oublier bien des ennuis…
Cent vingt aspirants environ sont sortis de l’école Colonna d’Ornano et furent immédiatement dispersés aux quatre coins de l’empire en guerre pour encadrer les unités en formation. Rapidement, aspirés par le vent du combat, ils se retrouvèrent tous sur les champs de bataille de la France Libre. Il y aurait encore des chapitres à écrire sur ces jeunes officiers au feu. Mais ces chapitres-là seraient toute l’histoire de la France Libre.
L’Association des Français Libres à Brazzaville a fait ériger, le 18 juin 1947, une stèle à la mémoire des trop nombreux aspirants du camp Colonna d’Ornano tombés sur le chemin de la Libération. Puisse ce monument rappeler à tous l’esprit qui souffla sur ces lieux : l’esprit pur et ardent de la jeune France Libre.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 23, décembre 1949.