La 1re division française libre en Franche-Comté, par le général Saint Hillier
En fin d’après-midi, le 12 septembre 1944, à Nod-sur-Seine, sur la route nationale 80, puis, dans l’après-midi à Aisey-sur-Seine, l’escadron de l’enseigne de vaisseau Savary, 2e escadron du 1er régiment de fusiliers-marins, prend contact avec des éléments de la 2e DB, qui assure la flanc-garde de l’armée Patton. Ceux-ci appartiennent au 1er régiment de Marche de spahis marocains, au régiment de Marche du Tchad et au 12e régiment de chasseurs d’Afrique de cette division.
La première liaison entre les forces d’Overlord, débarquées en Normandie, et celles de Dragon, débarquées en Provence, est réalisée.
A cette date, la Première Division française libre se regroupe, au fur et à mesure des disponibilités en essence, aux environs de Nuits-Saint-Georges. Pour elle, la campagne de France suit la campagne d’Italie sans autre trêve qu’une courte période d’une vingtaine de jours consacrés à un entraînement intensif. Elle s’arrête enfin après une progression de 650 kilomètres, faite à l’allure moyenne de 50 kilomètres par jour. Depuis Pâques, elle n’a pas cessé d’être à l’œuvre.
La division profite de ces quelques jours de détente pour regrouper les unités venues des maquis ou issues des FFI, qui désirent s’adapter à la DFL, dans une 34e brigade, dite « brigade volante », commandée par le chef de bataillon Babonneau. Ce sont huit escadrons du 11e Cuirassiers du commandant Thivollet, le bataillon Chambarand du (médecin) capitaine Mariotte, le bataillon du Charolais, le 2e bataillon Max du Morvan et un détachement Lacaze, composé aux deux tiers de Français, le reste étant turc ou mongol. S’il est possible d’améliorer l’armement hétéroclite de ces éléments par quelques échanges, en revanche un difficile problème de moyens de transport se pose pour eux, quasi insoluble.
A la date de la jonction des forces Overlord et Dragoon, les plans alliés prévoyaient que le général Eisenhower prendrait le commandement de l’ensemble formant le « front sud ». Les deux corps d’armée français remontant, l’un le long du Rhône et de la Saône (2e CA du général de Monsabert), l’autre par la route des Alpes (1er CA du général Béthouart), s’uniraient alors pour former une 1re armée française, autonome d’un point de vue tactique. Entre les corps d’armée français progressait un groupement de divisions américaines qu’il faudra donc relever. Le 14 septembre, le général de Lattre réunit ses divisionnaires au PC du général de Monsabert et leur expose son plan pour gagner la bataille des Vosges ; il s’agit de réduire le camp retranché de Belfort en manœuvrant par les deux ailes, trouée de Delle au sud, trouée de la Doller au nord. Face à nous, les Allemands ont rameuté six à sept divisions, qui peuvent résister jusqu’à l’apparition de la neige. « Nous risquons alors une campagne d’hiver à laquelle ni les Américains ni les troupes françaises ne sont préparés et pendant celle-ci la motorisation ne peut servir », ajoute-t-il.
Malheureusement, les unités de service n’ont pu suivre la progression des unités combattantes, les moyens de transport font défaut, l’essence n’arrive plus. Les voies ferrées endommagées et les ponts détruits ne permettent pas l’acheminement du matériel et des munitions par trains, et les dépôts les plus avancés se trouvent encore dans la région d’Avignon. D’après les renseignements, les Allemands tiendraient en gros une ligne jalonnée par les villages de Vellechevreux, Courchaton, Geney et L’Isle-sur-le-Doubs. Ils auraient en ligne autant de bataillons que les Français ; certains d’entre eux viennent de Norvège et sont vêtus d’équipements d’hiver spéciaux et de cagoules blanches, tandis que les divisions qui faisaient partie du premier échelon d’assaut de Provence (3e DIA, 1re DFL) sont encore en tenue d’été.
La condition préalable indispensable à la continuation des opérations est le regroupement de la 1re armée. Le 17 septembre, la 1re DFL reçoit donc l’ordre de relever la 45e division américaine dans la zone de Baume-les-Dames, entre L’Isle-sur-le-Doubs et Courbenans. La 1re brigade du colonel Delange, le 1er RA du colonel Bert et les Transmissions se portent, par une pluie torrentielle, vers Baume-les-Dames/Rougemont, en passant par Auxonne, Dole et Besançon.
En traversant Dole, le général Brosset se rend au collège des Jésuites « collège du Mont-Rolland », où il a fait ses études jusqu’en 1916, date de son engagement pendant la Première Guerre mondiale. Il y retrouve deux de ses anciens maîtres, et s’entretient avec eux de l’éternité après la mort. Eut-il alors un pressentiment? Etant moi-même Dolois, je profite de mon passage pour faire le tour de ma famille, puis j’assiste sur la place Grévy à une prise d’armes d’une compagnie FFI et au lever des couleurs. Le pauvre Grévy a été déboulonné de son socle par les Allemands et sa statue a disparu. Nous rejoignons ensuite la division qui continuait sa route vers Besançon, les convois traversent de nombreux villages qui ont souffert de la guerre.
Le 18 septembre, tandis que la 1re brigade du colonel Delange relève le 157e régiment américain, les deux autres brigades font mouvement, la 2e du colonel Gardet (1) sur Villersexel, la 4e du colonel Raynal vers Pont-sur-l’Ognon.
Nous sommes alors surpris de constater que les unités américaines ne se trouvent pas à proximité de l’ennemi ; leurs chefs signalent à ceux qui les relèvent les endroits où leurs patrouilles ont subi des tirs ou rencontré une résistance; elles se contentent de tirer systématiquement une vingtaine d’obus par heure à tour de rôle sur les villages situés devant eux, les détruisant un à un.
Le lendemain, le plateau à l’ouest d’Onans est occupé par les légionnaires, qui ont dû surmonter pour cela une vive opposition ennemie. Pour la première fois, l’aviation adverse se manifeste par de nombreuses reconnaissances, la chasse abat un piper-cub de l’artillerie américaine.
Dès qu’il eut pris la responsabilité du secteur, le 20 septembre, le général Brosset pousse en avant les 1re et 2e brigades pour rechercher le contact avec l’ennemi. La progression sur l’axe de marche Villers/Héricourt est difficile: tous les itinéraires sont jalonnés de nombreuses destructions, compliquées d’abattis, de mines et de pièges. En fin de journée, la 2e brigade atteint Moffans, Vacheresse, la station d’Etroitefontaine, Mignavillers, Mignafans. De son côté, la 1re brigade occupe, après être venue à bout d’une assez forte opposition, Courbenans, la forêt de Courchaton, le carrefour de Médière et les lisières ouest de Longevelle.
Mais le manque de gasoil empêche le mouvement du 8e régiment de chasseurs d’Afrique du colonel Simon, notre fidèle soutien en tank destroyer, qui aurait été bien utile dans les accrochages.
Sur le front de la division, les éléments légers qui retardaient notre avance et couvraient la ligne principale de résistance ennemie ont disparu sous la pression des deux brigades ; celles-ci sentent alors un net raidissement dans la défense que leur oppose l’ennemi. Le 21 septembre, elles se trouvent en face de cette ligne de défense continue, soutenue par des feux denses d’artillerie et de mortiers. Or, le manque d’essence limite nos possibilités offensives à quelques actions de détail. Notre droit en carburant est réduit à une journée de consommation ; encore faut-il en consommer 10 % pour aller le percevoir à 350 kilomètres de là !… D’autre part, les coffres de l’artillerie ne contiennent que les coups nécessaires pour arrêter une contre-attaque. Par ailleurs, l’aviation allemande réagit et mitraille par trois fois nos éléments avancés.
En fin de journée, la division tient une ligne Moffans, Le Chenoley, Faymont, les abords est de Granges-la-Ville, Faimbe, mais un de ses bataillons a été rejeté à 18 h 30 de la maison forestière de la forêt de Granges. Si jusqu’ici la DFL n’a pas rencontré trop de problèmes, la voilà maintenant en présence d’organisations solidement tenues, d’où l’ennemi mène de rudes mouvements offensifs. Les Allemands ont en effet accumulé sur une ligne Héricourt-Montbéliard des agencements défensifs bien structurés avec de la main-d’œuvre civile réquisitionnée, ils ont réalisé des fortifications de campagne et réarmé les ouvrages du camp retranché de Belfort. Le terrain lui-même, coupé de nombreux cours d’eau, couvert d’un abondant manteau forestier propre à la défense, sert l’adversaire.
A toutes ces difficultés s’ajoute le mauvais temps: il pleut sans cesse. La division, en cet automne diluvien de 1944, est encore composée en majorité d’Africains noirs et ils sont en tenue d’été depuis le débarquement du 16 août : les vêtements de drap sont en effet restés sur les remorques en Italie, enfermés dans les sacs « B ». Chaque matin, nos tirailleurs se réveillent transis, le visage décomposé par le froid, silencieux, fait inhabituel chez eux. Chaque jour, il faut évacuer plus de malades que de blessés.
Du 20 au 24 septembre, les quelques petites actions que mène la division conduisent nos brigades, celle de Delange aux lisières de Longevelle, celle de Gardet à Mignavillers, mais elles ne peuvent y entamer les résistances qu’elles rencontrent. Les prisonniers allemands signalent du renfort en chars et en artillerie.
Si la logistique ne suit pas, en revanche depuis trois jours la manœuvre pour Belfort fait l’objet d’importantes cogitations dans les états-majors des hautes sphères du commandement. L’opinion qui prévaut est qu’il est possible de bousculer l’ennemi ; il en résulte des ordres et une série de contre-ordres se traduisant pour le fantassin par des travaux d’occupation du terrain, des relèves et des patrouilles sous les bois. Après avoir sorti une « instruction personnelle et secrète » traçant le plan de sa manœuvre, le commandant du 2e CA s’aperçoit qu’il est impossible de faire passer la 1re division blindée par le col de Bussang, car la route franchit le col par un tunnel que les chars ne peuvent emprunter.
Après bien des discussions, les conceptions stratégiques du général de Monsabert l’ont emporté : il veut une bataille de rupture frontale, puis l’encerclement des forces allemandes qui défendent la place de Belfort. Le général de Lattre accepte ce projet, qu’il estime à la mesure de ses moyens. La 3e DIA du général Guillaume, au nord, renforcée des commandos d’Afrique du lieutenant-colonel Bouvet, des commandos de choc du colonel Gambiez, du 1er régiment de parachutistes de choc du lieutenant-colonel Faure, du « combat command » n° 6, attaquera à partir de la région située au nord de Fondrupt en direction générale de Gérardmer. Or, une partie des unités d’infanterie consacrée à cette action aurait dû relever certaines des nôtres. De ce fait, le front de la DFL va être étendu sur 15 kilomètres, ses compagnies sont mises bout à bout, alignées sur un seul rang.
Mais la 7e armée américaine entreprend elle aussi à notre gauche de forcer les cols des Vosges en attaquant avec son 6e Corps en direction du nord-est ; elle demande au général de Lattre d’assurer la couverture de son flanc. Les 1re DFL et 1re DB reçoivent cette mission, c’est-à-dire d’attaquer. Dans cette perspective, la 2e brigade du colonel Gardet est obligée de remanier son dispositif, afin de rendre disponible un bataillon, celui-ci regroupé à Moffans doit foncer en direction de Lyoffans. Pendant ce temps, la 1re brigade du colonel Delange attend, en vain le RICM de la 9e division coloniale qui doit en principe la relever.
Le 24 septembre, le général de Gaulle effectue sa première visite à la 1re armée française; il se rend au PC du général de Monsabert, installé près de Rougemont dans le château de Bournel appartenant à la famille de Moustier. Le général de Lattre est fait Compagnon de la Libération, et le général Brosset commandeur de la Légion d’honneur.
Le 25 septembre s’engage donc, pour la DFL, l’action prévue, limitée dans son objet. Or, par une série de circonstances imprévues, celle-ci va se transformer en une bataille d’envergure, tandis que les projets optimistes du général de Monsabert ne conduiront pas au résultat espéré.
Le manque d’essence, la faible dotation en munitions imposent à la DFL la réduction de sa manœuvre à la prise de Lyoffans en liaison avec la 1re DB. Tandis que le général du Vigier engage ses trois « combat command » (Kentz, Caldairou et Sudre) sur l’axe Mélisey/Le Thiollet, la 2e brigade démarre après une violente préparation d’artillerie. Le BM 4 du commandant Buttin va, durant deux jours de combats ininterrompus, accomplir la tâche la plus rude. Dès 9 heures, les premières maisons de Lyoffans sont atteintes à 14 heures, le village est entièrement occupé, à l’exception du cimetière où des SS tiendront jusqu’à la nuit avant de se replier jusqu’aux lisières des bois situés à l’est de la route Moffans-Lyoffans.
Le soir, la 2e brigade relève la 1re DB à Palante, que celle-ci avait enlevée en fin de matinée. Au sud, la 1re brigade de Delange atteint Longevelle que l’ennemi évacue, le bataillon Chambarand y est poussé à 10 heures.
Le lendemain, 26, le BM 4 partant de Palante se distingue en s’emparant d’Andornay. Après quatre heures de combat, le village est entièrement occupé et nettoyé à 13 heures, les maisons défendues par des SS doivent être enlevées une à une à la grenade et à la mitraillette. Poursuivant son attaque en direction de Magny-Jobert, le BM 4 se heurte alors à une vive résistance qu’il ne peut entamer. Il a eu 18 tués et 98 blessés. Épuisé, il sera relevé par le BIMP du colonel Magendie.
En ces circonstances, nos tirailleurs africains font preuve d’un esprit de dévouement et d’une endurance extraordinaires. « Ils arrivaient au poste de secours les doigts gonflés d’engelures, les pieds gelés, ils s’écroulaient alors par terre ou sur un banc demandant à se réchauffer. Au bout d’un moment, ils repartaient rejoindre leurs camarades », écrit le commandant Buttin dans son journal de marche. Les femmes de Lyoffans, émues, se mettent alors à l’ouvrage, tricotant chandails et chaussettes pour les tirailleurs. Le BM 4 se regroupe ensuite dans la région d’Athesans, La Vergenne.
Quant aux autres bataillons des brigades qui participent à l’attaque, ils avancent rapidement ; le BM XI du commandant Langlois parti de Chenoley enlève Lomontot, qu’il occupe totalement à 15 heures; le BM 21 du commandant Fournier, parti de Panate, appuyé par les blindés du 1er RFM du capitaine de corvette de Morsier et du 8e RCA, s’empare de la cote 327 puis du nœud routier de Champagney.
Le colonel Gardet, muté à la XIIe Région militaire, est remplacé à la tête de la 2e brigade par le colonel Barrière. L’arrivée dans le secteur de la division du 4e régiment de Tirailleurs marocains de la 2e division marocaine du général Carpentier permet à la DFL de se constituer des réserves en regroupant la 1re brigade, relevée, dans la région Oricourt-Borey. L’ennemi va réagir toute la nuit du 26 au 27 en menant une intense activité de patrouilles vers Granges-la-Ville, Secenans et devant Faimbe. Il tient tête, à notre droite, à la 9e DIC, qui a déjà perdu une compagnie il y a quelques jours, et a dû abandonner un village où les nazis ont fusillé 27 otages. Cette division ne peut, faute de monde, occuper son secteur au nord du Doubs, vers Longevelle, et il est impossible d’y envoyer nos unités FFI disponibles, qui manquent d’armements et de vêtements.
L’attaque reprend donc au matin du 27 septembre, menée par la 4e brigade du colonel Raynal. Avec l’appui du groupement blindé (1 escadron du RFM, 1 escadron du 8e RCA), le BM 21 prend Clairegoutte à 10 heures puis enlève Frédéric-Fontaine dans la soirée malgré la ténacité de l’ennemi qui tient les lisières des bois: il fait 140 prisonniers. Le BIMP de Magendie nettoie Magny-Jobert et rejette, à 17 heures, une contre-attaque au sud du village. Durant toute la journée, les Allemands ont combattu avec acharnement, embusqués dans les maisons, tenant les lisières des bois, ils se défendent sans esprit de repli. Chaque réduit doit être disputé au corps à corps et nos pertes sont sévères : à Clairegoutte, 30 Allemands sont faits prisonniers, une soixantaine ont été tués.
Sortant des caves, les habitants crient leur joie aux vainqueurs et offrent « la goutte » aux Européens et quelques vêtements ou chaussures aux tirailleurs. Comme toujours, le général Brosset, en képi et en short, s’est distingué avec les éléments de tête. Le 17 septembre au soir, le commandement du secteur situé au sud de Frotey-Palante passe à la 2e DIM, qui s’introduit entre la 9e DIC et la DFL. Le général de Lattre vient au PC de la division exposer la suite de la manœuvre.
Notre adversaire, le général Wiese, commandant la 19e armée allemande, occupe, avec quatre divisions, un glacis de douze kilomètres, qui protège une double ligne de défense construite par l’organisation Todt. Hitler avait promis que, si ces divisions lâchaient pied, leurs officiers seraient fusillés. Le 28 septembre, la 4e brigade Raynal, renforcée par le 22e bataillon de marche nord-africain du commandant Bertrand et du groupement blindé (1er RFM, 8e RCA) commandé par le colonel Simon, reprend l’attaque en direction du nord-est ; elle progresse vers Ronchamp. Son avance est rendue difficile par un grand nombre d’obstacles piégés, de coupures que le génie doit combler ; elle est enfin arrêtée en avant d’Éboulet par un fort point d’appui. Le BM 21, qui couvre sa droite, pénètre de deux kilomètres dans la forêt. A Lomontot, le BM XI, menacé d’encerclement, se dégage par une violente contre-attaque qui lui permet d’occuper Les Baraques et de rétablir la liaison avec le BIMP.
Ainsi, sur tout son front, la 4e brigade se heurte à une résistance acharnée de l’adversaire ; depuis la veille, le BIMP a dû tenir tête à trois contre-attaques, et la défense de Frédéric-Fontaine a causé une trentaine de pertes au BM 21.
Sur décision du commandant de la 1re armée d’infléchir l’action du 2e CA en direction des Vosges, la limite nord du secteur de la DFL est reportée à la ligne Lure/Malbouhans/Fresse/Belfahy/col de la route de Masevaux. La mission donnée à la division est de tenir fermement les lisières des forêts de La Grande à Clairegoutte et de pousser sans désemparer en direction de Ronchamp.
Le 29 septembre, il fait beau, mais le froid est intense : la division avance, s’étire, continue son mouvement d’encerclement de Belfort. En exécution des ordres, elle glisse vers le nord, relevée au fur et à mesure au sud par la 2e DIM. Les Allemands assommés par l’artillerie perdent du terrain, abandonnant de nombreux cadavres et laissant 316 prisonniers entre nos mains. Mais, en fin de journée, la DFL a peu progressé : le matin, une violente contre-attaque sur le col de La Chevestraye occupé par la 1re DB a contraint son CC 3 à se replier sur Larmet. Les 1er BLE du commandant de Sairigné et 2e BLE du commandant Simon poussés aussitôt dans la région de Fresse relèvent le CC 3 et s’installent de part et d’autre du village. A 20 heures, le 2e BLE qui s’était approché à mi-pente du col de La Chevestraye se maintient sur la cote 792, jusqu’au moment où, à bout de munitions, il est contraint de l’abandonner avec de lourdes pertes.
Au sud, sur les hauteurs qui dominent au nord-est Éboulet, le groupement blindé du colonel Simon se heurte à de solides résistances et n’a pu déboucher. Dans la forêt de Granges, le 11e Cuirassiers du chef d’escadron Geyer-Thivollet réussit à se maintenir dans la maison forestière, malgré les attaques allemandes.
Le général Brosset adresse alors une note au général commandant le 2e CA, pour appeler son attention sur la situation aventurée de la 1re DFL et faire des réserves sur ses possibilités: elle tient un front de 26 kilomètres, ses Noirs africains sont épuisés, les FFI manquent de tout, et, depuis quatre jours, le ravitaillement en vivres est très insuffisant, une partie de ses hommes vit en sabots. Or, le contact avec les Allemands est très dur partout et aucune liaison n’existe entre la portion du terrain occupée par la Légion engagée face au col de La Chevestraye et le sous-secteur d’Éboulet.
Le 30 septembre, les éléments de la « brigade volante » qui se trouvent au sud de Villafans-Faymont sont enfin relevés par le 3e régiment de Spahis marocains de la 2e DIM et rejoignent la division. Le front tenu par la DFL n’en a pas moins de 22 kilomètres de long, avec une solution de continuité à l’ouest de Ronchamp, et le CC 2 de la 1re DB se trouve en arrière de ce front. Au cours de la journée, la division ne progresse qu’au centre de son dispositif, tous ses efforts tendent à vouloir rétablir un front continu entre les 1re et 4e brigades que sépare un espace vide de 8 kilomètres : cela permettrait en outre de libérer de sa mission le CC 2. Sur les hauteurs qui précèdent le col de La Chevestraye, la Légion est à nouveau prise à partie ; pour l’aider, le bataillon Chambarand du capitaine Mariotte est poussé vers « 792 » mais, durement reçu, il se replie sur la 1re BLE, qui est à son tour accrochée sérieusement. Dans le sud, le groupement blindé sur la route Clairegoutte/Ronchamp est arrêté par des bouchons antichars et des destructions minées et piégées. Tous les efforts d’aujourd’hui menés par les bois ont été brisé par des tirs de mortier dont les projectiles éclatent au contact des branches d’arbres, semant des éclats meurtriers.
A l’observatoire d’Éboulet, le général Brosset est blessé à l’épaule et je suis atteint à la tête par un éclat d’obus. Dans la nuit du 1er au 2 octobre, la division subit sur tout son front un tir d’artillerie ininterrompu.
Le 2 octobre, la division va pouvoir mener une attaque mieux ordonnée: elle a reçu son plein de munitions d’artillerie avec 4000 gallons d’essence alors qu’il en faudrait 9000.
Mais surtout un bataillon frais a rejoint: il s’agit du BM 24 du commandant Coffinier, laissé à Lyon pour faire cesser les exactions commises par des éléments incontrôlés : il a profité de ce séjour dans la capitale de la Résistance pour compléter ses effectifs. Malgré tous ses handicaps, la division sera la seule, dans toute la 1re armée, à attaquer pour remplir sa mission de couverture de l’armée américaine. Face à elle, les Allemands appartiennent à des unités bien organisées et solides, qui résistent sans esprit de recul. Nous n’arrivons pas à faire de prisonniers parmi les SS, les nazis se défendent jusqu’au bout : avec sauvagerie, ils ont fusillé 143 personnes à Etobon, Magny d’Anigon, Héricourt, Banvillars.
La division a pour mission, dans la journée, de renforcer le point d’appui de Fresse, et de reprendre le col de La Chevestraye au nord, d’autre part de liquider les résistances de Ronchamp au sud. A la 1re brigade, le 2e BLE commence, tout juste, à occuper des positions mieux défendables, il reprend la cote 792 tandis que le 1er BLE, inconfortablement enchâssé entre deux bataillons qui se montrent de plus en plus agressifs, va tenter de rétablir la liaison avec la 4e brigade : le soir, il aura atteint les hauteurs au nord de Le Rhien et Crière. A la 4e brigade, le BM 24 après une violente préparation d’artillerie attaque Ronchamp et parvient en fin de journée au centre du village. Débouchant du bois de Nanoue, le 22e BMNA et le BM 21 parviennent aux lisières sud et est de Ronchamp, mais ils sont engagés sur une pente si raide que les chars légers du lieutenant de vaisseau Barberot (1er RFM) ne peuvent la remonter. Au soir, Ronchamp est pratiquement nettoyé, à l’exclusion d’un îlot de résistance installé dans la fonderie à 1,5 kilomètre au sud.
Le 3 octobre, journée marquée par un brouillard intense, froid et humide, la Légion et la 4e brigade réalisent leur liaison à hauteur de La Houllière.
Le Cugnot (665) et Le Chiotet (620) ont été occupés le matin par le 1er BLE. Le 22e BMNA s’empare du carrefour de Chérimont, au sud de Ronchamp ; il retrouve les corps de quatre des siens fusillés par les Allemands après avoir été torturés : son aumônier, le Père Bigo, et trois infirmiers ont été abattus d’une rafale de mitraillette dans le dos après avoir été pendus par les mains à un arbre : ils avaient été pris entre les lignes en train de soigner les blessés. L’émotion est intense dans la division.
Pour finir, les hauteurs dominant le col de La Chevestraye sont enlevées par un bataillon ukrainien qui perd dans cette opération 80 tués. Le BUK, en fait le 3e bataillon du 1er régiment d’infanterie de la 30e division de Waffen SS, avait rejoint un maquis de la Haute-Saône à Noidans-le-Ferroux après avoir massacré son encadrement allemand. Le capitaine Bertin, chef de maquis, est venu le mettre à ma disposition car nous nous connaissons. Le BUK est aussitôt engagé, étant en tenue et armement allemands, les casques ont été remplacés par des bérets basques pour permettre de les distinguer de leurs vis-à-vis, et la Légion a fourni un encadrement d’officiers français et de sous-officiers russes-blancs.
Le général écrit : « 46 ans aujourd’hui, cette journée a été marquée par la prise de Ronchamp, donc détente le soir et gentille réunion à dîner… les Allemands résistent et sont décidés à résister. Le 1er CA fait face sans bouger ni pied ni patte. Le 2e CA glisse devant des défenses dont un croquis, que nous venons de prendre aux Allemands, montre le caractère sérieux… Un autre élément intervient pour me rendre pessimiste, on n’habille pas nos recrues, alors nous avons toutes les peines du monde à recruter, donc à remplacer nos Noirs, et nous sommes à la merci d’un froid vif qui les enverra à l’hôpital en même temps qu’il déterminerait des pieds gelés sur nos Blancs pratiquement sans chaussures. »
Du 3 au 5 octobre, le même brouillard froid et humide règne sur toute la région. A plusieurs reprises, les bataillons subissent de rudes attaques, des positions sont perdues, puis reprises. C’est en repoussant une attaque menée sur tout le front avec appui massif d’artillerie que sera trouvée une sacoche pleine de documents, dont le plan de défense de Belfort. Pour finir, la division a amélioré ses positions, deux escadrons du 11e Cuirassiers participent au nettoyage des lignes occupées et le BM XI prend « 772 », le dernier point d’appui qui résiste. Le col de La Chevestraye est entièrement entre nos mains. Plancher-les-Mines atteint; le village et le château de La Houillère conquis par la 4e brigade. Le front de la division est rétréci à partir du 5 octobre ; la 2e DIM prenant en charge le secteur au sud de la ligne Magny d’Anigon. Clairegoutte, Evette. Ce jour-là, une jeune fille de 19 ans, qui vient de passer les lignes, indique avec précision l’emplacement d’un gros dépôt de munitions. Immédiatement, nos artilleurs du 1er RA le prennent pour cible et à 10 heures le dépôt explose.
Pour satisfaire les besoins de la 3e DIA qui attaque, la dotation en obus de notre division est réduite à une demi-unité de feu, ce qui ne permet plus de contre battre l’artillerie allemande qui harcèle nos positions. Alors, la division est obligée de réduire ses activités : jusqu’au 10 octobre, elle se met sur la défensive. L’intendance ne suit pas davantage, le ravitaillement en vivres est très insuffisant, nous ne percevons que la moitié des rations qui seraient nécessaires à la nourriture de nos effectifs que grossissent les unités FFI. Et pas une seule cigarette ! L’état de nos matériels est préoccupant, les tubes des canons sont usés, les chars du 1er RFM hors d’usage et les véhicules n’ont plus de pièces de rechange. C’est un miracle de voir encore fonctionner la 101e compagnie du Train du capitaine Dulau.
Le bataillon du Génie du commandant Tissier est sur les dents; il doit entretenir 120 kilomètres de pistes couvertes de neige ou transformées en ruisseaux de boue. Il doit, pour ne pas interrompre la circulation, construire de nuit des ponts Bailey sur les coupures ; de nombreux sapeurs sont épuisés ou malades.
Le chef d’état-major du 2e CA de passage au PC nous apprend les énormes difficultés que rencontrent les Américains dans leur progression, mais le général de Monsabert garde une confiance totale dans ses projets de rupture du front allemand par les Vosges ; il se préoccupe plus de tactique que de logistique. Quant au général de Lattre, il est absorbé par les opérations à venir et le ravitaillement. Nous vivons un temps de grande misère, avec la sensation déprimante que nous allons passer l’hiver immobiles dans une ingrate mission de flanc-garde d’offensives menées par nos Alliés en direction de la Lorraine, et cela avec des moyens insuffisants.
Par ailleurs, l’ambiance est grave, des civils échappés de Champagny rejoignent nos lignes pour éviter d’être requis (entre 15 et 55 ans) pour aller travailler à Belfort. Ils nous apprennent que les Allemands déportent, pillent et fusillent. Déjà, le capitaine Bertin (Bermon dans la Résistance) nous avait fait connaître les mesures de répression exercées par les nazis contre les résistants ; dans le seul arrondissement de Montbéliard, 200 hommes auraient été exécutés.
Le 12 octobre, la DFL occupe le secteur situé entre Ronchamp et Le Haut-du-Them avec mission d’interdire les deux axes de pénétration suivants : celui de Château-Lambert, Servance, Vallée de Douedeau confié à la 2e brigade, et l’autre de Plancher-Bas/Fresse pour la 1re brigade : elle a en outre mission de garder la zone de Ronchamp, donnée à la 4e brigade ; elle tient 25 kilomètres de front avec son seul 1er RA, et, comme renfort, les 4 bataillons du régiment FFI du Morvan que commande le colonel Chevrier: aussi a-t-elle dû mettre en ligne son peloton de défense du QG 50 et une compagnie du bataillon antillais de FTA. Le 8e RCA fournit deux groupements de réserve tactique prêts à intervenir en cas de besoin. La 3e brigade est regroupée en réserve dans la région Froideterre – Vy-lès-Lure.
L’activité ennemie se limite à des tirs d’artillerie sur les unités en mouvement, plus particulièrement dans la région de Ronchamp, et par des patrouilles qui parviennent au contact mais la pénurie de munitions chez nous ne permet pas de neutraliser l’artillerie allemande. L’accueil des habitants est chaleureux: ils ouvrent leurs granges, donnent la nourriture et permettent ainsi à nos hommes de vivre. Or, il apparaît que les actions offensives engagées dans les Vosges par la 3e DIA n’ont pas atteint leur but ; la lutte harassante menée par cette division dans les sommets boisés des Vosges l’a épuisée. Afin de soulager la 3e DIA, le front nord de la DFL est encore élargi jusqu’à la route de Cornimont.
Le 18 octobre, le général de Lattre décide de suspendre l’attaque du 2e CA en direction des Vosges. Il réunit ses 3 commandants de division, du Vigier, Guillaume et Brosset avec le colonel Lecoq de la 4e DMM pour leur exposer le changement de manœuvre. Le général Valluy, chef d’état-major de la 1re armée, commente cette décision: « Le général de Lattre renonce à la manœuvre débordante conçue par Monsabert ; il lui a donné sa chance, mais il n’a pas réussi, il va maintenant donner sa chance à Béthouart (2). »
Le 22 octobre, le général de Gaulle rend visite à la 1re DFL ; il est accompagné de M. Diethelm, des généraux Juin et de Lattre. Le même jour, une directive reçue le soir étend encore le front de la division jusqu’au Thillot, ce qui représente une ligne à tenir de 30 kilomètres. La 1re DB est en effet mise à la disposition du 1er CA du général Béthouart, et c’est pour libérer cette division que la 1re DFL doit encore s’étirer ; elle reçoit le renfort du groupement Pommiès, à 4 bataillons, précédemment en secteur dans la zone tenue par la DB. Cette formation est très nerveuse, elle tiraille sans cesse et réclame souvent, la nuit, des appuis d’artillerie. Or, tout ce que le 2e CA reçoit en munitions est consommé par la 3e DIA; et la DFL ne reçoit toujours rien.
Le 31 octobre, le général de Monsabert décide de mettre le 1er BLE du commandant de Sairigné à la disposition du général Guillaume, commandant du 3e DIA, qui veut attaquer sur l’axe Sapois/Rochesson. En effet, autant pour appuyer l’action de la 7e armée américaine, qui progresse, que pour tromper l’ennemi sur ses intentions, le commandant de la 1re armée a autorisé le 2e CA à exécuter encore quelques attaques locales dans les Vosges. Ces actions offensives limitées dans leur objectif continueraient, pense-t-il, à aspirer les réserves allemandes loin du 1er CA, tout en maintenant un dispositif étoffé dans ce secteur.
La 1re DFL est donc, en cette fin d’octobre, en position défensive sur la ligne Faucogney/Le Planet/Ronchamp. Elle tient 42 kilomètres de front avec son seul 1er régiment d’artillerie, et le groupement Pommiès comme unique renfort. Le 1er BLE fait mouvement le 31 octobre au soir de Saulx-sur-Rougemont et passe aux ordres du colonel commandant le 4e régiment de Tirailleurs tunisiens. Il rejoint un détachement des commandos de France, formé avec des membres du réseau d’action « Orion » créé dès septembre 1940 par Alain Griotteray.
Le blanchiment
Du 1er au 7 novembre, les unités vont réaliser « la synthèse FFL-FFI » préconisée par le commandement. Tout d’abord 75 officiers sont prélevés sur la DFL pour encadrer la 10e division, levée à Paris.
Jusqu’à ce mois de novembre, les quelques centaines de volontaires qui, venus au cours de notre progression de la mer à la Franche-Comté se sont engagés dans nos rangs, ont permis de compenser les pertes subies pendant la bataille de Provence. Le recrutement adroitement mené par le colonel Garbay, gêné cependant par le manque d’effets d’habillement, nous vaut quand même l’appoint de 2800 recrues. A l’approche de l’hiver, il est nécessaire de remplacer nos volontaires venus de l’empire. Les Antillais des FTA refusent de quitter la division mais il est nécessaire de remplacer les survivants du bataillon venu en 1941 des îles du Pacifique et nos 6000 valeureux Africains ou Malgaches. Pour régler ce problème, la seule solution qui s’impose au général Brosset est de dissoudre la « brigade volante » et d’intégrer ses formations dans nos bataillons. Or, ces unités, issues des maquis ou des FFI, avaient chacune leur personnalité propre, ce qui pouvait poser des problèmes d’encadrement, de discipline et d’instruction. Contre toute attente, tout sera rapidement résolu, l’amalgame réalisé grâce à la volonté des anciens et l’ardeur des nouveaux arrivés.
La division va changer de physionomie pour la troisième fois, mais gardera son caractère. Elle a rassemblé en 1940, au moment où tout espoir semblait perdu, nombre de ceux qui, des quatre coins du monde et de notre vaste empire, ont répondu à l’appel du général de Gaulle. Coloniale au premier chef, elle a été surtout impériale dans son recrutement, son organisation, son esprit. Elle a groupé et fondu les marins de Dunkerque, les légionnaires rentrés de Norvège (3), les jeunes évadés de France, les marsouins échappés de Syrie ou ralliés à Chypre, le bataillon du Pacifique, le 22e bataillon nord-africain, les bataillons coloniaux formés en Afrique, un régiment d’artillerie de Congolais et de Malgaches, des Antillais aux FTA, des Syriens dans les ateliers de réparation, des Libanais à l’Intendance, des Indochinois au Train, des Pondichériens aux Transmissions et des Français rescapés, évadés du monde entier.
En Tunisie en 1943, elle a accueilli de très nombreux Français passés par les prisons espagnoles, plus de 2000 résistants libérateurs de la Corse, des volontaires civils ou déjà militaires d’Afrique française du Nord attirés par le prestige du général de Gaulle et le renom de la DFL, des « malgré-nous » échappés des armées allemandes, enfin des bataillons sénégalais ralliés de Djibouti.
A ce jour, après le retour en France, ce sont des combattants du maquis et des FFI et de jeunes engagés issus de toutes nos provinces de France qui vont donner un nouvel aspect à la division, lui permettant de vaincre et d’être présente à la victoire.
Le 11e régiment de Cuirassiers est transformé en régiment porté de soutien du 1er RFM à 4 escadrons. Les autres escadrons sont ventilés au BM 21 et au BM 24 de la 4e brigade. C’est une excellente formation, ancien maquis du Vercors.
Le BIMP, après le départ des 175 survivants du Pacifique envoyés au repos à Paris, reçoit 70 volontaires du maquis Le Coz d’Indre-et-Loire. La 13e DBLE est portée à 3 bataillons en intégrant le bataillon ukrainien, et ce qui reste du commando Basil et du détachement Lacaze. Elle verse au 22e BMNA les deux compagnies nord-africaines qui la renforçaient depuis l’Italie. Le 2e bataillon du Charolais du commandant Claude est réparti entre les 2e et 4e brigades. Le BM 4 compte déjà dans ses rangs le bataillon Chambarand, composé de maquisards dauphinois, qui s’est illustré à la libération de Lyon. Le BM 21 est doté d’un important contingent de jeunes gens venus de l’Aisne : ils feront leurs classes en combattant: quant au BM 24, il a pu, durant son séjour dans la banlieue lyonnaise, engager de nombreux volontaires et quelques FFI. Le régiment d’artillerie a déjà bénéficié en Tunisie de l’apport de nombreux Corses : après la bataille de Provence, il a pris à bord de ses véhicules des jeunes enthousiastes à Saint-Rémy-de-Provence, Lyon et Dijon. Le 17 octobre, 500 Ardennais rejoignent la division: ils ont connu les bombardements et l’invasion de 1940 ainsi que la détresse des réfugiés en zone libre. Il faut noter, enfin, la présence à la DFL d’un groupement de gardes mobiles Thiollet venu de Vichy. Le BM XI avait, sans attendre les ordres, déjà réalisé, au mois d’octobre, son blanchiment en intégrant le bataillon Max du régiment du Morvan.
La situation de la division est difficile du fait qu’il n’y a guère que 150 hommes instruits sur les 700 que comptent en moyenne les bataillons.
Rupture du front allemand
Le général de Monsabert veut tenter, dans un dernier effort, de forcer le front des lignes ennemies des Vosges. Il dépasse ainsi les instructions reçues, qui limitaient son action, et va faire participer le 1er BLE à l’offensive de la 3e DIA du 3 au 8 novembre.
Le froid est très vif, et la neige a fait son apparition au-dessus de l’altitude 900. Le combat va se dérouler dans un brouillard d’eau qui transperce tout; il est impossible de creuser un abri dans le sol durci par le gel, et le moindre trou se remplit d’eau aussitôt.
Les légionnaires, après avoir débordé le village de Rochesson par l’est, s’emparent des cotes 956, 1013 et 1020 dans la journée du 5 ; ils ont fait 42 prisonniers. Durant 48 heures, le bataillon est violemment contre-attaqué, il conserve ses positions, infligeant des pertes sévères à l’ennemi. Mais, dans ces deux derniers jours, les tirailleurs du 4e RTT, le fameux régiment du Belvédère, ont cédé du terrain ; ils sont épuisés. La Légion sauve la situation, mais lorsqu’il rejoint la DFL, le 1er BLE a perdu 32 tués et 196 blessés ont été évacués. La 3e DIA tient en fin d’offensive Rochesson, Menaurupt et les crêtes avoisinantes où s’est maintenu le 1er BLE, malgré la violence des attaques menées par la 269e division.
Pendant ce temps, le 1er CA prépare minutieusement son offensive. Ses unités ont moins souffert du climat que les nôtres, car elles sont venues d’Afrique du Nord avec tout leur paquetage, comme les divisions arrivées d’Italie, après la bataille de Provence.
Le général de Lattre a renforcé le CA Béthouart en blindés et en artillerie ; il lui a donné la masse principale de l’artillerie lourde de réserve générale. Derrière le front du Doubs, les dépôts d’essence et de munitions sont pleins.
Et le corps d’armée va profiter, en outre, de l’attitude agressive du 2e CA qui attire l’adversaire dans les Vosges.
Le général Béthouart a reçu pour mission de rompre le dispositif ennemi au nord du Doubs, de libérer la région Montbéliard/Héricourt et de dépasser pour sortir ces villes de la zone de combat. Simultanément, le CA poussera entre le Doubs et la frontière suisse vers Delle et Morvillars.
Le 11 novembre, le général Béthouart propose d’ajourner l’offensive prévue pour le 13 en raison des conditions atmosphériques. Il a gardé le souvenir de la campagne de Norvège, où sa brigade de chasseurs a été arrêtée par le froid autant que par l’ennemi. La neige tombe sans arrêt, tout le pays est saturé d’eau. Mais, depuis le 5 novembre, le général de Lattre sait que la 1re DB et la 1re DFL vont lui être retirées pour faire partie d’une « force A » sous les ordres du général de Larminat. Leur départ vers les « poches de l’Atlantique » est même fixé à la fin du mois. Il décide donc de maintenir la date prévue, bien qu’ayant affirmé le 13 novembre à Winston Churchill et au général de Gaulle en visite qu' »il n’était absolument pas question d’attaquer par ce temps-là ».
Le 14 novembre, malgré les intempéries, le 1er CA déclenche à l’aube son offensive en direction de Belfort. Le temps est épouvantable, le Doubs et ses affluents entrent soudainement en crue : des ponts sont emportés, interrompant les communications. A sa gauche, la DFL appuie cette action en fixant l’adversaire dans la direction de Champagney, elle occupe Belfahy. Le 19 novembre, constatant les succès remportés par le 1er CA, le général Brosset décide de passer à l’attaque, avant même d’en avoir reçu l’ordre du 2e CA. Les opérations préliminaires trouvent les premières positions allemandes inoccupées. La 4e brigade débouche, mais, contrairement aux prévisions, l’affaire marche mieux dans la vallée que dans les bois où le BIMP est accroché. A 11 heures, La Perrière et Champagney sont pris (BM 24) et Le Magny dépassé (BM 21). La 2e brigade enlève les hauteurs sud du col de La Chevestraye (BM 4 et BM 5) vers 16 heures. La division a fait 106 prisonniers. Pour l’attaque du 20 novembre au matin, la division est articulée en trois groupements tactiques (« Regimental Combat Team », RCT), formés chacun d’une brigade et d’un groupement blindé (comprenant 1 escadron du 1er RFM, 1 escadron du 8e RCA, 1 escadron porté du 11e Cuirassiers), appuyé par un groupe de 105.
En fin de journée, le RCT 3 (Raynal) atteint Plancher-Bas et Auxelles-Bas, le BM 21 parvient à Lachapelle-sous-Chaux. Le RCT 2 (Bavière) est à Plancher-les-Mines (22e BNMA), Mont Jean et Auxelles-Haut (BM 4) ; mais le bois de Martenot résiste au BM 5.
Un message parvient à l’état-major de la division ce 20 novembre à 16 h 30 : « Le général Brosset s’est tué dans un accident de jeep près de Plancher-Bas(4)». En attendant l’arrivée du général Garbay, désigné pour assurer l’intérim, le chef d’état-major prend les dispositions pour poursuivre l’attaque; il assumera pendant quarante-huit heures la responsabilité du commandement.
Général (CR) Saint Hillier
Ancien des Forces françaises libres
(1) Le colonel Gardet, Franc-Comtois, a fait ses études au collège de l’Arc à Dole, avant de rejoindre le Prytanée militaire.
(2) Le général Béthouart est né à Dole.
(3) La 13e demi-brigade de Légion étrangère, revenue en France après la victoire de Narvik, a formé en Angleterre le « noyau des Forces françaises libres » avec son chef le lieutenant-colonel Magrin-Vernerey, un Franc-Comtois.
(4) Au matin du 20 novembre, avant de partir, comme il le fait chaque jour pour rejoindre les unités de première ligne, il adresse à la DFL ce messaqe : « Aux officiers, sous-officiers, légionnaires, matelots, sapeurs et soldats de la 1re DFL, la droite de la 1re armée française vient d’atteindre le Rhin au sud de Mulhouse. Comme en Italie, comme à Toulon, les Allemands n’ont pu se rétablir sur leurs lignes de défense aux noms pompeux. Dans les jours qui suivront, on compte sur vous, les plus vieilles et les jeunes troupes de la nouvelle armée française, pour enlever Giromagny et atteindre le Rhin au nord de Mulhouse. »
Ce message sera le dernier, Brosset roule en jeep à toute allure, il en est ainsi chaque jour, il a fait le tour de ses unités de tête pour les stimuler, les pousser en avant. A Auxelles-Bas, il est avec les chars du 1er RFM qui forcent le bouchon établi par les Allemands à l’entrée du village. 50 des leurs sont capturés, une douzaine abattus. Les villageois accueillent les vainqueurs avec des bouteilles d’eau-de-vie de framboise et de prunelle. Le générai repart, presse le mouvement; il s’écrie : « La vie est magnifique, nous serons ce soir à Giromagny », raconte Jean-Pierre Aumont qui l’accompagne. A la sortie de Plancher-Bas, les fils téléphoniques d’un pylône renversé s’enroulent autour de ses roues ; sa jeep est paralysée. Le général emprunte un véhicule du DCR ; il ne veut pas attendre que son chauffeur ait dépanné, il est pressé d’aller donner des ordres par radio à Saint Hillier. Au moment de partir, le chauffeur, un sergent du DCR, lui crie : « Méfiez-vous, mon général, la jeep déporte à gauche quand on freine », raconte l’aspirant Jean-Pierre Aumont. Mais sur le pont du Rahin, les sapeurs sont en train de retirer une bombe d’avion de 250 kg d’un fourneau de mine. Le général freine, la jeep dérape sur la chaussée glissante, heurte le parapet et bascule dans l’Ambiez aux eaux grossies par la pluie et le dégel. L’aspirant Jean-Pierre Aumont et le chauffeur peuvent se dégager, mais le général s’est assommé sur le volant et reste inerte. Les sapeurs tentent de remonter la jeep, mais elle retombe dans le torrent et le corps du général part à la dérive emporté par le courant. Il sera retrouvé deux jours plus tard, près de Champagney.
Cette disparition plonge la division dans la consternation, elle a perdu celui qui l’avait façonnée à son image en Tunisie et au cours des combats d’Italie et de France et en avait fait une force parfaitement adaptée aux combats modernes. La présence constante de ce meneur d’hommes en première ligne était présage de victoire. Le général Brosset sera inhumé dans le cimetière divisionnaire de Villersexel le 24 novembre : il repose entre deux de ses fidèles, le commandant Langlois et le capitaine Mirkin, tués quelques jours plus tard.
Le 22 novembre, la division reprend sa progression, sous les ordres du général Garbay(*). Elle se heurte aussitôt dans un terrain détrempé et boueux à des résistances ennemies bien couvertes par des tirs de mortier et de canon de 88, mais elle poursuit l’attaque en suivant l’impulsion que son chef disparu lui avait donnée.
La bataille que va mener la 1re DFL entre dans une phase importante: elle va jouer un rôle capital, la 2e DB est à 40 kilomètres de Strasbourg, la 1re DB est dans Mulhouse mais connaît quelques difficultés par suite des réactions ennemies. Déjà la forêt de Hardt sert de repaire à des groupes allemands, qui menacent les voies de communications, réussissant même à les couper en plusieurs endroits. Par son action, la DFL va surmonter cet obstacle en rompant le front ennemi.
Le soir, la division est aux lisières sud de Giromagny, une tranchée entre Tête-des-Planches et Tête-d’Hanus est enlevée à la baïonnette, les bataillons du Morvan s’emparent de Belmont, Miellin.
C’est alors que, dans tout le secteur, l’ennemi retraite en direction du ballon de Servance Giromagny, évacué par les Allemands, est occupé. Le général Garbay remanie son dispositif, créant deux groupements avec les 1re et 4e brigades renforcées par des éléments blindés qui sont chargés l’un de l’action en direction du ballon d’Alsace, et l’autre d’exploiter en direction de Rougemont.
Mais la fatigue commence à se faire sentir, et les Antillais du bataillon de défense contre les avions sont transformés en fantassins et engagés avec la 22e BMNA.
La poursuite est difficile, les bataillons sont obligés de traverser des prés transformés en marécages où les véhicules s’embourbent. L’aide des habitants est précieuse, leurs attelages de bœufs sortent d’ennui nos tringlots et nos blindés. Tous nos efforts sont couronnés de succès en fin de journée du 23 novembre, malgré la ténacité des détachements retardateurs: Giromagny est occupé (BM 4, BM 5), Lachapelle-sous-Chaux et Sermamagny (BM 21), les étangs de la forêt de la Vaivre (BIMP) pris. Le régiment du Morvan est à Lauxey, au Martinet. L’hôtel du Ballon d’Alsace est conquis (1er BLE), mais le châlet Bonaparte et la ferme de Langenberg résistent. Le 2e BLE a perdu presque tous ses officiers, évacués blessés. Par le col de Chantoiseau, le BM XI s’approche de Sewen.
Le commandant du 2e CA met alors le groupement de choc Gambiez à la disposition de la DFL, qui l’introduit face à Lamadeleine. Le 24 novembre, la division s’empare du Ballon d’Alsace (1re BLE) sans rencontrer de résistance sérieuse, Sewen est occupé (BM XI). Les « chocs » de Gambiez poussent sur Saint-Nicolas, ils enlèvent un PC de régiment, puis tiennent les hauteurs surplombant Etueffont-Haut et Rougemont-le-Château. Petitmagny est pris (BM 5), Grosmagny occupé après de violents combats (BM 24), Eloie nettoyé maison par maison (BIMP). On sent alors que la défense allemande, toujours opiniâtre, est organisée. Grosmagny a été, en effet, la dernière position fortifiée de la ligne de résistance ennemie. Tous les villages ont été enlevés après de violents combats de rues; les destructions et les inondations ont certes ralenti notre action mais n’ont pu l’arrêter: les blindés du 1er RFM, du 8e RCA avec les escadrons portés du 11e Cuirassiers ont joué un rôle important dans cette poursuite. Dans la soirée du 25, Dollern, Oberbruck, Masevaux (2e BLE) sont à nous, quatre batteries d’artillerie ont été prises. Pendant toute cette avancée, les hommes ont beaucoup souffert de la pluie : le mauvais temps a causé la fonte des neiges et les routes sont fréquemment coupées par des ruisseaux, elles sont inondées lorsqu’elles passent dans un bas-fond ; sans parler des destructions opérées par les sapeurs allemands c’est ainsi qu’au saut de la Truite sur la route du Ballon d’Alsace existe une coupure de 30 mètres de large. Le 2e DIM reçoit l’ordre de relever la DFL sur la ligne qu’elle a atteinte, jalonné par Rimbach, Niederbruck, Kohlwald, Sickert, Le Rossberg et Rammersmatt. Nos patrouilles étaient même parvenues jusqu’à Thann.
Au cours de cette attaque, menée sur 34 kilomètres, la division a perdu 300 tués et 1500 blessés ; elle a capturé 750 prisonniers, plus 1 officier et 7 nazis de la Gestapo, 36 canons et un matériel important.
Malheureusement, la demi-brigade de choc a attaqué à la sortie de la ville de Masevaux dans des conditions dangereuses; elle a été arrêtée par des feux nourris de mitrailleuses et a subi des pertes sérieuses. Les jeunes candidats à Saint-Cyr de la Corniche de Janson-de-Sailly, engagés dans ses rangs, ont été décimés.
Le général Eisenhower, qu’accompagnent les généraux Devers, de Lattre et Monsabert, vient féliciter le général Garbay à son PC pour sa victoire, ainsi que le commandant Saint Hillier, qui a eu sa part dans le succès. Le commandant suprême interallié dit ce qu’il pense de la manœuvre puis il conclut : « La Première Armée française restera dans l’Histoire comme le vainqueur de Belfort, la 1re Division françaises libre étant l’élément de tête ayant réalisé la percée. » Il vient ensuite à moi et ajoute : « Dans notre armée, ce commandant serait colonel. » « Mais il l’est, répond de Lattre, à partir d’aujourd’hui » ; c’est ainsi que je fus nommé lieutenant-colonel à quelques jours de mes 33 ans. Grâce à ses combattants, la division inscrit au palmarès de ses victoires :
– au temps de la France libre, lorsqu’elle était seule au combat, Keren et Massaouah en Erythrée, le Levant, Bir Hakeim, El-Alamein en Libye ;
– puis avec l’armée d’Afrique, Takrouna en Tunisie, le Garigliano, Rome et Radicofani en Italie ;
– enfin, sur le sol de France, après le débarquement, Toulon, Lyon, la Franche-Comté, demain ce sera la défense de Strasbourg, Colmar puis l’Authion.
(*) Le général Garbay, né à Gray, a en janvier 1941 traversé l’Afrique d’est en ouest sur les traces de l’expédition Marchand. Avec son bataillon Sarah du Tchad, il a remporté la première victoire de la France libre s’emparant en Erythrée de la forteresse de Cub-Cub le 10 février, détruisant le 112e Colonial italien (100 tués) et s’emparant d’une batterie de 6 canons et d’un matériel considérable.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 298, 2e trimestre 1997.