18 juin 1944
Le général de Gaulle a débarqué en France le 14 juin 1944. C’est le torpilleur La Combattante qui a eu l’honneur de ramener sur le sol de la Patrie le président du gouvernement provisoire de la République française – La Combattante, qui, pendant toute l’année, a continué ses patrouilles et ses missions offensives dans les eaux de la Manche, et qui, en avril et en mai 1944, a coulé deux vedettes rapides allemandes et en a endommagé au moins quatre autres.
Ainsi, huit jours après le débarquement allié, se marque une étape capitale dans la continuité de la France… Dans quelques semaines ce sera la libération de Paris et un peu plus tard la libération de la majeure partie du territoire national.
Depuis le mois d’août 1943, la fusion s’est effectuée.
Les F.N.F.L. et les Forces Maritimes d’Afrique sont devenues la marine nationale et l’appellation F.N.G.B. – Forces navales de Grande-Bretagne – dont le contre-amiral d’Argenlieu a pris le commandement, a fait son apparition.
De l’épopée des F.N.F.L. ainsi officiellement achevée, il reste le pavillon de beaupré marqué de la croix de Lorraine, que seuls sont autorisés à arborer les bâtiments que nous avons vus à l’œuvre et ceux qui étaient en cours de livraison. Ainsi se prolongera dans la vie de la marine française le souvenir de ces années de gloire et le nom de ses bons serviteurs. Il reste aussi la tradition, que, sous d’autres initiales, les vétérans de 1940, de 1941 et de 1942 ont maintenue bien vivante.
Alors que les grosses unités revenues d’Amérique, le Richelieu, les croiseurs, les contre-torpilleurs entraient aussi en ligne, les flottilles des anciennes Forces Libres continuaient leur métier. Seuls sont intervenus les regroupements rendus maintenant heureusement possibles par la proximité de territoires français proches de la Métropole : la Corse premier département libéré, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc.
Dans les eaux britanniques, aucun changement notable. Les défenses côtières, de plus en plus agressives, de plus en plus actives dans leurs préparatifs d’invasion, comprennent, outre la Combattante, qui fait parmi eux figure de vaisseau-amiral, les Chasseurs, les Motors Launches et les vedettes rapides de la 23e flottille ; ces derniers ont coulé deux chalutiers ennemis au large de Guernesey au mois de mai 1944, puis un autre quinze jours plus tard. L’Aconit, la Roselys, la Renoncule et la Lobelia effectuent maintenant des escortes de convois entre Casablanca et les ports de Grande-Bretagne. La 2e division est toujours basée sur la côte d’Afrique, encore que, tour à tour, le Commandant Detroyat et le Commandant-d’Estienne-d’Orves aient été détachés en Méditerranée Occidentale pour participer à l’escorte des convois.
En Méditerranée Orientale, les avisos La Moqueuse, Dominé et Duboc ainsi que les patrouilleurs Reine des Flots et Président Houduce continuent leur activité. En septembre 1943, les deux premiers ont participé aux opérations alliées dans le Dodécanèse. En octobre, dans les mêmes parages, la Reine des Flots a endommagé deux Junker 88 à Castelorizzo. Les missions de patrouilles et d’escortes se sont déroulées au rythme des saisons, coupées de carénage et de brèves périodes de repos.
Le Triomphant, qui devait rallier la Méditerranée, a été durement malmené alors qu’il faisait route sur Madagascar en venant du Pacifique au mois de décembre 1943. Pris dans un typhon effrayant, donnant jusqu’à 30 degrés de bande, ses machines noyées, il a failli disparaître à tout jamais. Deux brillants officiers ont été emportés. C’est à la remorque qu’il a été ramené au port. Très gravement avarié, il est remonté à petites étapes vers la Méditerranée, avant de faire route vers l’Amérique où il est arrivé en avril 1944 pour y être radicalement repris en main et pour recevoir les mêmes améliorations que ses similaires, le Fantasque, le Malin et le Terrible actuellement en opérations en Méditerranée et en Adriatique.
C’est le Brazza que nous avions laissé l’année dernière à Diégo-Suarez qui a remplacé le Triomphant dans le Pacifique et qui a participé à son sauvetage dans l’Océan Indien. Au cours de ses patrouilles, il a probablement coulé un sous-marin japonais le 13 décembre. Le Chevreuil, après des réparations aux États-Unis, a rallié Dakar ; le Cap des Palmes, ayant terminé sa refonte en Amérique, est rentré en service aux côtés du Brazza et a repris ses missions.
Le sous-marin Rubis est retourné en mission sur les côtes de France au cours de l’été 1943. Il reste basé en Grande-Bretagne, subit des réparations pendant l’hiver, et remonte à l’entraînement dans le nord au mois de mai 1944. La Minerve est toujours indisponible. La Junon, après réparations, a gagné Alger d’où elle va opérer en Méditerranée. Le Curie, dernier né de nos sous-marins en 1943, l’a précédée dès septembre 1943. Avec ses camarades britanniques, il a effectué des missions dans le Golfe de Gênes, sur les côtes italiennes et sur les côtes de France. Il doit être suivi par le Morse et la Doris du même type. De même, quatre frégates en service depuis avril 1944 ont reçu les noms d’Aventure, d’Escarmouche, de Surprise et de Découverte. Elles ont participé aux opérations de Normandie où la Surprise a subi quelques dommages sans gravité. Deux autres suivront bientôt : la Croix de Lorraine et le Tonkinois.
Sur terre, le 1er régiment de fusiliers marins est en Italie avec la 1re D.F.L Les effectifs se sont accrus. Il a, hélas, perdu, le 10 juin, son chef, le capitaine de frégate Amyot d’Inville, devant Viterbo. Rappeler leur gloire et leur héroïsme dans l’Armée Française d’Italie serait leur faire injure. Les groupes de commandos se sont couverts de gloire tout près de Ouistreham, et non loin de l’endroit où ils ont tenu magnifiquement et assuré par leur ténacité et par leur sacrifice le succès de leur mission, est venu reposer le vieux Courbet fidèle.
On connaît la fin profondément émouvante de ce vétéran de la marine française – bâtiment amiral de nos armées navales en 1914 – berceau des F.N.F.L. en ses temps héroïques, désarmé de longs mois, ressuscité enfin pour une dernière mission. il a été échoué devant les côtes de France pour former un brise-lame, pour permettre le succès des opérations de débarquement. Sa carrière achevée, il est venu mourir en vue des côtes de France. S’il est vrai peut-être que les navires aient une âme, celle du Courbet s’auréole à coup sûr d’une gloire particulière et peut être le symbole de sa fidélité.
Fidélité aussi dans la marine marchande. Si les hécatombes de 1942 et 1943 sont en voie de régression, si les convois passent les mers plus facilement, le danger n’a pas totalement disparu. Les marins de l’Anadyr, en service depuis 1940, viennent d’en faire l’expérience : après avoir été torpillés le 6 mai précédent, ils ont passé dix jours dans leurs canots, avant de réussir à regagner la terre, avant de toucher le Brésil où ils seront recueillis.
Comme le Courbet enfin, trois de nos navires marchands, le Forbin, le Formigny et le S.N.A. 8 sont revenus en France pour contribuer pour leur part à sa libération. En serviteurs fidèles, ils rejoignent la patrie et entrent dans le grand repos devant la terre natale. De Courseulles à Ouistreham, parmi d’autres navires, des alliés, des amis qui connurent les mêmes peines, ils reposent à fleur d’eau, bien solidement posés sur le fond de la mer et les vagues qui battirent si longtemps sur leurs coques, ondulent et se brisent maintenant sur leurs tôles obstinées.
André Truffert
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 39, 18 juin 1951.