Vie et mort de Charles Trépel

Vie et mort de Charles Trépel

Vie et mort de Charles Trépel

L’amiral Auboyneau serre la main du capitaine Trépel (RFL).

Évoquer la vie du capitaine Trépel est fort difficile. Cet homme qui devait laisser une si forte empreinte sur tous ceux qui l’approchèrent, fut toujours volontairement entouré de mystères, à plus forte raison dans les derniers mois de sa vie, alors que chef d’une troupe commando, il préparait un raid où il devait trouver la mort, opération si importante que le but, même actuellement, n’en a pas été révélé.
Son nom a été donné à un commando de marine et sa participation à la formation des tous premiers commandos français est si importante que son rôle doit être enfin sorti de l’ombre où cette grande figure n’est restée que trop longtemps.
De quelque côté que l’on aborde Trépel, sa personnalité fait éclater tout ce qui l’entoure. Sa vie militaire publique est très brève, à peine huit mois, et l’on ne peut qu’être bouleversé en pensant à ce qu’un tel homme aurait pu faire si le destin lui avait seulement laissé un an de plus à vivre.
Trépel, capitaine commando, était un des rares hommes de la dernière guerre présentant à ce point toutes les caractéristiques des bâtisseurs de monde appuyées, non pas sur des rêves, mais sur un solide réalisme. Sa vie entière est une aventure.
Né le 21 septembre 1908, à Odessa, il semble être, par sa famille, d’origine tchécoslovaque. La révolution le mène en Allemagne où il passe successivement par des périodes de misère extrême et d’opulence. 1933, et la montée du nazisme qui devait à partir de ce moment constituer pour lui un ennemi personnel, le mène à Paris. Il a une fortune, la perd dans un « Prix-Unique », se refait une situation enviable dans l’édition. Des amis de cette époque qui l’ont bien connu, gardent de lui le souvenir d’un honnête homme, d’une témérité et d’une opiniâtreté poussées presque jusqu’à l’absurde. Il a déjà le culte de l’effort physique, pratiquant régulièrement l’athlétisme. En 1939, la guerre. Il est Français et la cause de notre pays va conduire sa vie. Mobilisé dans l’artillerie, il est en juin 1940 lieutenant. Démobilisé, il rentre à Paris, mais la guerre n’est pas finie pour lui. Il passe en Espagne dès juillet 1941 et est l’hôte de la prison de Barbastro. Pas pour longtemps, un mois plus tard, il s’évade et gagne Barcelone sans encombres. Embarqué comme chauffeur sur un cargo neutre, il arrive à Gibraltar en septembre 1941. Et nous le retrouvons instructeur d’artillerie au camp F.F.L. d’Old-Dean, dès novembre 1941, puis il fait un bref passage dans l’escadron mixte qui est à cette époque en formation, mais dès janvier 1942 suit un entraînement spécial.
Il a trouvé sa voie. Une photo prise peu après nous le montre portant des badges au n° 4 commando britannique. Cette unité déjà célèbre par sa participation aux raids de Norvège, des Lofoten à Vaasgo, était à cette époque engagée déjà dans de petits raids sur les côtes occupées d’Europe, et Trépel participa sans doute à certains d’entre eux.
En mai 1942, il est détaché aux F.N.F.L. et rejoint le commando français en formation. Ce commando a commencé modestement, 15 marins ont suivi à partir de janvier 1942 le cours anglais avec le n° 2 commando, puis au camp d’Achnacarry. Trépel les rejoint au moment de la formation de la troupe 1 du n° 10 commando qui sera interallié. Cette unité est basée dans le pays de Galles. C’est de là que 15 hommes de la troupe française partent pour participer au raid de Dieppe, le 28 août 1942, mais Trépel ne peut les accompagner. Seul, un officier des équipages commande ce groupe qui devait participer à l’action fractionnée dans les diverses unités britanniques engagées. Trépel, simple lieutenant, travaille. Il étudie sans relâche, avec son énorme capacité de travail, les procédés de combat et de débarquement anglais.
En juin 1943, le n° 10 commando est transféré à Eastbourne, dans le sud de l’Angleterre, face aux côtes de France. Les succès récents d’Afrique laissent supposer que la libération de l’Europe est proche. Le commando français s’est augmenté lentement en nombre. Homme par homme, la création d’une seconde troupe qui prendra le n° 8 est décidée. Trépel en sera le chef. Tout un groupe de matelots conduit par l’officier des équipages Lofi est à Londres. Ils viennent du Liban. Ce sont des hommes du 2e bataillon de fusiliers marins qui vient d’être dissous, servant tous aux F.N.F.L. depuis 1940. Ils formèrent la base de la matière humaine donnée au lieutenant Trépel pour bâtir sa troupe. À eux, se joignent des volontaires presque tous arrivés récemment de France ou d’Afrique du Nord. Ils n’ont entre eux qu’un point commun : partis pour rejoindre les forces en 1940-1941, ils ont tous connu les prisons ou camps de concentration d’Espagne ou de Vichy. Tous sont volontaires pour le commando. C’est pour eux la fin d’une longue aventure.
Mais beaucoup n’ont jamais touché un fusil. Dès l’arrivée à l’unité, les nouveaux sont équipés sommairement et doivent accomplir en tenue de campagne une marche de 7 milles (13,500 kilomètres) en 60 minutes au maximum. Cette épreuve est éliminatoire. Trépel, dans l’ombre, suit attentivement ces marches. Tous ceux qui réussissent sont ensuite vus par lui quelques minutes. Il sélectionne les hommes qui formeront sa troupe. Il m’est possible d’évoquer un souvenir personnel : arrivé à l’unité trois ou quatre jours avant le départ en training, je venais de terminer, complètement épuisé, le fameux 7 milles, juste dans le temps nécessaire. Trépel s’approcha de moi. Il était petit, l’impression première était massive, et je devais souvent être étonné par la suite de l’agilité et de la rapidité de ce corps qui semblait mal taillé pour la vitesse.
Son visage à ce moment assez fort était extrêmement volontaire, et ce regard pénétrant expliquait sans doute son ascendant extraordinaire sur les hommes. Il m’interrogea de façon très précise. Il parlait un excellent français, un peu lent, juste teinté d’une pointe d’accent. Ses questions étaient brèves, obligeaient à dire tout ce qu’il désirait savoir. Apprenant que j’étais resté vingt-quatre mois prisonnier et n’étais que depuis cinq ou six jours en Angleterre, il me demanda avec un accent presque paternel, que je ne devais plus jamais lui entendre par la suite, si je pensais pouvoir tenir trente jours d’exercices aussi durs que le 7 milles, à raison de douze heures par jour. À ma réponse que « j’essaierai », il répondit simplement : « c’est bon, on verra, je vous emmène » et tourna les talons.
Quelques jours plus tard, un groupe de 80 aspirants commandos arrivait an commando dépôt d’Achnacarry. De ce groupe devait sortir la troupe 8. Dès l’entrée ils étaient prévenus : ici la guerre était déclarée. Tous les exercices avaient lieu à munitions réelles. À la porte du camp, une rangée de tombes rappelait le sérieux des matières enseignées dans cette étrange école. Et le travail commença sur un rythme hallucinant.
Au cours des marches qui étaient de plus en plus rapides et de plus en plus longues, les groupes devaient terminer le parcours au complet. Fréquemment des hommes épuisés perdaient à demi connaissance, ou s’évanouissaient en cours d’exercice. Traînés, portés même au besoin par leurs camarades, ils franchissaient l’arrivée avec les autres.
Trépel qui était à ce camp pour la troisième fois suivait, scrupuleusement, tous les exercices, se chargeait d’un sac ou d’un fusil pour soulager un de ses hommes épuisés. Mais en école anglaise il se faisait un point d’honneur de ne jamais intervenir dans la formation. Fidèle observateur, il encourageait les groupes, très rarement les individus.
Une anecdote montrera ce qu’il était, mieux qu’une longue description. À ce moment qui se situe à peu près au milieu du training, je fus victime d’une éruption d’anthrax, très douloureux sur les jambes, reste de la longue détention faite pour atteindre l’Angleterre. L’un d’eux se déclara de façon malheureuse sur un orteil et dut être ouvert au bistouri. Ayant pratiqué cette petite opération, le docteur anglais m’inscrivit pour quatre jours de repos, mais je regagnais la baraque, juste au moment où ma section partait pour un 20 milles forcé. Tous les exercices devaient être faits sous peine d’un renvoi immédiat ; je pris le départ et je ne sais comment, me frottant au passage le visage aux branches d’arbres mouillées pour oublier la douleur, parvins à faire cette marche dans le temps.
Trépel m’avait observé et ne dit rien à l’arrivée. Une demi-heure plus tard, il prit seulement connaissance de la note du médecin et vint me trouver dans la baraque. Il me dit simplement : « c’est très bien, nous sommes contents de vous, vous avez fait un excellent temps ». Dans les jours qui suivirent, il me demanda à plusieurs reprises si ma blessure se refermait et de le prévenir si j’estimais ne pouvoir tenir.
Dans la même semaine, le S.M. Hagnère, qui effectua une marche alors qu’il avait une rupture multiple du métatarse dut être hospitalisé ; mais Trépel veilla à ce qu’il fut breveté dès qu’il eut en main la radio de son pied. Ces petits faits montrent combien il méritait peu sa réputation d’être inhumain. Si un exercice n’était pas exécuté, il veillait lui-même au départ immédiat du défaillant, mais la preuve de volonté était tout pour lui.
À ce moment, son état-major était déjà constitué ; au lieutenant Lofi s’était joint l’aspirant Hulot (tombé le 27 septembre 1948 au Laos, dans les rangs du 4e commando laotien, à l’âge de 25 ans). C’était un athlète extraordinaire, pour lequel ni peur ni souffrance physique ne semblaient exister. Trépel tenait toujours à le précéder, mais personne ne pourra jamais dire au prix de quel martyre. Trépel était encore plus dur pour lui-même que pour ses hommes et c’est la raison pour laquelle il pouvait tout demander.
Cette session commando se termina sur un succès : 65 hommes avaient droit aux badges et au fameux « béret vert ». La troupe 8 devenait réalité.
De retour à l’unité le travail continua presque aussi dur qu’en Écosse. Mais Trépel, seul, le dirigeait, indiquant toujours dans quel but un exercice était fait. À ce moment, il passa à trois galons, étant ainsi à égalité de grade avec les autres chefs de troupe. C’est à cette époque qu’il compléta la structure interne de la troupe et décida de travailler à l’aise à tout moment, et j’eus ainsi l’occasion de le voir et de travailler directement avec lui. Il mettait à ce moment au point une tactique de mise à terre et de progression sur le terrain, basée sur l’infiltration individuelle, qui est la vraie tactique commando. Tous les exercices tendaient vers ce but.
Trépel était un bourreau de travail, mais ce qu’il exigeait était tellement au-dessous de l’effort qu’il fournissait lui-même que personne ne pouvait se plaindre. À la fin d’un exercice particulièrement dur, il me demanda si tout allait bien, et sur ma réponse que deux quick marches dans la journée étaient pénibles, il sourit en disant : « Croyez-vous que je ne souffre pas aussi? »
Son système de commandement supprimait totalement tout élément de souffrance physique, et résidait entièrement en une connaissance approfondie de chaque homme. Il se mettait fréquemment en colère, mais ses colères étaient artificielles, juste destinées à obtenir de chacun un peu plus qu’il ne croyait pouvoir fournir.
Sa façon de tirer son béret indiquait à ceux qui le connaissaient s’il était de bonne humeur ou non. Le capitaine Trépel travaillait sans cesse, passant tout son temps libre à étudier les livrets militaires anglais, se formant lui-même. Pour des questions de cartographie, il m’interrogeait souvent, en toute simplicité, puisque ces questions étaient destinées à lui rendre intelligibles des choses qu’il désirait savoir.
C’était un trait caractéristique de son caractère. Avec d’autres spécialistes de la troupe, matelots qualifiés, radios, ou même cambrioleurs, il était tout pareil, ne cherchant pas à cacher qu’il désirait savoir ce qui pouvait lui servir et que d’autres pouvaient connaître mieux que lui. À la sortie du commando dépôt, nous étions tous, individuellement commando, dès le mois d’octobre, sous la direction de Trépel, et personne n’expliquera jamais comment la troupe a été une unité, solidement coulée, composée de camarades s’estimant et se tenant, malgré les différences d’origine. Ce travail était le résultat même des efforts de Trépel, sa plus belle réussite, celle qui devait lui survivre.
À ce moment où Trépel s’apprêtait à conduire son unité encore plus loin, dans l’efficacité au combat, la dislocation du 10, pour des missions diverses fut décidée. Le matériel de chaque troupe était considérable, tout devait être mis en caisse.
Trépel, ne voulant pas perdre un jour de training, organisa ce travail au cours de « nuits de folie » où avec une équipe réduite, tout le travail fut fait, avec seulement deux heures de repos à l’aube, pour dormir, manger et se rééquiper pour les exercices du jour. Il y eut des ordres et des contre-ordres. Le débarquement en Corse avait lieu à ce moment, Trépel dut même abandonner sa troupe durant une dizaine de jours. Un document français affirme qu’il exécuta en compagnie d’un autre officier, un raid en France, mais cette information reste très douteuse. Puis ce fut le départ, non pas pour l’Afrique comme les hommes le croyaient mais pour plusieurs bases de départ sur la côte sud, dix petites opérations coups de main ayant été attribuées au deux troupes françaises. C’était la série d’opérations Hardtack. Le capitaine Trépel était chef d’un raid dirigé sur Berck-Plage. Mis au secret dans un château proche de Folkestone, quatre groupes préparaient côte à côte leurs opérations.
J’étais moi-même dans un groupe, celui du lieutenant Chausse, logé avec le sien et pus ainsi exécuter pour lui, d’après les photos aériennes, les plans et maquettes à grande échelle qu’il jugeait nécessaires. Plus que jamais, il pensait, avec une extraordinaire minutie, veillant au camouflage parfait des casques, faisant essayer cent fois les armes munies de silencieux, se passionnant surtout pour les mines, préoccupé du retour au travers du champ qu’il devait traverser, il inventa pour ce faire un système original permettant de repérer au retour les mines détectées à l’aller. Le plus petit détail retenait son attention. Il avait à un point inimaginable, la faculté de découper à l’infini un problème sans perdre de vue le but final. Il fit peindre tous les cuivres en noir, isoler les grenades, vérifiant sans cesse son canot.
Les hommes qu’il avait choisis étaient spécialement sélectionnés pour cette opération. C’étaient Hanières, S.-M. marin-pêcheur, de Berck même ; ancien du 2e bataillon Deviller, Q.-M. venu d’Afrique, également originaire de Berck ; Cabanella, matelot, qui avait déserté de l’escadre de la Martinique en 1940 pour joindre la France Libre. Repris, il avait été détenu deux ans par Vichy et avait fini par arriver par le Canada, marchand de primeurs dans le civil, dit la « Cabane » ; Rivière, Q.-M. du 2e bataillon, d’un caractère très égal, et Guy, un Q.-M. d’une grande force physique, deux radios et les hommes du canot complétaient cette équipe exceptionnelle.
Les dix raids confiés aux Français étaient prévus pour la nuit du 24 au 25 décembre, mais une quantité de facteurs intervenaient et cinq seulement purent avoir lieu. Un groupe disparut entièrement et trois morts furent à déplorer dans deux autres groupes ainsi qu’une dizaine de blessés. Une seule des opérations non exécutées fut maintenue et les quatre autres, dont celle de Trépel furent annulées. Cela lui porta un coup terrible, et alors que nous partions en permission, il monta à Londres.
Au retour, il avait retrouvé son entrain, personne ne saura jamais comment il s’était fait attribuer une autre opération. Le groupe du capitaine Trépel et le groupe du lieutenant Chausse, seuls en ligne, restèrent quelques jours ensemble. Trépel, à la lumière des enseignements apportés par les raids exécutés, fit pousser l’entraînement de la conduite des Doris, remorquant un Dinghy de caoutchouc, ce dernier touchant seul à terre, le Doris s’arrêtant à quelques centaines de mètres du rivage, deux hommes restant à bord.
Puis les deux groupes se séparèrent, celui de Trépel partit, ainsi qu’on devait le savoir plus tard, à la base de Great-Yarmouth. Dans la soirée précédant son départ, je l’aidais à faire un choix de gouache et crayons nécessaires pour établir ses plans de détail. Il me dit alors qu’il regrettait de ne pouvoir m’emmener pour étudier les photos, mais que cette opération était si importante qu’il était impossible d’en parler. Il ajouta aussi que plusieurs équipes s’y étaient cassé les dents et que s’il réussissait c’était un coup à gagner la Victoria Cross. Puis, et c’est sans doute la seule fois que je le vis mettre un peu de ses pensées à nu, il me saisit par le bras et à mi-voix avec enthousiasme ajouta : « Quand je rentrerai, nous ferons une grande unité, le retour en France est plus proche que tu ne le penses et nous aurons du travail, un travail énorme, à notre taille, que nous pourrons seuls faire ». Son tutoiement, tout à fait inhabituel, dépassait la familiarité. Son ton seul dévoilait un peu des ambitions et des projets qui couvaient en lui. Il était tard, nous nous séparâmes. Je ne devais plus le revoir. À partir de ce moment, l’unité fut coupée du groupe Trépel.
Le groupe Chausse exécuta sa tentative dans la nuit du 20 au 21 février 1944, sur les côtes de Belgique. À notre retour, un bruit courut : Trépel était parti, mais ça n’avait pas marché et il était revenu. Ce n’est qu’un bon mois plus tard que la 8 fut réunie à nouveau. Bougrain, le radio français du groupe Trépel, revint seul et put nous raconter ce qui était arrivé.
Le capitaine Trépel et son groupe, pour des raisons de sécurité, avaient porté à Great-Yarmouth, la tenue de marine des F.N.F.L. Leur préparation avait été un modèle de précision. Le raid était dirigé sur un point de côte de Hollande, au nord de Schevenonger. Une première tentative fut faite une nuit, entre le 20 et le 25 février, mais n’aboutit, pas, la M.T.B. portant le groupe parti dans une flottille se heurta au large à un groupe de vedettes allemandes ; échange de coups de feu, un mort sur un des ships anglais et, naturellement, retour à la base.
Une nouvelle tentative eut lieu dans la nuit du 27 au 28 février 1944. Cette fois, seule une M.T.B. prit la mer. Au large des côtes, elle tomba sur un groupe de bateaux allemands escortés et se glissa, inaperçue, dans la queue du convoi. Arrivée en face du lieu de débarquement, elle stoppa. Le Doris fut mis à l’eau. De la côte, une série de fusées signal s’élevèrent, certaines étaient même des fusées parachutes au magnésium. Des témoins affirmèrent plus tard que le bateau anglais avait dû être visible de terre, mais Trépel était déjà prêt au départ, il était là pour ça et certainement aucune circonstance extérieure n’aurait pu lui faire renoncer à ce projet. Tout d’ailleurs se passa comme prévu. Le capitaine Trépel était fort joyeux.
À quelques centaines de mètres de la côte, l’équipe de six hommes passa sur le Dinghy et s’enfonça à la pagaie dans la nuit. Puis plus rien. Le Doris attendit jusque vers 4 heures du matin. Déjà l’aube allait venir et les deux hommes qui le montaient durent regagner la M.T.B. Voyant le canot s’approcher, le radio français resté à bord, croyant à un heureux retour, commença à plaisanter avec son émetteur, mais bientôt l’on s’aperçut qu’il ne restait que deux hommes sur huit. Un des garçons resté sur la M.T.B. affirme avoir entendu un cri à terre après le départ du groupe.
Le groupe débarqué était muni d’un poste de radio, mais aucun message ne fut entendu. Le message joyeux de Bougrain au retour fut peut-être capté par un Allemand en possession du poste.
Le lieutenant, bientôt capitaine Lofi, assura la direction de la troupe 8. Mais Trépel vivait encore en ses hommes, et son esprit dont ils étaient dépositaires, les mena jusqu’au 6 juin, où il débarquèrent avec l’unité de Lord Lovat. La 1 et la 8 et une section K-Gun française formaient le premier B.F.M.C. intégré au numéro 4 commando devenue franco-britannique.
Après la libération de la Hollande, une enquête fut faite, sans résultat. Ce n’est qu’en juin 1945 que six corps furent retrouvés, tout près du lieu du débarquement. L’un d’eux s’était noyé, les cinq autres étaient morts de blessures (« exposures », dit le texte anglais). Ils furent identifiés et le corps du capitaine Trépel repose au milieu de ses compagnons au cimetière britannique de Wistdvin, près de La Haye, sous le N° 78. Des informations de source autorisée permettent de penser qu’ils avaient été suppliciés. L’on ne saura jamais comment ils rencontrèrent leur destin. Charles Trépel, capitaine-commando était entré dans l’Histoire.

Maurice Chauvet – N° 10 IA et 4 Commando

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 116, mars 1959.