Pierre Decroo
Le 25 mai 1950, le pilote d’essais Pierre Decroo, après avoir brillamment terminé les essais officiels d’un avion prototype à réaction, s’apprêtait à effectuer un dernier vol de mise au point. Il était rieur et enjoué, tel que le connaissait le personnel de la piste, et heureux de piloter cet avion avec lequel il avait su obtenir de remarquables résultats. L’appareil roulait à vive allure sur la piste, prenait de l’altitude et accomplissait son vol dans des conditions normales. Celui-ci prenant fin, Pierre Decroo annonçait qu’il se préparait à atterrir et, au même moment, l’avion fin et racé apparaissait au-dessus du terrain dans le vrombissement de son réacteur et à très grande vitesse. C’est alors que, contre toute attente, il amorçait une série de tonneaux et s’écrasait quelques kilomètres plus loin, sur le territoire de la commune de Marolles-en-Hurepoix, en Seine-et-Oise. Pierre Decroo, après avoir tant donné pour la France, trouvait une mort glorieuse en service aérien commandé, laissant une veuve, elle-même F.F.L., et un jeune garçon de 5 ans. Ce prestigieux pilote incarnait les plus nobles traditions de l’aviation française et sa brillante carrière fut marquée par une volonté tenace et une confiance admirable.
Tout jeune, il s’était consacré à l’aviation. À 17 ans, en 1931, Pierre Decroo reçoit son brevet de tourisme qu’il a passé à Orly. Deux ans plus tard, il est déjà vainqueur du tour de France des avions de tourisme dans sa catégorie. L’année suivante, après s’être classé de nouveau dans le tour de France, il entre à Istres, comme élève pilote, sort premier de sa promotion et gagne le concours de voltige.
En 1934, il est affecté au 33e régiment d’observation à Nancy, puis, démobilisé en mars 1935. Il effectue alors un raid au Soudan anglo-égyptien sur Moth Morane de 85 CV avant d’entrer chez Caudron comme pilote moniteur, à Ambérieu.
En 1937, il devient chef pilote de l’aéroclub de Cognac, puis se classe, en 1938, second au rallye international de Dinard : 7.700 km en quarante-huit heures, sur Percival (…).
Il est mobilisé, en 1939, comme moniteur de voltige à l’École de l’air mais quitte ce poste pour entrer à l’arsenal de l’aéronautique, en qualité de pilote d’essais.
Après avoir passé l’année 1940 à l’arsenal, il effectue un stage à la Montagne Noire pour prendre ses brevets de voile à voile et est nommé, en 1942, chef de centre adjoint au centre de vol sans moteur, à Saint-Auban. Là encore, il est attiré par la performance et devient champion de France de durée en planeur biplace avec un vol de seize heures.
Le 2 décembre 1942, apprenant qu’il était recherché par la Gestapo, pour ses activités clandestines, il quittait la France et franchissait, en 26 nuits de marche, les Pyrénées et l’Espagne où il se faisait arrêter, puis il passait au Portugal d’où un hydravion l’emmenait à Bournemouth. Il effectuait plusieurs stages dans les unités britanniques. Nommé sous-lieutenant le 15 juin, il fut affecté, en août 1943, au 64e squadron, à Coltishall, puis au groupe Berry. Là commençait sa carrière de pilote de guerre au cours de laquelle il fut nommé, pour ses courageux exploits, Deputy Flight Commander, commandant de Wing, puis commandant d’escadrille. Au cours de ses 167 missions de guerre, il devait montrer un courage et une habileté extraordinaire et la plus grande détermination à infliger le maximum de dommages à l’ennemi, détruisant, seul ou en participation, 14 navires, huit locomotives, deux trains de carburant, sept tanks transportés par voie ferrée, 16 véhicules, un dépôt de munitions dont l’explosion avait tordu les plans de son avion percé de 27 trous par la flack.
En septembre 1943, il coulait à la bombe un navire ennemi de 5.000 tonnes et revenait avec son avion criblé de balles et d’obus – 67 points d’impact – il se posait train rentré à sa base, ailerons déchiquetés. Il repartait le même jour à l’attaque d’un bateau-flack, le coulait avec ses camarades de vol et revenait ayant été touché sept fois.
Le 6 juin 1944, il participait au débarquement de Normandie et était abattu au-dessus d’Honfleur ; le lendemain, il était de retour à son Squadron.
Le 1er mars 1945, il ramenait de justesse son avion désemparé dans nos lignes après avoir attaqué trois postes de flack.
Le 7 avril 1945, attaquant à bout portant un convoi de munitions, dont l’explosion endommageait son appareil, il parvenait à regagner sa base ayant le feu à bord.
Ses exploits, devenus légendaires au groupe et à l’escadre, lui valurent d’être cité six fois à l’ordre de l’armée aérienne et de recevoir les plus hautes distinctions françaises et alliées.
Revenu à la vie civile, il reprenait son poste de pilote d’essai car il ne pouvait envisager de changer de profession tant il aimait l’aviation ; il l’aimait au point de lui donner sa vie. Déjà, le 10 janvier 1948, un appareil, avec lequel il accomplissait un vol d’essai, prenait feu au-dessus de la banlieue parisienne lui occasionnant d’atroces blessures, mais pour éviter la chute sur des écoles, ce magnifique pilote poursuivait son vol et ne sautait qu’à 150 mètres du sol. Dans une de ses dernières lettres, Pierre Decroo écrivait notamment : « Toute ma vie a été un constant sacrifice ; toujours j’ai lutté et je me suis battu… » Voilà bien résumée l’admirable carrière de notre infortuné camarade.
Par décret, en date du 30 mai 1950, il était décoré de la médaille de l’Aéronautique, à titre posthume, avec la citation suivante :
« M. Decroo (Pierre), capitaine de réserve, pilote d’essais, officier de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945, six palmes, croix des Français libres, médaille des Évadés, Distinguished Flying Cross, Air Medal, chevalier de l’ordre de Léopold, qui a trouvé la mort en service aérien commandé, le 25 mai 1950, au cours d’un vol d’essai ».
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Les obsèques de Pierre Decroo furent célébrées à Paris, le 31 mai 1950, à l’église Saint-Augustin, en présence de sa famille, de ses amis, de nombreuses personnalités officielles françaises et britanniques.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 41, septembre-octobre 1951.