Éditer, rééditer des œuvres littéraires en volume
Entre 1940 et 1945, plusieurs maisons d’édition ou collections littéraires ont été créées par le Comité national français, à Londres, ses délégations ou les comités de la France Libre à l’étranger. Leur objectif est de prendre en charge les Français de l’étranger et des territoires coloniaux, y compris sur le plan culturel, et de légitimer le combat de la France Libre auprès des Français de l’étranger, des opinions publiques étrangères et, à travers elles, de leur gouvernement. Citons notamment :
– la Société des Éditions de la France Libre, installée 4, Carlton Gardens, à Londres, détenue majoritairement par le général de Gaulle et administrée par des dirigeants de la France Libre (Jean Massip, Victor Valentin-Smith jusqu’en juin 1941, le colonel Antoine, Maurice Dejean et René Cassin), qui éditait et imprimait des journaux – le Journal officiel de la France Libre, La Lettre de la France Libre –, des livres nouveaux et anciens, des brochures, des tracts, des photographies et des films ;
– la collection « Problèmes français », à Beyrouth, dirigée par Jean Gaulmier (1905-1997), responsable du service d’information et de radiodiffusion de la France Libre au Liban de 1941 à 1944, qui publie des livres et des brochures ;
– la collection « France Forever », créée et dirigée par Henri Laugier, responsable de France Forever, le comité de la France Libre aux États-Unis, publie de 1942 à 1945 aux Éditions de l’Arbre, une maison d’édition québécoise, des livres sur la situation internationale, avec l’aide financière de la branche américaine du Comité français de la Libération nationale (CFLN).
Écrits de combat de Georges Bernanos
En 1942, la collection « Problèmes français » publie Écrits de combat, un recueil d’articles de Georges Bernanos : « Français, vos ancêtres ont été des hommes libres », p. 7-11 ; « Lettre à une religieuse canadienne », p. 12-16 ; « En camarade », p. 17-21, adressé aux rédacteurs du bulletin Pour la France Libre à Buenos Aires ; « Aux hommes d’Europe », p. 22-24 ; « Pour la France Libre », p. 25-29, extrait du bulletin Pour la France Libre à Buenos Aires ; « Le mystère Weygand », p. 30-33, daté du 28 novembre 1941 ; « Chrétienté française », p. 34-38 ; « Sur les fusillades d’otages », p. 39-41, radiodiffusé à la BBC le 11 novembre 1941 ; « Regard sur la Révolution nationale », p. 42-44 ; « Les faux imbéciles », p. 45-49, extrait du Bulletin Radio-Presse du Comité de Gaulle à Buenos Aires ; « Français, n’entrez pas dans le zoo de la “Révolution nationale” ! », p. 50-52.
Achevé d’imprimer le 5 juin 1942 sur les presses du journal La Syrie à Beyrouth, Écrits de combat est le cinquième ouvrage de la 2e série de la collection « Problèmes français ». L’édition originale de cet ouvrage a été tirée à cent trente-sept exemplaires et comprend : dix exemplaires hors-commerce sur Ingres autrichien dont six numérotés de I à VI et quatre marqués de A à D réservés à l’auteur ; trente exemplaires sur alpha numérotés de VI à XXXVI ; et cent exemplaires sur papier demi-fin, numérotés de 1 à 100.
Coll. Fondation de la France Libre
« Problèmes français »
En août 1942, France-Orient, revue de la France Libre éditée à New Delhi, publie dans son numéro 16 deux pages promotionnelles (p. 132-133) consacrées aux brochures publiées par la collection « Problèmes français » à Beyrouth.
Coll. Fondation de la France Libre
Le Crève-Cœur et Les Yeux d’Elsa d’Aragon
La littérature résistante française est demeurée largement méconnue en Grande-Bretagne jusqu’à la fin de 1941. La presse de la France Libre a joué un rôle important dans sa mise en lumière. En septembre 1941, au congrès du PEN Club, André Labarthe, directeur de la revue La France Libre, affirme que « les écrivains français se montrent dignes de leurs traditions, dignes de leur peuple », mentionnant Gide, Mauriac et Malraux.
Le 15 novembre suivant, paraît dans cette revue un article anonyme, « Chronique de France : Défense de l’Esprit français ». Celui-ci veut montrer au lecteur britannique que l’intelligence française est « au premier rang de la lutte libératrice », qu’il y a une renaissance générale de la poésie en France et qu’il faut savoir interpréter le propos des écrivains résistants, qui contournent les contraintes de la censure par l’usage de la litote ou le retour aux classiques.
Le 16 mars 1942, elle publie un article de Denise V. Aymé, intitulé « Poètes français d’aujourd’hui » , dans lequel sont reproduits des extraits des Poèmes de la France malheureuse de Supervielle, du Crève-Cœur d’Aragon – qui est paru en France en avril 1941 – et de l’Hymne de la liberté de Pierre Emmanuel, ainsi que des vers de Lil Boel et Lanza del Vasto.
Le premier à consacrer un article à Aragon est Raymond Mortimer (1895-1980). Il publie le 11 juillet 1942 dans la revue britannique New Stateman and Nation, dont il est le rédacteur en chef, une critique élogieuse du Crève-Cœur. Ce livre, explique-t-il, lui a été « envoyé par un ami français et amené ici par un autre » – ce qui lui semble pareil à « recevoir un cadeau de la Lune ou des bords de l’Achéron » .
Le Crève-Cœur paraît finalement à Londres en décembre 1942. Précédé d’une préface en français par André Labarthe et d’une introduction en anglais par Cyril Connolly (1903-1974), francophile directeur de la revue littéraire britannique Horizon, il est coédité par cette revue en partenariat avec La France Libre chez Curwen Press. C’est le début du succès d’Aragon hors de France. En juin 1943, au cours d’une conférence à Édimbourg, Connolly indique que « 3 000 exemplaires de poèmes de guerre d’Aragon en français » ont déjà été vendus.
Dans les mois qui suivent, le service d’information de la France Combattante à Beyrouth édite, dans la collection « Problèmes français », sa propre édition du recueil, avec une introduction de Jean Gaulmier.
Aux Indes britanniques, la revue France Orient publie trois poèmes d’Aragon tirés du Crève-Cœur en décembre 1942, sous le titre : « Les nouveaux chants » . « Richard II quarante » est emprunté au journal France, qui l’a publié dans ses colonnes à la suite de la sortie du recueil en volume. Le commentaire de la revue précise que celui-ci « a été récemment cité par Émile Henriot qui en fait l’éloge dans Le Temps ».
Les deux autres poèmes sont « Le temps des mots croisés » et un extrait des strophes 6 et 7 de « Vingt ans après », précédemment édités dans « Poètes français d’aujourd’hui », un article de Denise V. Ayme publié dans la revue La France Libre le 16 mars 1942 .
En ce qui concerne Les Yeux d’Elsa, recueil paru en Suisse à la mi-mars 1942, le quotidien France reprend en juillet trois poèmes, parmi lesquels « Plus belle que les larmes ». Puis le 5 septembre, Raymond Mortimer lui consacre un nouvel article dans sa revue, dans lequel il juge ces poèmes « plus souvent inspirés par la France que par l’Elsa du titre ». Horizon et La France Libre en assurent finalement l’édition intégrale, en août 1943.