Stanislas Mangin
Allocution du général d’armée Jean Simon prononcée le 20 juin 1986 au cimetière du Père-Lachaise
Le 12 novembre 1970, après les obsèques du général de Gaulle, Stanislas Mangin écrivait :
« Une heure durant, nous nous sommes tenus 350, côte-à-côte, à quelques mètres du cercueil en chêne clair…, cercueil de simple soldat, mais si grand que nous n’avions pas un instant cessé de voir lequel d’entre nous était là…
« La profonde intimité de notre assemblée… elle était faite de ce qui nous unit : de cette disposition d’âme et de chair qui nous a fait sortir des ornières, nous a portés vers les engagements difficiles, les risques inconnus, les horizons nouveaux pour la défense de l’humain.
« Unit, en ce moment surtout, les vivants avec les morts, par la mémoire de nos actes, inégaux, parcellaires, hétérogènes, mais dirigés vers le même but, par le chef unique que nous avons reconnus, un par un, et qui nous a soutenu par l’exemple inaltérable d’existence et d’amour national qu’il laisse à tous en héritage. »
Si j’ai voulu citer ce texte écrit par notre compagnon au retour de Colombey-les-Deux-Églises, c’est qu’il exprime pleinement ce que nous sommes, pourquoi nous avons combattu.
La mort…
Elle nous réunit, une fois encore et il m’appartient aujourd’hui de rendre un dernier hommage à Stanislas Mangin et de retracer brièvement devant vous sa vie.
Chaque compagnon s’est fondu en l’histoire de notre pays, mais chaque compagnon a ajouté sa parcelle de gloire. Au sein même de l’épopée qui nous a rassemblés, il y a l’itinéraire de chaque homme. Pour nous, saluer nos morts, c’est affirmer qu’une flamme est entretenue, c’est transmettre par le récit d’une existence le choix d’un des nôtres pour la liberté face au destin.
Issu d’une famille qui donna de nombreux serviteurs à l’État, fils du général d’armée Charles Mangin, fondateur des troupes coloniales, figure légendaire de la Grande Guerre, Stanislas Mangin est né le 20 septembre 1917.
Saint-Cyrien de la promotion 39, il sera fait prisonnier le 19 juin 1940. Il s’évade dès le 1er août de la caserne d’Orléans et rejoint la zone non occupée où il est affecté à un régiment de l’armée d’armistice.
En congé sur sa demande au mois de novembre et sur le conseil du colonel Groussard, son ancien commandant d’école, il est nommé chef de cabinet de préfet.
Démissionnaire en vue de rejoindre les FFL à Londres, il forme début 1941 un groupe, avec nos compagnons Tavian et Wybot, et par l’intermédiaire de notre compagnon Fourcaud, tente sans succès de passer la frontière catalane.
Il devient le premier engagé militaire clandestin des FFL en avril 1941 sous le nom de Monjon et accepte un second poste de chef de cabinet de préfet, grâce auquel il fournit des renseignements et des moyens.
Parallèlement, affecté aux liaisons de Fourcaud, et à ses postes émetteurs, il se retrouve à la tête du réseau Ali-Tir après l’arrestation de Fourcaud par la police de Vichy et sera désigné par Londres comme chef de mission en novembre 1941.
Il démissionne à nouveau de ses fonctions de chef de cabinet en janvier 1942, voulant se rendre en zone occupée pour créer le réseau Crolans et Piganiol et mettre ainsi fin à l’équivoque qu’il ne peut plus supporter de son appartenance à l’administration de Vichy.
Pendant deux mois, il sillonne la France, prendra des contacts avec les fondateurs de mouvements de la Résistance, des personnalités civiles et militaires.
Il préparera un terrain pour les opérations aériennes de Lysander. Il rencontrera Teitgen, de Menthon, Jean Moulin, qui, privé de radio, lui confiera son premier télégramme pour Londres.
Et c’est fin février 1942 que Stanislas Mangin parvient à rallier Londres par Lysander. Après un passage au BCRA, il sera désigné en novembre pour Saint-Pierre-et-Miquelon puis pour les USA.
C’est sous son nom véritable qu’il reprend le combat en plein jour. D’abord, en New Jersey où il se consacre à l’entraînement du Bataillon des Antilles. Puis sur ses demandes réitérées, il est intégré à la 1re DFL et affecté au BM.11 en septembre 1943 en Tunisie.
En raison des difficultés d’encadrement du Bataillon des Antilles, il est à nouveau affecté à ce corps et c’est en juillet 1943 qu’il parvient à rejoindre l’Italie au 1er RFM où il reçoit le commandement du 2e peloton au 2e escadron.
Il participe au débarquement de Provence et se distingue dès les opérations sur Hyères et La Garde, les 22 et 23 août 1944, où il conduit avec sang-froid ses hommes. Blessé, il refuse de se laisser évacuer et continue ses missions de reconnaissance, sous les feux violents d’armes automatiques, permettant de définir la ligne ennemie et de situer les positions des batteries.
Il s’illustre encore à Lyon le 3 septembre où il entre le premier à la tête de son peloton et organise la défense et la protection des points vitaux pour le passage de la division.
Il sera à nouveau cité au combat de Longeville le 22 septembre et à Fresse le 8 octobre où chargé de mission d’infanterie, il effectue à pied des reconnaissances sous le feu.
Le 24 novembre, il provoque, par sa présence d’esprit, bien que blessé à deux reprises, la reddition d’une section antichars et d’une section ennemie, entrant ainsi le premier de l’armée française en Alsace.
Blessé une nouvelle fois à Weigscheid le 28 novembre 1944, son commandant d’escadron ayant été également blessé, il prend le commandement du groupement blindé, ne se laissant évacuer qu’après avoir été remplacé.
Il a 17 ans.
Le grade de capitaine.
Le texte, signé Charles de Gaulle, attribuant la croix de la Libération, mentionne : « Officier d’élite ayant toujours fait preuve des plus belles qualités militaires. Volontaire aux FFL, s’est particulièrement distingué dans l’accomplissement de missions spéciales. »
Le 2 avril 1945, il aura l’honneur de faire partie de la garde des Compagnons lors de la remise de la croix de la Libération à la ville de Paris.
Il aura l’honneur aussi de compter parmi ses plus proches, quatre Compagnons de la Libération :
– le général Diego Brosset, commandant la 1re DFL ;
– Louis Andlauer, pilote des Forces Aériennes Françaises Libres ;
– Jacques Lecompte-Boinet, fondateur du mouvement « Ceux de la Résistance », membre du CNR, ses beaux-frères ;
– René Pleven, pionnier de la France Libre, son beau-père.
Il aura l’honneur par ses choix et ses engagements successifs d’avoir accompli son devoir et d’être présent à la libération du pays.
La paix revenue, il sera nommé directeur adjoint de la Surveillance du territoire, puis maître des requêtes et conseiller d’État.
En 1977, il décide de se pencher tout spécialement sur les problèmes de l’émigration et il devient alors avocat au Barreau de Paris.
Tel fut Stanislas Mangin, notre compagnon, serviteur d’une grande cause, témoin des combats, de la souffrance, de la ténacité d’une poignée d’hommes, dont les actes se sont inscrits dans les hauts lieux de la volonté.
Qu’il repose aujourd’hui.
Son nom reste gravé au livre d’or des Compagnons, et son souvenir pour tous ceux qui l’ont aimé, et connu, reste gravé dans les cœurs.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 256, 4e trimestre 1986.