Notre combat dans Paris

Notre combat dans Paris

Notre combat dans Paris

Souvenir de la libération de Paris août 1944

Le capitaine Perceval dans sa Jeep le 25 Août 1944 sur le Quai d’Orsay (RFL).
Le capitaine Perceval dans sa Jeep le 25 Août 1944 sur le Quai d’Orsay (RFL).

Porte d’Orléans, boulevard Brune, boulevard Lefebvre, boulevard Victor, place Balard, rue Saint-Charles. En passant sous le métro aérien, les voitures de tête reçoivent quelques coups de feu, les mitrailleuses des Halftracks commencent à tirer sans voir, c’est stupide, mais tout le monde est nerveux.

Pour ma part, j’ai l’ordre avec la 2e section Briault et la Section de commandement de tenir le Pont d’Iéna. Comme l’on craint des chars sur la colline de Chaillot, le colonel Noiret laisse à ma disposition son char personnel qui s’installe au pied de la Tour Eiffel en surveillance, face au pont. J’apprends par un civil qu’effectivement, il y a des chars dans l’avenue Kléber. Perceval m’a dit : « Débrouillez-vous, faites face ». À la guerre, il faut voir, alors pas de problème, le mieux est de s’approcher.

Je prends trois hommes, une mitrailleuse 7/6, un bazooka, un fusil avec son tromblon lance-grenades et en avant.

La prise du Trocadéro par les jardins

Nous débouchons sur la place du Trocadéro où j’installe ma mitrailleuse au défilement du terre-plein gazonné (qui me semble plus petit que celui qui existe à ce jour [1969]). Consigne donnée au mitrailleur : arroser l’avenue Kléber durant la progression que je me propose de faire en direction des défenses boches que l’on aperçoit au milieu de l’avenue ; mais avant de quitter la 7,6, un civil habillé d’une blouse blanche et d’un casque vient nous apporter une bouteille de champagne et me tient le discours suivant : «Tiens, Mon Lieutenant, c’est du bon, si t’en veux encore, je peux aller chercher d’autres bouteilles chez la comtesse de… ? Il y en a plein. » J’interdis à mes hommes de toucher à la bouteille, ce n’est pas l’heure. Ce civil est seul dans le coin, en effet, le blockhaus de l’avenue Kléber arrose systématiquement la place du Trocadéro et personne ne s’avise de la traverser.

J’en profite pour lui demander s’il y a moyen d’approcher le blockhaus que l’on voit ; il m’entraîne dans le café qui est au coin de l’avenue à droite en regardant l’Étoile. Là, me dit-il, on peut passer par les caves ; j’ai vite compris que cela est irréalisable et y renonce. De plus, ce joyeux quidam, qui est déjà dans les vignes du Seigneur, veut absolument que j’aille avec lui pour embrasser sa femme ; je m’en débarrasse en le laissant au zinc fêter la victoire à venir.

Avec mon tireur de grenade à fusil, nous progressons dans l’avenue et nous mettons le feu à quelques véhicules qui se trouvent vers le blockhaus. La progression d’arbre en arbre ne donnant pas satisfaction, je reviens en arrière et à la sortie du métro qui se trouve près du cimetière de Passy, je consulte le plan de Paris et je choisis un itinéraire qui va me permettre d’attaquer le point fort de l’avenue ; je repars avec mes trois gars par l’avenue du Président Wilson, la rue de Lubeck, la rue de Longchamp, pour réapparaître sur l’avenue Kléber où nous servons quelques boches qui viennent de montrer leur nez, ainsi que le blockhaus à coups de bazooka.

Notre consommation a été importante ; nos caissons sont vides, vu le poids nous n’avons que peu de munitions. J’expédie un de mes soldats qui repart au pas de course vers le Halftrack « Tchad » ; en cours de route il embauchera deux civils comme porteurs et reviendra avec un solide chargement qui nous permettra de faire subir un bombardement sévère de grenades antichar et de roquettes à la masse de sacs de sable qui constitue la défense extérieure de l’Hôtel Baltimore.

L’ennemi a réalisé d’où viennent les coups, en prenant des risques ils nous « allument » avec de courtes rafales de mitrailleuses. L’échange de bons procédés se maintient sans cesse de notre côté. Il n’en sera pas de même chez eux ainsi que je pourrai le constater bientôt.

Estimant que nous ne saurions obtenir un résultat valable avec ces séries de duels – je reviens en avant avec mon équipe et, par la rue Boissière, me pointe face aux arrières de la petite forteresse que je peux examiner en détail – elle est constituée par la rôtisserie Berrichonne qui fait partie de l’Hôtel Baltimore (maintenant B.N.P.) et tout le trottoir sur l’avenue Kléber qui est transformé en fortin par des sacs de sable et des réseaux de barbelés – le tout est particulièrement détérioré par nos projectiles qui ont été efficaces – on y a mis le prix.

Dans la rue Léo Delibes, alignées le long du trottoir, il y a une vingtaine de voitures de tourisme : après l’opération nous pouvons vérifier qu’elles sont chargées de bagages et prêtes au départ « Nach Berlin ». Les dépanneurs de la Compagnie pourront en récupérer une et constater que toutes les autres ont été pillées : récupération par les civils.

Notre nouvelle situation au confluent de la rue Boissière et de l’avenue Kléber est favorable – c’est l’arrière du dispositif ennemi et l’entrée qui se trouve rue Léo Delibes est visible et pas défendue. Ceci est bon. Notre présence fait recette, une foule de curieux se presse autour de nous bien à l’abri des immeubles d’angle.

Je pense que c’est le moment d’obtenir la reddition des Allemands – je demande aux spectateurs si quelqu’un parlant l’allemand se trouve parmi eux – immédiatement un monsieur se présente – mon armée a doublée ses effectifs : je dispose de trois soldats et de trois civils. Plus de réaction du blockhaus qui ignore mon arrivée sur son dos. Ma décision est vite prise je m’assure que mon « Colt » est armé – je laisse en batterie, à l’angle de la rue Boissière, la mitrailleuse 7/6, bazooka et lance-grenade, et, seul avec mon interprète, je fonce en courant vers la porte de l’Hôtel Baltimore ; profitant de la surprise, je fais venir l’officier qui commande l’ensemble et lui intime l’ordre de faire sortir tout son monde et de débarrasser la rue des barbelés. Dans la salle du restaurant, je peux faire le bilan de l’opération : quatre morts et un blessé chez l’ennemi.

Les Tchadiens de la 2e Compagnie du 1/RMT autour du capitaine Perceval (RFL).
Les Tchadiens de la 2e Compagnie du 1/RMT autour du capitaine Perceval (RFL).

Bien disciplinés, tous les Allemands, une cinquantaine, sortent colonne par trois et en route vers le pont d’Iéna ; ils disent bien connaître le chemin – ce sont des Parisiens ! Avec mes trois poilus, nous obtenons un gros succès de la foule qui s’est groupée dans toutes ces rues qui étaient désertes quelques temps auparavant.

Pendant mon opération Trocadéro-Kléber, Perceval plaçait le lieutenant Marson face au Pont de l’Alma et lui-même, toujours de l’avant, continuait sa progression, nettoyant au passage la gare des Invalides.

Marson avec le groupe Schreck, qui va visiter le Cours la Reine, a quelques blessés par des miliciens qui se trouvent vers le Petit Palais ; le jeune de La Brunelière est mortellement atteint, son frère jumeau, qui est aussi des nôtres, exécutera de sa propre main, les trois miliciens qui seront pris à ce moment et vengera son frère… (les deux gosses s’étaient joints à notre compagnie lors de notre passage en Normandie). Le capitaine Perceval avec le reste de la compagnie fonce vers l’École militaire (ils sont sur Halftrack).

Le spectacle vaut la peine d’être conté, les civils se sont mélangés aux soldats, tout le monde veut voir, c’est une vraie ribote ; les boches se défendent. Ils tirent ; les obus éclatent ; civils et soldats plongent au sol, les uns sur les autres. Perceval, qui porte son képi de Marsouin, tout blanc de la pulvérisation des pierres de taille de l’École militaire, se relève et fonce sur l’entrée de l’École suivi de ses gars : c’est la méthode de Leclerc à Koufra. Stupéfait, l’ennemi abandonne et se rend : la foule, qui a entendu un motocycliste porteur d’ordres, réclamer « Où est le capitaine Perceval » se met à crier « Vas-y Perceval. »

La soirée se passe à réunir nos prisonniers, puis à les conduire dans je ne sais plus quelle caserne de la Rive gauche.

Ceci fait, nous nous retrouvons place de l’Opéra où l’opération ramassage des prisonniers se fait à nouveau dans les locaux du commissariat de Police qui se trouve installé dans le Palais Garnier, du côté de la rue Auber. Un titi vient barboter les bottes d’un prisonnier et lui refile ses vernis à la place, mais quels vernis !

Nous nous retrouvons à l’École militaire : Perceval fait le tour de ses véhicules. Nous faisons le point de la casse. Demain, il faudra faire le tour des hôpitaux.

La nuit est venue, il faut quand même essayer de dîner : biscuits, corned-beef ou bien de l’eau. Puis des couvertures sur le pavé reçoivent les glorieux libérateurs pour leur première nuit parisienne.

Maurice Jourdan
(suite de l’article « La patrouille », n° 181/182)

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 306, 2e trimestre 1999.