Les fusiliers marins à Autun

Les fusiliers marins à Autun

Les fusiliers marins à Autun

Un quartier-maître fusilier, chef de voiture de reconnaissance nous narre les combats ayant abouti à la libération d’Autun.

fusiliers-marins-autun-velche1Le 3 septembre 1944, le 1er Régiment de Fusiliers Marins vient de pénétrer dans Lyon à l’avant-garde de la 1re D.F.L. Le 2e escadron, commandé par le lieutenant de vaisseau Savary, s’installe à Neuville-sur-Saône. L’accueil de la population est impossible à décrire, nous devions connaître ensuite ce même enthousiasme sur toutes les routes de Bourgogne, et ce souvenir restera très vivace à tous ceux qui l’ont vécu.

Mais il ne faut pas oublier que le Midi et la Vallée du Rhône ne sont pas toute la France, et qu’il reste encore un grand nombre d’Allemands à exterminer.

Toutes les divisions alliées débarquées en Provence sont stoppées dans leur course, faute d’essence. Il paraît qu’on a avancé trop vite et que le ravitaillement ne suit pas. Par ordre du général, les réservoirs de tous les véhicules de la D.F.L. sont vidangés et l’essence récupérée envoyée à Neuville-sur-Saône. Le 2e escadron vient en effet de recevoir l’ordre d’appareiller sans délai, ce qu’il fait le soir du 7 septembre, après de sérieuses difficultés pour rassembler tout le monde, chaque marin ayant été hébergé séparément par des familles des environs. C’est ainsi que personnellement, prévenu au dernier moment, j’arrive juste à temps pour attraper au vol mon scout-car blindé.

Nous fonçons cap au nord, et après avoir traversé Montceau, nous voici bientôt à quelques kilomètres d’Autun. La ville est un important point de passage utilisé par les troupes allemandes qui se replient vers l’est, venant du centre, avant que la souricière ne se referme. Nous interrogeons les gens de la région, ils confirment que chaque jour des milliers de « frizous » passent par Autun sur la route de Dijon.

Le commandant Savary donne à chacun de ses trois pelotons des missions différentes il place le premier sur la route de Dijon à Dracy ; le deuxième en bouchon à Saint-Hippolyte, et le troisième, auquel j’appartiens et qui est commandé par l’enseigne de vaisseau Châtel, poursuit sa progression vers Autun sur l’axe principal. À ce moment-là, le 2e régiment de dragons, qui est en réserve d’armée et qui a touché de l’essence, nous est envoyé en renfort avec ses tanks-destroyers, un de ces escadrons nous contactera en fin de matinée.

Le lendemain, à 9 heures, nous sommes face à la ville et à environ 2 kilomètres du centre où se trouve l’école militaire et un haut clocher d’où certainement des veilleurs ennemis nous observent. Nous avançons prudemment ; à notre droite il y a une grosse ferme que quelques F.F.I. rencontrés nous décrivent comme remplie d’Allemands. Et en effet, au moment où nous nous en approchions, on voit sortir plusieurs attelages hippomobiles, et à grand renfort de fouets, les charretées d’Allemands arrivent sur nous, nous les réceptionnons comme il se doit à grands coups de mitrailleuses.

J’envoie quelques rafales dans la ferme ; le fourrage prend feu et les derniers « frizous » sortent cueillis par les F.F.I. du groupe Pommiès.

Le peloton reprend sa progression, et nous arrivons bientôt devant un tableau rappelant la débâcle de 40. La route d’Autun à Dijon, à quelques centaines de mètres d’où nous sommes, est encombrée d’Allemands fuyards ; les uns à pied, d’autres en vélos-moteurs pris chez l’habitant, des charrettes à bras, à cheval, peu de camions, quelques automitrailleuses, de l’artillerie tractée, des chars légers ; tout cela dans une pagaïe indescriptible. Ah ! si nous avions de l’infanterie avec nous, quelle omelette ! Mais nous ne sommes que trois groupes de reconnaissance.

L’officier des équipages Colmay, qui commande le 1er peloton essaye de stopper ce flot à Dracy, en bloquant la route ; il tiendra jusqu’à la nuit à 25 contre plus de 1.000, mais, le fleuve grossissant toujours, il finit par décrocher et remettra à la garde d’un détachement F.F.I. un nombre de prisonniers équivalent à un gros bataillon.

Le 3e peloton essaye de foncer pour sectionner la colonne ennemie. Crachant de toutes nos mitrailleuses, le scout-car du second maître Bernier en tête nous fonçons dans le tas. Des chars légers nous arrêtent pile, et nous devons attendre les dragons avec leurs 76 mm pour reprendre le massacre et occuper la route.

Le lieutenant Châtel veut absolument coucher à Autun ce soir et la nuit commence déjà à tomber. Le scout-car du maître principal Morel part en tête, le mien le suit, puis vient le reste du peloton. Nous arrivons à un carrefour, puis abordons la côte qui mène vers le centre. Le véhicule de tête vient de dépasser l’école militaire, quand un gros camion arrive derrière moi et me double, je pense que ce sont les F.F.I. voulant entrer en ville en même temps que nous. Le camion stoppe entre Morel et moi ; ce sont des boches qui découvrent leurs mitrailleuses et tirent en même temps devant et derrière. Nous sommes à 5 mètres ; le quartier-maître radio Gras a juste le temps de lancer quelques grenades pendant que ma grosse mitrailleuse de bord crache rageusement. L’heure est décidément trop avancée pour songer à nettoyer la ville ce soir, le lieutenant Châtel reçoit l’ordre de se replier ; demain il fera jour.

Le lendemain, 9 septembre, à l’aube nous entrons à Autun ; peu de résistance. On nous dit que le flot allemand remonte maintenant vers le Nord. Par chance, les « frizous », en partant, nous ont laissé leur stock d’essence ; on fait les pleins et on reprend la poursuite sans se reposer sur nos lauriers et sans prendre le temps de répondre à l’accueil délirant de la population.

Une autre colonne allemande, principalement composée des marins de la garnison de Bayonne, se présenta devant Autun après notre départ, mais elle fut reçue par une autre unité de la D.F.L. : les légionnaires du commandant de Sairigné.

Si on avait eu suffisamment d’essence, et si toute la division avait pu progresser comme nous sur Autun, quel coup de filet nous aurions fait.

*

 Au moment de repartir en avant, nous rencontrons, sur la grande place d’Autun, nos camarades du 2e peloton qui est commandé par l’ingénieur du génie maritime Burin des Roziers. Cet officier fait la guerre comme les maréchaux d’Empire ; à dix contre dix, ou à dix contre mille, c’est la même chose, on charge ! Et jusqu’à présent personnellement, ça lui a très bien réussi. Combien de fois est-il parti seul dans sa Jeep loin dans les lignes allemandes, en Italie comme en France ! Ce qui est invraisemblable, c’est que les Allemands ne lui ont jamais rien fait. En revenant de reconnaissance, il disait : « J’ai fait 4 kilomètres sans rien voir ». L’escadron partait, et le peloton de tête n’avait pas fait 500 mètres qu’il recevait de toutes parts des pralines au T.N.T.

Mais, ce jour-là à Autun, l’ingénieur Burin des Roziers n’a pas eu sa chance habituelle et dans la mêlée, il a reçu une balle au genou et fut évacué. C’est l’enseigne de vaisseau Bures qui le remplace. Ce deuxième s’est heurté, lui aussi, à un flot énorme d’Allemands qui faillit le submerger.

Dans tous ces combats nous avons eu relativement peu de pertes et je suis certain que c’est grâce au commandant Savary qui dirigeait l’escadron avec calme et adresse.

Au cours d’opérations telles que celle d’Autun, bien souvent les chefs de voiture et leur équipage opéraient indépendamment du reste du peloton et avaient à faire face à des situations pour le moins curieuses. C’est ainsi, par exemple, qu’il arriva au second maître Tripoli de voir sa voiture prise à l’abordage par une horde d’Allemands. Ceux-ci étant le long du blindage du véhicule, les mitrailleuses n’étaient plus d’aucune utilité, et c’est à l’aide de la manivelle et des tournevis de la caisse à outils que l’équipage se débarrassa de ses agresseurs.

C’est également ainsi que, dans une autre circonstance plus tragique, le matelot Tarius, afin de protéger le 2e peloton, auquel il appartenait, contre une dangereuse contre-attaque, resta à défendre un carrefour avec un fusil-mitrailleur et tira jusqu’à épuisement des munitions, mourant ensuite comme dans les légendes les plus héroïques.

M. Velche
Chef du scout-car 231

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 79, 18 juin 1955.