Témoignage du maréchal Rommel
… Une première ligue de défense fortement minée, s’enfonçant de Gazala sur la côte, vers le sud, était tenue par la 50e division britannique et la 1re division sud-africaine. De l’extrémité sud de cette ligne, partait une ceinture de mines atteignant Bir-Hakeim. Cette dernière place, bastion méridional du front britannique de Gazala, était fortifiée, entourée de champs de mines, et défendue par la 1re Brigade des Forces Françaises Libres. Le front entier avait été dessiné avec soin et habileté. C’était la première fois qu’on tentait d’établir un tel ensemble si loin dans le désert. On avait dû y placer, en tout, environ 500.000 mines (…).
… Nous avions réussi à concentrer nos forces sur les deux bords du Trigh el Abd et nous y avions établi une ligne de défense solide. Mais les unités germano-italiennes avaient beaucoup souffert. Les Britanniques coupaient virtuellement notre voie d’approvisionnement au sud de Bir-Hakeim (…).
… Dès que la percée des défenses de la ligne de Gazala serait accomplie, nous avions l’intention de nous emparer de Bir-Hakeim, bastion méridional du front britannique (…).
… Nous commencerions par nettoyer toute la partie du sud de la ligne de Gazala, puis nous reprendrions l’offensive. Cette opération impliquerait la destruction de la 150e brigade britannique d’Oualeb et de la 1re Brigade Française Libre à Bir-Hakeim (…).
… Got el Oualeb étant tombé, Bir-Hakeim devait être investi et attaqué le lendemain 2 juin. Des groupes britanniques et français en partaient pour de continuels coups de main sur nos lignes de communication. Il fallait y mettre fin.
Dans la nuit du 1er au 2 juin 1942, la 90e division légère et la division Trieste avancèrent en direction de Bir-Hakeim. Après que ces deux unités eurent franchi, sans pertes notables, les champs de mines, l’encerclement du point d’appui fut complété par l’est.
Une invitation à se rendre, portée aux assiégés par nos parlementaires, ayant été repoussée, l’attaque fut lancée vers midi, menée du nord-est par la division Trieste, et du sud-est par la 90e légère, contre les fortifications, les positions et les champs de mines établis par les troupes françaises. La bataille commença par une préparation d’artillerie ; elle devait se poursuivre dix jours durant avec une violence peu commune. Pendant cette période, j’assumai moi-même, à plusieurs reprises, le commandement des troupes assaillantes. Sur le théâtre d’opérations africain, j’ai rarement vu combat plus acharné. Les Français disposaient de positions remarquablement aménagées ; ils utilisaient des trous individuels, des blockhaus, des emplacements de mitrailleuses et de canons antichars ; toutes étaient entourées d’une large ceinture de mines. Les retranchements de cette sorte protègent admirablement contre le bombardement par obus et les attaques aériennes ; un coup au but risque tout au plus de détruire un trou individuel. Aussi, pour infliger des pertes notables à un adversaire disposant de pareilles positions est-il indispensable de ne pas lésiner sur les munitions. La principale difficulté consistait à ouvrir des brèches dans les champs de mines sous le feu des troupes françaises. Au prix de pertes importantes, les soldats du génie accomplirent cette tâche surhumaine. Protégés par des écrans de fumée et par l’artillerie, ils durent, par endroits, creuser des sapes pour parvenir jusqu’aux mines… C’est à eux en grande partie, que nous fûmes redevables du succès.
Appuyés par les attaques continues de l’aviation – entre le 2 et le 11 juin, jour de la prise des dernières positions françaises, la Luftwaffe exécuta 1.300 attaques contre Bir-Hakeim – les groupes d’assaut, composés de troupes appartenant à diverses armes et prélevés sur différentes unités, engagèrent l’action au nord et au sud. Mais, chaque fois, l’assaut était stoppé dans les fortifications remarquablement établies par les Français (…).
… L’activité déployée par nos troupes devant les fortifications françaises s’était trouvée temporairement réduite. Le 6 juin, à 11 heures, la 90e légère partit de nouveau à l’assaut des troupes commandées par le général Kœnig. Les pointes avancées parvinrent à 800 mètres du fort, puis l’offensive s’arrêta. Le terrain, caillouteux, n’offrait aucune possibilité de camouflage et le feu violent des Français ouvrait des brèches dans nos rangs. Dans la soirée, l’assaut fut interrompu pendant que l’encerclement se resserrait autour du point d’appui. De faibles attaques de dégagement lancées par la 7e brigade motorisée britannique contre notre 90e légère, furent repoussées. Au cours de la nuit du 6 au 7 juin, dans le secteur occupé par cette dernière unité, nous réussîmes à ouvrir des couloirs dans les champs de mines et, à la faveur de l’obscurité, les groupes d’assaut parvinrent à distance d’attaque. L’ouvrage fut soumis à un sévère bombardement par l’artillerie et l’aviation et, le 7 juin au matin, l’infanterie repartit à l’assaut.
Malgré son mordant, cet assaut fut stoppé par le feu de toutes les armes dont disposaient les encerclés. Ce n’est qu’au nord de Bir-Hakeim que les groupes de combat réussirent quelques pénétrations dans le dispositif ennemi. C’était un admirable exploit de la part des défenseurs qui, entre-temps s’étaient trouvés totalement isolés. Le 8 juin, l’attaque se poursuivit. Pendant toute la nuit, nous n’avions cessé de lâcher des fusées et de battre les positions de défense avec nos mitrailleuses pour empêcher les Français de prendre du repos. Et pourtant, le lendemain, lorsque mes troupes repar-tirent, elles furent accueillies par un feu violent, dont l’intensité n’avait pas diminué depuis la veille. L’adversaire se terrait dans ses trous individuels et restait invisible.
Le 9 juin, je fis appel à une unité de l’Afrika-Korps pour appuyer l’attaque contre Bir-Hakeim. Une nouvelle fois, dans le petit matin, les vagues de notre infanterie s’élancèrent contre les fortifications françaises. Vers midi, la 90e légère qui, jusqu’ici, avait soutenu avec ses armes lourdes la progression des groupes de combat, au nord et au sud de la forteresse, se joignit à l’assaut. En dépit de pertes importantes, exposées constamment au feu des Français qui luttaient avec l’énergie du désespoir, l’unité de tête parvint, vers huit heures du soir, à 200 mètres du fort de Bir-Hakeim (…).
… Finalement, le 10 juin, c’est-à-dire le lendemain, le groupe de choc de l’Afrika-Korps, commandé par le colonel Baade, réussit à pénétrer profondément dans les positions principales de l’adversaire, au nord de Bir-Hakeim. Les Français défendirent désespérément chaque nid de résistance, subissant des pertes extraordinairement lourdes (1). Cette percée rendait la position intenable ; nous nous attendions à ce que l’ennemi procédât à des attaques de soutien, depuis l’extérieur, afin de faciliter une éventuelle sortie des troupes encerclées. Certains éléments de la 7e brigade motorisée britannique qui, ainsi que je l’ai déjà dit, s’efforçait de troubler l’acheminement de nos renforts, avaient été aperçus par nos reconnaissances alors qu’ils se dirigeaient vers Bir-Hakeim. Afin de parer à toute éventualité, j’ordonnai à la 15e Panzers de rejoindre Bir-Hakeim. Le lendemain, la garnison française devait recevoir le coup de grâce. Malheureusement pour nous, les Français n’attendirent pas. En dépit des mesures de sécurité que nous avions prises, ils réussirent à quitter la forteresse, commandés par leur chef, le général Kœnig, et à sauver une partie importante de leurs effectifs. À la faveur de l’obscurité, ils s’échappèrent vers l’ouest et rejoignirent la 7e brigade anglaise. Plus tard, on constata qu’à l’endroit où s’était opérée cette sortie, l’encerclement n’avait pas été réalisé conformément aux ordres reçus. Une fois de plus, la preuve était faite qu’un chef décidé à ne pas jeter le fusil après la mire à la première occasion peut réaliser des miracles, même si la situation est apparemment désespérée. Dans les premières heures de la matinée du 11 juin, la 90e légère occupait Bir-Hakeim. Cinq cents Français, la plupart blessés, tombèrent entre nos mains. Dans la matinée, je visitai la forteresse, théâtre de furieux combats ; nous avions attendu sa chute avec impatience. Les travaux de fortification autour de Bir-Hakeim comprenaient, entre autres, 1.200 emplacements de combat, tant pour l’infanterie que pour les armes lourdes.
Maintenant, nos forces étaient de nouveau libres (…).
Extrait de La Guerre sans haine, publication autorisée par les Presses de la Cité.
1) Contrairement à ce que pense Rommel, les pertes de la 1re D.F.L. demeuraient encore relativement faibles, même après cette dure journée, on comptait 86 morts et une cinquantaine de blessés au moment où l’ordre de sortie de vive force fut donné par le général Koenig. Les pertes de la sortie elle-même furent plus lourdes, car elle coûta à elle seule 41 morts et 125 blessés, sans parler des prisonniers. Quelques semaines plus tard le bilan des pertes de la 1re D.F.L. pour l’ensemble des combats s’établissait à 129 morts, 190 blessés et 659 disparus.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.