Notre ami Aly Khan
Notre Association a perdu, avec le prince Aly Khan, un de ses membres les plus notables, un ami sûr et dévoué.
En 1939, Aly voulut servir dans l’armée française. Après longues négociations, car notre armée n’est pas souple, il fut engagé comme lieutenant de Légion étrangère et envoyé en Moyen-Orient au général Weygand qui le transmit au général Caillault commandant les troupes du Levant, dont j’étais le chef d’état-major. J’affectai Aly au 2e bureau, où il nous rendit d’excellents services par sa connaissance de la langue, des milieux et des conditions locaux, et surtout par sa finesse d’intelligence et son tact conjugués avec une loyauté absolue.
Car sa situation était délicate. Il était le fils de l’Aga Khan, donc une personnalité semi-divine pour la communauté Ismaïlienne qui, de Kadmous sur la côte jusqu’à Sélémyeh aux limites du désert, traverse la région difficile des montagnes alaouites. Il se servit de cette influence, qui était grande, dans la limite où ses responsabilités familiales et religieuses l’y autorisaient, à notre bénéfice, et des deux côtés il n’y eut qu’à se louer de son action.
Il y eut cependant un incident amusant. Un jour au printemps 1940, il me demanda la permission de se rendre le dimanche suivant à Sélémyeh, capitale du groupe Ismaïlien. Je la lui donnai aussitôt, sachant qu’il ne pouvait en résulter que du bien. À l’entrée de la localité il fut accueilli par toute la population rassemblée, extrait de sa voiture, déchaussé et transporté sur les épaules de ses fidèles à la mosquée où tous les hommes se réunirent pour prier avec lui puis discuter des affaires de la communauté, cependant que les femmes et les enfants se cloîtraient dans les maisons.
Il se trouva que le même dimanche, le haut commissaire au Levant, M. Gabriel Puaux, eut l’idée d’emmener incognito quelques hôtes visiter en touristes Sélémyeh, petite cité très pittoresque par sa population et le chatoiement des costumes. Il trouva une bourgade absolument déserte et revint déconcerté.
En juin 1940, Aly gagna Le Caire où les Britanniques l’incorporèrent comme major. Dès que le Levant fut de nouveau français, il s’y fit attacher à la personne du général Catroux, comme aide de camp et officier de liaison, et servit fidèlement la France Libre jusqu’à la fin de la guerre.
Il était officier de la Légion d’honneur et titulaire de la croix de guerre avec palmes.
Ses deux fils, le prince Karim, actuel Aga Khan, et le prince Amyn, ont vécu enfants, à Beyrouth et au Caire, dans la famille Française Libre.
Depuis la guerre, le prince Aly Khan n’avait cessé de manifester un intérêt vivant et efficace à l’Association des Français Libres.
Celle-ci était représentée à la cérémonie de levée du corps, à Neuilly le 19 mai, par son drapeau et, en l’absence de son président, deux membres de son comité directeur ayant bien connu le défunt : MM. Fauquenot et Girard.
L’Association des Français Libres exprime à son altesse l’Aga Khan ses sentiments de respectueuses condoléances et de très cordiale sympathie, et le prie d’en faire part à tous les membres de sa famille.
Elle le prie aussi d’agréer les mêmes sentiments pour toute la communauté Ismaïlieh, à laquelle le prince Aly était profondément et efficacement dévoué, dans la sincère amitié qui l’unissait à la France.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 125, mai 1960.