Chants antigiraudistes de la Première division française libre

Chants antigiraudistes de la Première division française libre

Chants antigiraudistes de la Première division française libre

Le contexte

À la suite du débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942, les autorités vichystes d’Afrique du Nord basculent dans le camp allié sous le commandement de l’amiral Darlan puis du général Giraud. Soutenues par le président américain Roosevelt qui se méfie de De Gaulle, elles disputent à ce dernier l’autorité sur la France en guerre contre les forces de l’Axe.

On assiste alors à une vague de « désertions » de combattants d’Afrique du Nord vers les Forces françaises libres. Ce phénomène prend une véritable ampleur après la campagne de Tunisie (novembre 1942-mai 1943), au cours de laquelle les Forces françaises libres, au sud, et l’armée d’Afrique, à l’ouest, ont combattu aux côtés des armées anglo-américaines contre les troupes germano-italiennes. Il est favorisé par l’afflux de quelque 20 000 évadés de France par l’Espagne qui, dans leur majorité, veulent rejoindre les Forces françaises libres. Au total, 1 700 à 2 700 hommes, surtout du 7e régiment de chasseurs d’Afrique et du 4e régiment de spahis, changent ainsi d’unité.

Envoyées en Tripolitaine sur ordre du général Giraud pour s’y reformer dans le calme, la 1re division française libre du général Kœnig et la 2e division française libre du général Leclerc – future 2e division blindée – n’en continuent pas moins à recevoir des volontaires jusqu’à la fusion des Forces françaises libres avec l’armée d’Afrique, le 31 juillet 1943. Elles peuvent alors rentrer en Afrique du Nord française pour s’y réorganiser véritablement. N’en demeure pas moins une certaine rancune des Français Libres à l’égard des giraudistes, rebaptisés par eux « moustachis » – en référence aux moustaches du général Giraud. L’incompréhension mutuelle, le mépris réciproque et les rivalités laissent des cicatrices, en particulier au niveau des combattants, que seule l’épreuve du feu, en Italie et en France, permettra d’apaiser relativement, en créant une certaine fraternité d’armes.

Protestation des Français Libres

Expulsées vers la Tripolitaine le 10 juin 1943 sur ordre du général Giraud, les 1re et 2e divisions françaises libres obtiennent de rentrer en Tunisie après l’accord du 31 juillet 1943 unissant les Forces françaises libres et l’armée d’Afrique. Durant leur séjour à Hammamet (Tunisie), le capitaine Paul-Hémir Mezan (11 août 1912, Amiens – 18 juin 1944, Radicofani) et le lieutenant Yves Amanton (tué le 7 juin 1944), officiers du 22e bataillon de marche nord-africain, une unité de la 1re DFL, composent le Chant de protestation du 22e BMNA, devenu la Protestation des Français Libres et créé par Germaine Sablon, alors infirmière à la 1re DFL.

Nous sommes trois mille sans reproche
À la Croix d’Or à double bras
Nous avons vu même le boche
S’enfuir en hâte devant nos pas
Vous qui voulez qu’on nous absorbe
Qu’avez-vous à nous reprocher ?
Nous n’avons pas connu l’opprobe (sic)
Nous n’avons pas capitulé

Refrain
Ne touchez pas aux Français Libres
Ils ont fait montre de leur foi
Pour la patrie seule leur cœur vibre
Comme les Croisés autrefois
Un Français de fusillé, c’est un Français Libre
Honneur, Patrie, Liberté, il sera vengé

L’infâme école de la honte
N’a pas sali notre drapeau
De Libreville jusqu’à l’Oronte
Nos noms s’inscrivent sur des tombeaux
Maintenant que monte la Victoire
Vous êtes tous prêts à l’accueillir
Pendant trois ans reniant la gloire
Qu’avez-vous fait sinon trahir ?

Lorsque la France agonisante
Mettait en vous son seul espoir
Vous adoriez la main pesante
Qui effaçait mille ans d’histoire
Votre mentalité d’esclaves
Accepte toutes les avanies
Nous vous laissions brouter vos raves
Ne bavez pas sur l’infini

Vos ventres de propriétaires
Font craquer vos tenues dorées
Et la situation bancaire
De votre pognon seule est sacrée
La France n’est pas un camembert
La guerre une école de rentiers
Nous sommes tous des prolétaires
En cela est notre fierté

Nous avons mesuré l’abîme
Qui nous sépare toujours de vous
Essayez d’atteindre la cime
L’honneur n’est pas un mot de fou
Sachez que pour savoir vouloir
Il faut d’abord savoir risquer
Sa peau rien que pour la gloire,
Être un seigneur, Messieurs, saluez !

Le Mousquetaire

Le Mousquetaire est le chant de marche du bataillon d’infanterie de marine ; il a été composé par Henry-Christian Frizza. Dans le contexte des frictions entre gaullistes et giraudistes entre le basculement de l’Afrique du Nord vichyste dans le camp allié en novembre 1942 et le départ de la 1re DFL pour la campagne d’Italie en avril 1944, Jean Coupigny (19 avril 1912, Périgueux – 22 novembre 1981, Cannes), médecin capitaine à l’Ambulance chirurgicale légère de la 1re DFL, écrit de nouvelles paroles, marquées par une franche hostilité à l’égard des giraudistes de l’armée d’Afrique.

Refrain

Le Mousquetaire,
Sur cette terre,
C’est le Free French au passé éclatant.
Arrière, arrière,
Hordes d’Hitlèr’e
Vous ne vaincrez jamais nos Régiments.

Couplets

I

Vieux Moustachi à la poitrine plate,
Jeune F.F.I. rempli d’un zèle ardent,
Et vous marins, vous qui vous sabordâtes,
Inclinez-vous devant nos Régiments.
Et quand la poudre,
Comme la foudre,
Gronde au milieu des combats acharnés,
Ah ! quel carnage,
Sur son passage,
Restent des morts mais pas de prisonniers.

II

Nous les Free French, nous qui fûmes rebelles,
Pour que la France soit libre comme avant,
On s’est battu, on a vaincu pour elle,
Pleins de confiance même aux pires instants.
L’Abyssinie
Et la Libye
Ont vu d’abord flotter, nos fiers drapeaux,
Dans la bataille,
Sous la mitraille,
De Bir Hakeim au Garigliano.

III

Tous les soldats de notre France Libre,
Veulent qu’on pense à leurs chers disparus.
Chantons pour eux dans cette foi qui vibre,
Qu’ils nous pardonnent, eux qui ne parlent plus
Et que leur Gloire,
Dans la Victoire,
Soit exaltée avec un grand éclat.
Croix de Lorraine,
Pure et sans haine,
Veille sur eux qui sont tombés pour toi.

IV

Nous qui n’avons pas connu la défaite,
Nous qui n’avons jamais capitulé,
Nous aurons droit, quand la Paix sera faite,
À un respect bien durement gagné.
Si le Grand Charles
Un jour nous parle,
De recombattre pour la Liberté,
À son appel
La D.F.L.
Comme un seul homme se dresse à son côté.

Revue de la France Libre

Coll. Fondation de la France Libre

Le Carillon des moustachis

Air : « Les Allobroges »

Ce chant illustre l’hostilité réciproque entre les Français Libres (Free French en anglais) et les « moustachis » giraudistes. Le général Diego Brosset succède au général Kœnig à la tête de la 1re DFL le 1er août 1943. Le général Amédée Mollard (1879-1964) est commandant militaire de la Corse de 1943 à 1947.

I

Sept officiers à la croix de Lorraine
Voulant passer à Tunis la soirée
D’un restaurant se trouvant fort en peine
Au « Carillon » entrèrent pour dîner ;
On les reçut de façon fort amène,
Car les Free French partout sont respectés ;
De « moustachis » la salle était fort pleine.
lls étaient jeunes, ils étaient gais : ils se mir’nt à chanter :

Refrain
Ô Vaillants Moustachis, dans vos sombres gargotes,
Nous somm’s venus chercher à boire et à manger.
Nous aimons à chanter, à chanter à voix haute,
Le vin, la Liberté, la Liberté.

II

Ils ne chantèr’nt null’ chanson indécente,
Ils ne brisèr’nt ni plat ni mobilier,
Ils ne fir’nt null’ plaisanterie méchante,
Ils ne bur’nt pas plus qu’il n’est régulier ;
Ils’ne violèr’nt ni garçon ni servante
(Car c’étaient tous des gens fort bien él’vés)
Il n’était pas besoin qu’on s’impatiente.
Ils étaient jeun’s, ils étaient gais : ils ne fir’nt que chanter :

(Au refrain)

III

Mais un civil à min’ patibulaire
Que la Musiqu’ paraissait énerver
Envoya le gérant en émissaire
Leur dir’ : « Le général veut qu’vous cessiez !
« Le Carillon est un Cerc’ Militaire :
«Ce n’est pas un endroit pour chahuter. »
Ils répondir’nt, l’injure étant trop claire
« Quel général ? On connaît pas. On continue d’chanter » :

(Au refrain)

IV

Le petit vieux alors, sans que ça tarde,
Tout furibond vers eux s’est avancé ;
Il dit : « C’est moi le général Mollard’e ;
Vous êtes des voyous, disparaissez ».
Mais eux alors, en sentant la moutarde,
Sous cet affront qui leur montait au nez,
Lui répliquèr’nt : «Tais ta gueul’ : on t’emm…arde,
«Toi, Général ? On n’en sait rien. Fous l’camp ; tu nous fais ch…

(Au refrain)

V

Tout suffoqué par tant d’indépendance,
Il eut encor la forc’ d’articuler :
« Le plus ancien d’entre vous qu’il s’avance »,
Croyant ainsi pouvoir les attraper.
«Voilà quatre ans que nous somm’s dans la danse,
« Nous somm’s anciens tous à égalité ».
Et l’ayant ainsi réduit au silence,
Ils l’entourèr’nt toujours contents, continuant à chanter :

(Au refrain)

VI

Il se pourrait qu’au fond des lieux d’aisance
Le général ait été s’enfermer ;
En tout cas ils payèr’nt sans résistance
Et prirent le chemin de l’escalier,
On ne sait pas si par inadvertance
Dans la descent’ quelqu’un fut bousculé.
Mais il est sûr qu’ayant bonne conscience
Sans nul remords ils sen allèr’nt continuant à chanter :

(Au refrain)

VII

À quelques jours de ce soir mémorable,
Brosset reçut un’ lettr’ embarrassée,
Disant : « Vraiment, je trouve intolérables
Les façons de tous vos subordonnés ;
J’espèr’ qu’au Cerc’, endroit très vénérable,
Vous les prierez de n’ pas recommencer ».
Pour faire fi à ce vieux lamentable
Nous irons tous au « Carillon » un beau soir lui chanter
Ô vaillants Moustachis, dans vos sombres gargotes,
Nous somm’s venus chercher à boire et à manger.
Nous aimons à chanter, à chanter à voix haute
Le vin, la Liberté
La Liberté.