William Bechtel
1894-1988
BM.2 – BCRA
O.LH. – CG. – M.FFL
William Bechtel, né le 1er octobre 1894, est un protestant que la Première Guerre mondiale n’épargne pas puisqu’il s’engage volontairement dans un régiment d’infanterie en 1917. Il sera blessé au cours des combats et reprendra ses études après la fin du conflit pour devenir ingénieur chimiste. Diplômé, il se lance dans l’industrie et se retrouve assez vite à la tête d’un établissement dont il est propriétaire en Alsace. Un nouveau conflit survient : le même, déclarera le général de Gaulle. William Bechtel n’est pas homme à accepter la défaite en silence. Son caractère affirmé et sa haine de l’Allemand lui dictent à nouveau une attitude extrême. Décidé à reprendre le combat, il incendie lui-même son usine avant de quitter sa province natale, promise à l’annexion par le Reich. Il traverse la France avec des moyens de fortune et réussit à embarquer le 22 juin 1940 sur une barque quittant Saint-Quay-Portrieux. Parvenu à Londres, il s’engage immédiatement dans les rangs de la France Libre. Il est alors âgé de 41 ans : c’est une recrue de choix. Combattant expérimenté, dynamique, peu soucieux des règlements pointilleux mais réaliste et familiarisé avec les problèmes économiques grâce à son expérience civile, il fait partie de ces hommes solides sur lesquels on peut compter.
Il participe à la malheureuse expédition de Dakar et se retrouve comme sous-lieutenant à Bangui. Les anciens du BM.2 se rappellent de son arrivée (1) :
– Fin 1940, débarquant de Londres, avec son short anglais qui lui tombait plus bas que le genou, sa drôle de tête et sa gentillesse, son humour qui avaient séduit tout le monde en quelques jours.
Quelque temps après :
– L’un de nous se souvient comment, retour de permission à Alexandrie et alors responsable du ravitaillement, il a rejoint avec Conus la position de Bir-Hakeim en slalomant entre les colonnes de chars en train de se canarder, sans pouvoir distinguer amis et ennemis : ils faisaient tous la même poussière.
Bechtel traverse miraculeusement la fournaise de Bir-Hakeim sans dommages et participe à la fameuse sortie du 10 juin.
Le BM.2, accablé de pertes, mérite quelque repos : il a vocation à regagner son port d’attache pour fêter les vainqueurs, pleurer les disparus, reposer les cadres et, sans doute, regarnir ses rangs par trop affaiblis par la campagne qui s’achève. Las ! au dernier moment, la situation requiert leur présence à Madagascar. Diégo-Suarez a été repris aux forces de Vichy le 7 mai précédent puis les opération ont repris à Majunga le 10 septembre, pour s’achever le 6 novembre par la reddition des troupes restées fidèles au maréchal. Le même jour, les Britanniques informent le général de Gaulle que le CNF sera prochainement chargé d’administrer la Grande Île. Il faut y dépêcher une unité de souveraineté : ce sera le BM.2.
La déception est grande dans ses rangs et Bechtel pense manquer le navire qui doit acheminer le bataillon quand :
– La nuit précédant le départ pour Madagascar, il revient d’Alexandrie à Suez en roulant à tombeau ouvert et tombe, prétend-il, sur le seul caillou qu’il y ait dans le désert. Trois ou quatre tonneaux, plusieurs côtes cassées, direction l’hôpital britannique le plus proche. Et le bateau qui lève l’ancre à midi ! On ne va tout de même pas le laisser là ! Quatre copains, forçant les portes, surgissent dans sa chambre, l’enroulent dans un drap et l’emportent malgré la fureur des infirmières. Impossible de monter à bord par la passerelle qui est gardée, mais il y a le palan qui fait parfaitement l’affaire. Une heure après, nous sommes en mer : au complet.
Bientôt remis, le lieutenant Bechtel ne tarde pas à s’ennuyer loin des risques et des combats. Il se porte volontaire pour des missions spéciales à la première occasion, rejoint la Grande-Bretagne et entre au BCRA. On y prépare le futur débarquement et, plus particulièrement, la mission « Sussex » à laquelle 120 officiers et autres gradés doivent participer.
L’objectif fixé à Bechtel se trouve en Normandie, où il est parachuté le 9 avril 1944. Un de ses collègues de l’époque se remémore :
– Sa mission : guider le tir des aviateurs alliés qui doivent, en détruisant les ponts de Rouen, empêcher les Panzers de rejoindre la Normandie. Il gagne son poste en vélo lorsqu’un camion allemand auquel il s’était accroché le fait tomber dans un trou de bombe où il se casse le col du fémur. Correct pour une fois, le chauffeur s’arrête. Il a le courage de faire signe : « Ce n’est rien. Roulez ! » puis pousse son vélo jusqu’à la première maison et dit qu’il est dans la Résistance. Il ajoute que le paquet, là sur son porte-bagage, est un poste émetteur, qu’on fasse ce qu’on voudra mais qu’il ne peut aller plus loin. Il est bien tombé : on lui donne les premiers soins et on l’installe dans une chambre de domestique dominant les ponts. De là il peut diriger le bombardement :
– Trop court… trop long… attention, idiots ! un peu plus, c’était pour moi !
Ces brillants résultats obtenus, guéri quelques mois après, mais encore chancelant, on retrouve Bechtel dans l’est de la France, voire en Allemagne où il accompagne un autre de ces intrépides guerriers : Adrien Conus. Un de leurs camarades raconte :
– (…) Jamais aucun de ses camarades n’a su quoi que ce soit de ses activités. L’un de nous, un jour, tombe sur lui. Il porte perruque et est plus ou moins grimé : voyageant sur la plate-forme d’un autobus – au temps lointain où les autobus avaient une plate-forme -, plongé dans ses pensées. Le regard lointain, Bechtel ne le reconnaît pas, bien entendu. Une autre fois, dans le métro, il a un malaise : le cœur déjà. Il est allongé sur un banc, une dame compatissante s’approche et lui propose de demander de l’aide : – Merci, dit-il, mais non : je suis recherché par la police !
La dame court encore.
Mais il ne reste pas longtemps confiné dans cet emploi couleur de muraille : il préfère le combat au grand jour. Son ami Conus vient de créer un commando parachutiste devant mener des actions en Indochine et lui demande d’être son adjoint. Cette unité sera parachutée dans le nord du Laos, affrontera les Japonais puis la 93e division chinoise avant de libérer Vientiane de leur emprise.
On écrira de William Bechtel qu’il était un exemple vivant d’humour toujours en éveil, de merveilleux copain et d’héroïque camarade de combat. Il fut certainement l’un des plus grands combattants de la France Libre. L’un de ses derniers visiteurs témoigne :
Depuis longtemps déjà, il avait été accueilli aux Invalides, le corps patraque mais l’esprit toujours agile. En juin 1988, guère plus de 15 jours avant sa disparition, nous passons le voir et le trouvons dans sa chambre en grande conversation avec trois charmantes dames. Il est en pleine forme, offrant des pots et plaisantant. À une question sur sa santé, il répond :
– J’ai là une jambe qui refuse tout service, mais comme je ne marche pas, quelle importance ?
André Casalis
Membre du comité directeur de l’AFL
Sources :
1) Citation aimablement communiquée par Philippe Grard.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.