Il y a cinquante ans, la 2e DB libère Strasbourg, par Gérard Michel
Ancien de la 2e DB, président d’honneur de l’AN-ACVG de l’audiovisuel (1)
Quand, il y a quelques mois, le rédacteur en chef de Réseau audiovisuel me fit bien amicalement l’honneur et le plaisir de me demander d’écrire un article sur la Division Leclerc, je temporisai, mesurant la difficulté de l’entreprise, et je lui demandai d’attendre le grand rassemblement national des Anciens de la 2e DB et les cérémonies officielles qui allaient marquer le cinquantenaire de la libération de Strasbourg.
Depuis mon retour de la cité alsacienne en liesse, tant de souvenirs continuent à m’assaillir que je ne puis ici que me contraindre à une sélection, encore que celle-ci ne puisse être que de fugitives images ou réflexions à la fois personnelles et partagées avec des centaines voire de quelques milliers de gars de Leclerc toujours de ce monde, sur les 17 000 qui participèrent au dernier et glorieux épisode de Berchtesgaden.
L’épopée elle-même est bien connue grâce à une multitude d’ouvrages de qualité signés par des officiers généraux, compagnons de Leclerc, par les historiens les plus qualifiés, par le livre Les Écrits militaires de Charles de Gaulle de Pierre Messmer, qui m’a dédicacé son ouvrage par l’une de ces admirables formules que l’on retient et qui, en la circonstance, concerne au passé, présent et futur, non seulement le chef de la France Libre et le chef de la 2e DB, mais aussi tous ceux qui ont trouvé ici-bas, ou trouveront, une difficulté puis une raison victorieuse d’être :
« Un grand destin n’est pas seulement une rencontre entre un grand caractère et un grand événement, mais aussi le fruit d’un long travail et de rudes efforts. »
En fait, l’épopée de la 2e DB n’est pas limitée, si l’on peut dire, à l’existence de ce corps d’élite, unique par son unité, bien caractérisée par son esprit à tout jamais symbolisé et concrétisé par son insigne. Avant même la formation effective de la division, techniquement, tactiquement, l’atout majeur, le secret de l’unité et de l’exceptionnelle performance de la division est que Leclerc avait conçu celle-ci en donnant à chacun, du général au simple soldat, une véritable et réelle responsabilité propre à part entière et nettement définie à Temara, en 1943 ; c’est le chef de la colonne Leclerc, après la victoire de Koufra, qui prononça le 2 mars 1941 le serment historique :
« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. »
Alors il y eut, entre autres jours de gloire, le débarquement, Alençon, Paris, Baccarat, puis Strasbourg ; le serment était tenu le 23 novembre 1944, après une charge sans égale dans l’histoire militaire du monde. « Maintenant on peut crever » dit Leclerc à Louis Dio… Ce fut ensuite Berchtesgaden, le nid d’aigle (et l’effroyable vision de Dachau)… Le 19 mai 1945 a lieu, selon l’expression de Massu, « le véritable triomphe du général Leclerc ». De Gaulle est venu remettre au Patron les insignes de grand croix de la Légion d’honneur devant toute la division rassemblée sur l’aérodrome de Kloster-Lechfeld.
Ayant à ses côtés Leclerc et son ministre de la Guerre, Diethelm, la grande silhouette de l’Homme du Destin avance une dernière fois devant ces hommes qui ont su prouver que la France n’avait pas perdu la guerre. Et c’est alors la fantasia extraordinaire, unique, des mille cent blindés rugissants qui passent à vive allure devant « les deux chefs qui représentent la France invaincue ». Quel sentiment n’ai-je pas, comme tous, éprouvé durant cette « ruée » ? Oh ! griserie de la Victoire ! Un mois plus tard, la 2e DB reçoit l’immense ovation des Parisiens en descendant les Champs-Élysées, derrière le char Tailly de Leclerc, à l’occasion de l’anniversaire du 18 Juin 1940. Et le 22 juin, sur l’hippodrome de La Sole, ce sont les « adieux de Fontainebleau », poignants, inoubliables :
« L’esprit qui anima cette division depuis sa formation, dit Leclerc, grave, ému, fut la recherche en toute circonstance du travail, du combat le plus utile aux intérêts supérieurs de la France… Je vous quitte, mais je ne quitterai pas l’insigne de notre division. Je le conserverai. Ce sera ma plus belle décoration. Je vous demande de la garder… »
Le général Louis Dio, à qui a été maintenant confié le commandement de la division, allait poursuivre une épopée qui, en vérité, n’allait jamais connaître d’achèvement. L’Indochine, l’Afrique du Nord plus tard, que gagnent des généraux et des hommes de la 2e DB… Le 28 novembre 1947, le terrible accident d’avion près de Colomb-Béchar, où le maître du désert disparaissait par le fait cruel du vent et du sable !
« Quelques jours plus tard, écrit Jacques Massu, autour du char « Alsace » qui remonte les Champs-Élysées, portant solennellement celui qui l’a toujours mené à la victoire, une foule immense partage la douleur des hommes de Leclerc accourus de tous les horizons. C’est là le moment béni, où la communion est totale entre les Français souvent désunis : le dernier exploit du général Leclerc. »
Spirituellement, le phénix n’est pas une légende ni une renaissance ; c’est la concrète et vivante naissance du récit d’une grande Épopée.
Aujourd’hui encore, l’épopée se poursuit en quelque sorte à travers les régiments de la 2e DB diversifiés, cantonnés dans l’hexagone, les officiers et les hommes portant, cousu sur l’épaule droite, le fameux insigne de la division.
Et puis, et puis, il y a demain. L’histoire ; les jeunes générations, par la tradition orale, les ouvrages, les manuels scolaires d’histoire, connaîtront aussi bien l’épopée de Leclerc, unie au nom de De Gaulle, que les récits d’Homère, l’Anabase de Xénophon, la Guerre des Gaules de César, la Chanson de Roland, le Mémorial de Sainte-Hélène, Verdun, Foch, Joffre, Clemenceau et les autres…
Oui, l’histoire ! Leçons pour nos jeunes. « S’il est une valeur que nous souhaitons transmettre aux générations qui vont nous succéder, c’est l’audace », a écrit Philippe Peschaud, président des Anciens de la 2e DB et de la Fondation maréchal Leclerc de Hauteclocque, qui, par ailleurs (« Espoir » n° 96), comme une manière de corollaire, enchaîne : « Pour l’histoire, les noms de De Gaulle et de Leclerc sont indissociables. Aucun sentiment, aucun acte, aucun geste, aucun mot ne fut marqué d’une ombre par la médiocrité, ainsi que le général de Gaulle l’écrivit à Mme Leclerc de Hauteclocque au lendemain de la mort du général Leclerc ».
Car « la Jeunesse se souvient ».
Le meilleur exemple ne fut-il pas donné par l’Institut Charles de Gaulle, le 26 août 1994 à 18 heures, en commémorant le cinquantième anniversaire de la descente des Champs-Élysées par le général de Gaulle sous la forme d’un spectacle hommage : « Libération, j’écris ton nom », réalisé par et pour une foule de jeunes, volontaires enthousiastes ; spectacle exceptionnel, d’une réussite exceptionnelle, retransmis d’ailleurs parfaitement, pour une fois, par la télévision (au point que j’en conserve un enregistrement vidéo pour mes petits-enfants).
Les jeunes générations ! Dans la quatrième strophe de la marche de la 2e DB, les gars de Leclerc transmettent leur hymne à leurs enfants.
Aussi, l’un des moments les plus forts de ce rassemblement national 1994 du cinquantenaire ne fut-il pas, le dimanche 20 novembre, au cours du banquet de 1 500 couverts, la montée sur le podium d’une vingtaine d’enfants alsaciens de 9 à 11 ans qui prononcèrent le « Serment de Strasbourg » ? Ils jurèrent que dans cinquante ans, le 23 novembre 2044, ils se rassembleront place de Broglie au pied de la statue, mémorial du maréchal Leclerc de Hauteclocque, pour célébrer le centenaire de la libération de Strasbourg par la 2e DB, entourés des petits-enfants, arrière-petits-enfants des libérateurs, portant l’insigne de leurs ancêtres reçu en héritage. Ces gamins de France connaissaient déjà par cœur le serment de Koufra ; alors, de leur voix juvénile et ardente, ils entonnèrent la marche de la 2e DB, reprise debout par toute l’assistance. J’ai vu les yeux de durs à cuire devenir humides !
Les enfants ! Comment ne pas songer ici, le cœur serré, au fils héroïque du maréchal Leclerc, mort pour la France, disparu dans la région indochinoise de Hong Phu en janvier 1952. Son chef, le général Massu, s’est exprimé en ces termes : « Par sa passion du métier choisi, son amour du pays, sa sagesse née de la méditation, son courage lucide et sans faille capable de s’élever jusqu’à l’acceptation de sa mort, Henri Leclerc de Hauteclocque demeure un exemple pour tous ceux qui marchent sur ses traces, pour tous ceux qui cherchent leur voie. »
La devise de ce jeune de la 2e DB était « croire et vouloir ». La foi et la volonté héritées de son père, il les transmit post mortem aux jeunes officiers de la promotion EMIA de Coëtquidan, qui porta son nom en 1993. Ne puis-je ici dissimuler ma fière satisfaction d’avoir moi-même un jeune fils, aujourd’hui capitaine de cavalerie à Saumur, qui fut précisément de cette promotion Henri Leclerc de Hauteclocque ? Coïncidence ? Destin !
Ce destin nous conduit au cœur de notre sujet : « l’esprit Leclerc ». À ceux qui disaient au colonel puis au général qu’il avait la baraka, le chef de la 2e DB répondait en substance : non, ce n’est pas la chance, c’est le destin ; en pensant en son for intérieur : c’est la Divine Providence.
En évoquant la personnalité intime de Leclerc, le général Compagnon affirme qu’« on ne peut s’empêcher de penser au Saint Louis de Péguy ». Mais cette foi, l’une des vertus capitales du Patron, n’a pas, dira-t-on, de limites ou d’orientation confessionnelles. Et ses autres vertus, entre autres de justice, de tempérance, ne s’embarrassent jamais des origines sociales ou culturelles de ses hommes. Le rassembleur par excellence.
Aussi, celui qui porte l’insigne de la 2e DB est fraternellement uni pour toujours à cet autre qui porte le même insigne. Pas de distinction aujourd’hui dans les grades, les décorations, les corps, les régiments, les compagnies, les lieux de combat, les dates d’engagement et, à présent, les activités civiles ou les professions.
Et mieux encore peut-être, pour incroyable que ce soit : celui qui porte l’insigne connaît l’épopée par cœur, et souvent, de bonne foi, ne sait plus si « là, il y était ou pas » ? Comme Turoldus ou Chrétien de Troyes, il conte, lui, la geste de Leclerc. (Quand je regarde le drapeau, tout en haut de la flèche de la cathédrale de Strasbourg tout de rose illuminée, je sais que je n’étais pas à Koufra ; et pourtant… je vois la palmeraie, les traces sur le sable, le fort, le bâtiment aux quatre arcades sur lequel se dresse le mât en haut duquel flottent les trois belles couleurs… !) Ah ! que ne suis-je comme le juif errant de d’Ormesson !
Une seule chose s’impose aussi à chacun des gars de Leclerc ; il est animé de l’esprit Leclerc, même à son insu. Et aucun de nous, aujourd’hui, contrairement à l’Hector de la Guerre de Troie de Jean Giraudoux, n’a honte d’être un vainqueur vivant, alors qu’il y a tant de vainqueurs morts au combat ou depuis le 8 mai 1945. Une pensée pour la Danse des morts de Claudel !
Leclerc – nous rapportent ses intimes – pensait particulièrement à son épouse quand il avait une importante décision militaire à prendre. Quelle réciprocité ! La maréchale, qui partageait la foi de son époux en la Divine Providence, a précisé mieux que personne ce qu’était cet esprit Leclerc. Dans ses paroles, dans ses actes, dans ses écrits.
<pstyle= »text-align: justify; »= » »>À ce propos, j’aimerais ici rapporter un fait, mineur mais combien significatif, et récent puisqu’il vient de se passer à Strasbourg.
<pstyle= »text-align: justify; »= » »>La maréchale Leclerc de Hauteclocque donc – qui ne dissimule pas être dans sa 92e année – avait assisté à toutes les cérémonies du cinquantenaire : être présente à la prise d’armes place Kléber au côté du président de la République qui prononça une allocution à la gloire de l’Alsace ; se rendre, toujours avec François Mitterrand, à l’Hôtel de Ville pour saluer les vétérans français et américains, avant le dépôt de gerbe au pied de la stèle érigée place Broglie à la mémoire de Leclerc ; se tenir debout à la droite du Premier ministre qui présidait le grandiose défilé des troupes à pied et dans les blindés avenue des Vosges. Parmi les hautes personnalités assistant à ces cérémonies on peut citer, entre autres, François Léotard, notre ministre ; Philippe Mestre, Daniel Hoeffel, président du conseil général ; le préfet Delpont, le maire Catherine Trautmann, les généraux de Boiredon, gouverneur militaire, et Pormenté, commandant de la 2e DB, les généraux de Boissieu et Massu, l’amiral Philippe de Gaulle, les fils et les gendres du maréchal, Philippe Peschaud, président des anciens de la 2e DB, etc.
Eh bien, j’ai entendu la maréchale répondre en substance, avec son habituel sourire, à un journaliste de télévision qui lui demandait assez maladroitement ses impressions, et si elle n’était pas fatiguée : « Cher Monsieur, s’il n’y a pas de difficultés ni de courage, il n’y a pas de victoire. »
N’était-ce pas là la réplique presque exacte de la dernière ligne qu’écrivit de sa vie le général Leclerc, remerciant Charles Frey, alors maire de Strasbourg, au lendemain de la célébration du 3e anniversaire de la libération de la capitale alsacienne, à laquelle il avait assisté : « … Je pars demain pour l’Afrique du Nord où je vais trouver d’autres difficultés, mais n’oublions pas que les heures précédant la victoire sont toujours lourdes et graves ». À rapprocher de ses ultimes paroles à Oran, la veille de l’accident fatal. Leclerc a rassemblé ses officiers et il leur fait un long exposé. La situation de la France, de l’armée pose de sérieux problèmes. Le chef, qui ne veut jamais être pessimiste, est cependant grave, très grave. Il conclut : « Continuez dans la confiance, avec foi et persévérance. »
L’esprit Leclerc est là. La maréchale, disais-je, l’a bien développé, surtout dans la préface de l’ouvrage de Jean-Jullien Fonde Les Loups de Leclerc :
« L’esprit Leclerc… c’est le sens des responsabilités de chacun le sens de l’honneur et de l’oubli de soi-même ; le sens du don total le respect des autres ; la persévérance tenace ; la recherche de passer aux jeunes le souci de s’aider mutuellement à faire mieux ; par dessus tout, le sentiment continuel de « servir » le Pays, les autres et d’en être digne… »
Puis-je dire que la maréchale n’a jamais manqué de mettre ses idées en pratique. Tous les Anciens le savent, et avec quelle infinie reconnaissance ! J’écris cela, profitant de ce propos pour renouveler à la maréchale Leclerc mon immense gratitude personnelle. Mon épouse et moi, en effet, furent grandement honorés de sa présence lorsque Frédéric-Dupont fêta notre 40ee arrondissement de Paris et évoqua le souvenir de nos parents, de toute notre famille nombreuse.
Il faut savoir que la vie familiale a tenu et tient toujours un rôle primordial chez les descendants des ancêtres de Hauteclocque, noble lignée – nous rapportent les historiens – grande famille d’Artois de guerriers, croisés et rudes et bons campagnards aux goûts modestes, fiers de leur origine remontant au XIIe siècle et dont l’un des remarquables exemples fut précisément le comte Adrien de Hauteclocque, père de Philippe François Marie, son second fils et cinquième enfant, né le 22 novembre 1902, futur maréchal de France, dont la dignité fut unanimement conférée, à titre posthume, le 23 août 1952.
Ajouterais-je à quel point, avec quel courage naturel la maréchale Leclerc de Hauteclocque affiche hautement ses convictions en toutes circonstances. Comment oublierais-je que celle-ci, le lendemain même de la remise de ma Légion d’honneur dans l’intimité, me rendit visite à mon domicile. Opéré récemment d’une laryngectomie totale, j’avais une élocution extrêmement pénible. Alors, au cours d’un tête-à-tête de presque deux heures, mon éminente interlocutrice m’entretint des problèmes d’actualité avec la lucidité, l’élévation d’esprit extraordinaires qu’on lui connaît bien, surtout lorsque, présidente de l’Amicale d’entraide des veuves et orphelins de guerre, celle-ci, dans les réunions et congrès AEVOG-UNC, développe avec fermeté certains sujets qui lui tiennent à cœur et auxquels il n’est véritablement pas vain de faire ici allusion.
Je relis d’ailleurs souvent les lettres que m’a adressées la maréchale en diverses circonstances et dont certains passages poussent à la réflexion, amènent même à la méditation. Je cite par exemple : « … Nous sommes tous bénéficiaires du bien ; et, hélas ! responsables du mal. Actuellement, on a l’impression du combat apocalyptique de « la Bête contre la Femme ». On manipule la vie ! On la supprime puis scientifiquement on s’en empare sans savoir où cela conduira. Mais dans son orgueil, l’homme se veut créateur comme Dieu. Quel orgueil ! Quelle insulte ! Alors le Seigneur se choisit des Amis sûrs… ». Et encore : « … Quelle Espérance de pouvoir prier Notre-Dame de France, Reine de la Paix, à cette époque (1988) où nous semblons si officiellement pourris… où le Père Noël remplace l’Enfant Jésus… ».
Certes, il n’est pas un livre, pas un ouvrage qui ne parle de la foi du général victorieux, du chef de la 2e DB, si simple dans sa fierté à l’état pur. « La première prouesse de l’Homme, c’est d’être pur », a écrit Alexandre Arnoux.
À Strasbourg, le cinquantenaire de la Libération célébré, les Anciens se sont quittés, fiers eux aussi.
Se reverront-ils l’année prochaine ? Dans cinq ans ? Dans dix ans ? Peu importe ! Ils sont certains que leur descendance, à son tour, le moment venu, « croira et voudra ». Et quand on veut, on peut.
Vive la division Leclerc ! Vive la 2e DB !
Des artistes, compagnons de la Division Leclerc
Gens de théâtre, de cinéma, de lettres, de variétés, musiciens, comédiens, peintres… dans les médias audiovisuels, on les appelle les saltimbanques.
Or il y en eut, et même parmi les plus célèbres, qui s’engagèrent, combattants volontaires, dans la 2e DB d’ailleurs parfois recherchant l’anonymat. Saluons-les !
Voici l’adjudant Jean-Marie Legrand, alias Jean Nohain, alias Jaboune, qui a rejoint la Division à Témara il est très grièvement blessé au visage à Strasbourg, lors de l’assaut de la caserne des Gardes. Voici le second-maître fusilier-marin Moncorgé, chef de char du Souffleur 11, alias Jean Gabin. Voici le 2e classe Villeminot, alias Jean-Claude Pascal ; il s’est engagé à 17 ans, donc mineur et sans autorisation paternelle (comme moi), mais disant avoir 21 ans et avoir perdu ses papiers d’identité. Voici Jean Marais, qui dit avec humour s’être engagé « par politesse car il n’a pas l’esprit militaire ». Voici Fernand Gravey, à la recherche d’un étui neuf pour son colt, avec qui j’ai passé un bien amusant moment. Voici Yves Ciampi. Voici… eh bien me voici, très modestement.
Mais j’avouerai que les campagnes d’Alsace et d’Allemagne m’ont apporté quelques satisfactions artistiques. Un cantonnement dans une petite ville ou un village, et me voilà cherchant une église avec un orgue ou un harmonium (il y a en Alsace de très beaux petits orgues inconnus) ; et je m’improvise improvisateur, lors des cérémonies religieuses auxquelles tiennent mes supérieurs. J’ai aussi dirigé un chœur de religieuses éprises de chant latin ! Entre ces deux campagnes, au repos à Châtillon-sur-Indre, je descends, médiocre amateur, dans la fosse d’orchestre du théâtre, un violoncelle à la main ; histoire d’échapper à quelque corvée. Or un jour, à l’entracte d’une opérette, je vois une face hilare se pencher sur ladite fosse : c’est mon ami Penassou, le violoncelliste du célèbre Quatuor Parrenin en tournée dans la région. Rouge de confusion, car il voit que ma partition est celle d’une flûte en sol, je lui passe mon instrument. Inutile de dire que la seconde partie de l’opérette se changea en un très brillant concerto de violoncelle, pour la plus grande joie des chanteurs bien soutenus, et l’ébahissement indescriptible du chef d’orchestre régional. Bon souvenir d’un combattant désarmé… !
Mais j’ai gardé pour la fin le plus étonnant, si je puis dire. Voici notre ami Maurice Leroux, hélas récemment décédé. Il fut bien connu dans la Maison pour avoir dirigé notre orchestre national et avoir enregistré avec cette formation un best-seller de 33 tours. Compositeur de qualité, il fut directeur de la Musique à l’Opéra de Paris et en dirigea l’orchestre. Eh bien, ce ne fut que trois ans après sa démobilisation de la Division Leclerc qu’il m’avoua, alors que je lui consacrais une émission sur Paris-Inter, que c’était lui qui avait composé la musique de notre fameuse Marche de la 2e DB.
G. M.
(1) Le titre donné à l’article qui suit ne correspond pas au contenu de ce dernier. De fait, cet exposé ne répond pas aux critères de sélection retenus pour la Mémoire des Français libres puisqu’il ne s’agit nullement de « combats ». Néanmoins, par respect envers la mémoire du général Leclerc et ses compagnons, nous avons retenu cet article sous le titre « L’esprit de la 2e DB » afin de ne pas induire les futurs chercheurs en erreur (NDLR).
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 289, 1er trimestre 1995.