La Marine nationale, les FNFL et le débarquement de Provence

La Marine nationale, les FNFL et le débarquement de Provence

Par le vice-amiral d’escadre Émile Chaline

Les FNFL sont écartés du débarquement de Provence

Depuis le 3 août 1943, date de la « fusion » entre les FMA (Forces maritimes d’Afrique du Nord) et des FNFL (Forces Navales Françaises Libres), il n y a en théorie plus qu’une seule marine nationale. En fait la « fusion » ne s’est pas faite ou plutôt elle s’est mal faite, car il n’était pas possible aux marins d’Alger d’abandonner sur-le-champ les sentiments d’hostilité que la propagande de Vichy leur avait commandé, pendant trois ans, de nourrir vis-à-vis des marins de Londres, non plus que leurs sentiments de fidélité au maréchal Pétain. Le sectarisme s’est donc installé de part et d’autre ; et jusqu’à la fin de la guerre deux marines presque distinctes cohabiteront, chacune faisant son devoir au gré des circonstances et de sa situation géographique.
Les FNFL deviendront les FNGB (Forces Navales en Grande-Bretagne). Cependant, quelques unités FNFL seront rattachées progressivement aux FMA ; c’est le cas des corvettes du sud, des sous-marins côtiers et des avisos. De même un timide brassage de personnel sera entrepris.
En Grande-Bretagne, la participation des unités opérationnelles des FNGB aux opérations de débarquement en Normandie était prévue et inscrite dans les plans Overlord et Neptune depuis décembre 1943 ; l’amiral Lemonnier obtenait ultérieurement que les croiseurs Montcalm et Georges Leygues soient inclus dans le plan de bombardement et de soutien feu en zone américaine. À Milford Haven où, après les opérations d’Omaha, les croiseurs séjournaient du 16 juin au 11 juillet et où, pendant cette période les corvettes Roselys et d’Estienne d’Orves venaient périodiquement relâcher entre les incessants va-et-vient qu’elles continuaient à assurer avec les plages de débarquement, il n’y avait eu aucun contact ou signe d’amitié entre les états-majors et équipages des « frères ennemis ».
Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles seules trois modestes unités ex-FNFL seront associées au débarquement de Provence !

Participation de la marine au débarquement

Faute d’avoir pu être concomitant avec le débarquement de Normandie, le débarquement de Provence (opération Dragoon) suit Overlord, avec deux mois de retard. Il vise à la création d’une tête de pont et à l’utilisation dès que possible d’installations portuaires importantes.
Dragoon diffère d’Overlord sur bien des points :
– il se déroule en l’absence de réaction ennemie, aussi bien dans les premières heures que pendant les premiers jours du débarquement. L’opposition navale ne dépasse pas le stade de mouillage de mines, d’actions très limitée de sous-marins, de nageurs de combat et de vedettes rapides ;
– les forces terrestres françaises sont à égalité avec les forces américaines, à cette réserve près que, pour le premier choc de l’assaut, le commandement allié a décidé de n’employer que des troupes de langue anglaise. Les forces navales françaises comprennent :
– le cuirassé Lorraine,
– les croiseurs Montcalm, Georges Leygues, Gloire, Émile Bertin, Dugay-Trouin, Jeanne d’Arc,
– les croiseurs légers le Terrible, le Fantasque, le Malin,
– les torpilleurs le Fortuné, Forbin, Tempête, Simoun, l’Alcyon,
– les destroyers d’escorte Marocain, Tunisien, Hova, Algérien, Somali,
– les avisos-dragueurs Commandant Dominé, la Moqueuse, la Gracieuse, Commandant Bory, Commandant Delage, la Boudeuse,
– les pétroliers Elorn, Mékong, Var,
– les transports (munitions) Quercy, Barfleur,
– l’YMS 271 et les chasseurs 95 et 96 ;
soit au total 34 bâtiments dans une armada de 500 navires. Nos unités sont dispersées dans les forces américaines. Sont considérées comme FNFL, parce que les équipages sont en majorité FNFL, les trois unités suivantes : Tunisien, Commandant Dominé, la Moqueuse.
L’opération Dragoon comprend trois forces de débarquement :
Embarqué à bord de La Pique, le général de Gaulle passe la revue navale à Toulon, le 15 septembre 1944 (RFL).
Embarqué à bord de La Pique, le général de Gaulle passe la revue navale à Toulon, le 15 septembre 1944 (RFL).
– Alpha, de Cavalaire à Saint-Tropez.
– Delta, plage de la Nartelle à l’est de Saint-Tropez.
– Camel, région Agay, Saint-Raphaël et une force de soutien, Sitka, chargée en outre d’une action de commandos sur le cap Nègre et sur l’île du Levant, le coup de main sur Le Trayas étant confié au groupe naval d’assaut de Corse.
Les zones de débarquement ont été choisies à l’abri des ouvrages ennemis les plus menaçants, notamment la batterie de Cépet dans la presqu’île de Saint-Mandrier, qui a été équipée par les Allemands avec les canons de 340 mm récupérés sur la Provence après le sabordage de la flotte. La présence de cette batterie de quatre pièces en deux tourelles fortement cuirassées, susceptibles de battre les plages dans un rayon de 35 kilomètres, à une cadence de 8 coups/minute avait fait éliminer tout le secteur allant de La Ciotat aux Salins d’Hyères.

Phase d’assaut

Pendant cette phase (15-16 août) et à l’exception du groupe naval d’assaut de Corse, qui malheureusement progresse sur un champ de mines (dix tués, 17 blessés, 28 prisonniers), on ne déplore que des pertes minimes. Les croiseurs interviennent en soutien feu des premiers débarquements, tirant 1 846 coups de gros calibre sur les fortifications de la région de Saint-Tropez/Saint-Raphaël. En fin d’après-midi le 16, le gros de l’armée française commençait à débarquer dans la région de Saint-Tropez/Cavalaire.
Les chalands de débarquement de la Force Alpha au mouillage devant le golfe de Saint-Tropez (RFL).
Les chalands de débarquement de la Force Alpha au mouillage devant le golfe de Saint-Tropez (RFL).
Nos croiseurs participent ensuite à la réduction des batteries côtières entre Cavalaire et Cépet et prennent part à l’attaque de Toulon (20-28 août) et à l’exploitation du succès initial jusqu’à la frontière italienne. Ils tirent plus de 8 500 coups de canon, dont 5 241 de calibre supérieur à 138 mm. Le 24 août, Cannes et Grasse étaient libérés, le 30 les Américains faisaient leur entrée à Nice. Le 28, Toulon et Marseille se rendaient à la Ire armée du général de Lattre.
C’est la neutralisation des batteries allemandes qui sera l’opération la plus difficile : Giens ne se rendra que le 23, Cépet tiendra jusqu’au 28. La presqu’île de Saint-Mandrier recevra, entre le 13 et le 28 août, plus de 800 bombes de 500 et 1 000 kilos lancées par 600 avions et 1 400 obus de très gros calibre représentant 350 tonnes tirés par 15 grands navires qui se relayaient pendant une semaine pour tenter de détruire la batterie de 340 mm. Ainsi, plus de quatre ans après l’abominable armistice de juin 1940, comme à Dakar, au Gabon, en Syrie, à Madagascar, à Casablanca, des canons français cette fois armés par les Allemands, mais fidèles à la malédiction de Vichy, avaient tiré sur les Alliés.
Le Fantasque est touché (quelques blessés) le 19 août par des batteries de côte en tentant d’entrer en rade de Hyères. Le Georges Leygues est atteint le 20 août, mais sans gravité.

L’action des FNFL

Les opérations sur le « flanc oriental » n’eurent qu’une importance secondaire par rapport à celles qui se déroulèrent à l’ouest des plages de débarquement. La prise des ports de Toulon et Marseille constituait en effet l’objectif majeur de l’opération Dragoon.

Rôle du 1er RFM

Le 1er RFM allait, au sein de la 1re DFL, jouer un rôle essentiel dans la libération de Toulon.
Il débarque le 17 août à Cavalaire. Le 20, il est au contact de l’ennemi. Le 21, le 2e escadron, commandé par le lieutenant de vaisseau Savary, appuie l’avance de l’infanterie de la 1re DFL vers La Crau, cependant que le 4e escadron, commandé par le lieutenant de vaisseau Langlois, poussant une reconnaissance sur Hyères, est engagé devant le Golf Hôtel et violemment pris à partie par l’artillerie ennemie, sur la route de Toulon. Le 22, le 3e escadron, commandé par le lieutenant de vaisseau Brasseur-Kermadec, traverse La Crau sous le feu de l’ennemi et contribue à enrayer une contre-attaque allemande au château de Saint-Michel, puis entre à La Garde ; son 1er peloton détruit cinq lance-flammes au Pradet, son 2e peloton progresse par Hyères, La Moutonne, La Garde, sous le feu de l’artillerie ennemie. Le 24, le 2e escadron entraîne l’infanterie dans Sainte-Marguerite. Le 25, le régiment se regroupe à Toulon. Au cours de ces opérations, le 1er RFM a eu 59 blessés et perdu trois officiers, deux officiers-mariniers et 14 Q/M et matelots.
Le Tunisie, le Commandant Dominé et la Moqueuse sont intégrés au TG.80.6, Groupe d’escorte et de contrôle des convois, commandé par le captain Clay USN. Aucun événement notable ne vint troubler la marche de l’énorme armada (367 navires de débarquement, 75 cargos et 165 bâtiments d’escorte), partie de la région de Naples-Salerne, mais aussi de Tarente-Brindisi, d’Oran et de la Corse.
Les trois unités FNFL continueront pendant plusieurs semaines à assurer l’escorte des convois de renforcement et de ravitaillement des forces alliées engagées dans le sud de la France et en Italie. Aucune d’entre elles ne participera à la fameuse revue navale du 14 septembre, passée par le général de Gaulle, qui précède la rentrée de la marine nationale à Toulon.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 287, 3e trimestre 1994.