Souvenir de Bir-Hakeim
du légionnaire Alberto Rachef
Que dire de Bir-Hakeim qui n’ait déjà été dit, quelquefois très bien, d’autres fois moins bien.
Tout le monde connaît les détails de cette dure bataille du désert et dans tous les esprits elle évoque ce cliché qui vient naturellement aux lèvres « l’enfer de Bir-Hakeim »…
C’est pourquoi je ne parlerai pas de la bataille proprement dite mais simplement de ma sortie qui ne fut pas la partie la plus aisée de l’ensemble de l’opération…
Se frayer un passage parmi les morts et les vivants, amies et ennemis entremêlés; ne pas sauter sur les champs de mines, se battre au corps à corps pour forcer les obstacles, le tout, sous une pluie de mitraille, arrosé aux lance-flammes dont les lueurs rougeoyantes trouant l’obscurité, ajoutaient au spectacle quelque chose de diabolique. Voilà une phase de l’épopée de Bir-Hakeim, la plus pénible.
Je ne parlerai pas des cris inhumains accompagnant cette sortie démentielle; couleurs et bruits forment dans mon souvenir un tout étroitement lié qui m’amène au bout de longues heures, harassé, mort de soif et de fatigue, ivre de bruit, de l’odeur du sang, couvert de poux, le visage mangé de crasse et de barbe, hors de ce charnier, sans savoir où m’avait conduit cette marche aveugle et rampante…
C’est ainsi que je restai tapi à quelques mètres des sentinelles dont j’ignorais les origines, tendant l’oreille dans l’espoir de saisir un indice me permettant de les identifier… Au bout d’un siècle eut lieu la relève et j’entendis nettement un « yes » qui me combla de joie. Jamais je n’ai aimé les Anglais avec autant de ferveur que ce jour-là…
Ensuite, ce fut comme dans un rêve. Après avoir décliné mon identité et accompli les formalités d’usage, on m’amena auprès de mon capitaine M. Messmer, que l’on m’avait dit mort et qui me réconforta par des paroles restées gravées dans ma mémoire. Enfin, je pus boire à ma soif, prendre une douche, changer de vêtements, faire enfin figure d’être humain.
Un « enfer », oui, souvenirs « hallucinants », oui, mais aussi première victoire française menée et gagnée par des chefs français à laquelle je suis fier d’avoir participé, période inoubliable que je ne voudrais pas de pas avoir vécue.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.