Le sous-marin Narval, par Jean Gayral et Xavier Gautier

Le sous-marin Narval, par Jean Gayral et Xavier Gautier

Le sous-marin Narval, par Jean Gayral et Xavier Gautier

Le 24 juin 1940, le sous-marin Narval, sous les ordres du commandant Drogou, appareillait de nuit pour Malte. En cours de traversée, il émettait sur ondes générales veillées par tous les bâtiments de guerre français le message fameux «Trahison sur toute la ligne, je rejoins un port anglais ».
Il devait être coulé le 14 décembre 1940 par un torpilleur italien (1).
À son arrivée à Malte, il était reçu par le commandant Gayral, lui-même rallié à la France Libre, qui conte comme suit son arrivée.
« Le 26 juin 1940, le sous-marin Narval entrait dans le grand port de La Valette et accostait dans la Dockyard Creek.

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Le sous-marin Narval (RFL).

« Le même jour, à 18 heures, un capitaine de cavalerie du 1er régiment étranger montait au consulat de France à La Valette et déclarait au consul : « J’arrive de Sousse à bord du sous-marin français Narval. Le commandant Drogou doit rester à bord à cause des raids d’avions italiens. Quelles sont les nouvelles ?

La suite du récit est due à notre ami, M. Xavier Gautier, consul de France à La Valette, aujourd’hui consul de France à Londres.
« Les lecteurs comprendront que le consul fut un peu étonné de voir un officier de cavalerie de la Légion étrangère débarquer d’un sous-marin. Plus tard, au cours de la guerre, d’autres sous-marins emmèneront à leur bord des officiers de toutes armes et même des civils. Notons cependant, en passant, que le Narval fut probablement le premier à embarquer de tels passagers.
« En tout cas, la vue d’un officier français à Malte, à cette date, ne pouvait qu’être réconfortante pour le consul isolé. Celui-ci ne put alors que dire à son visiteur qu’il n’avait reçu aucun télégramme officiel depuis plusieurs jours, qu’il n’entendait plus les postes de radio français et assez mal celui de Tunis. Il fut convenu que, dès le lendemain, le commandant Drogou viendrait au consulat.
« Ainsi débutèrent des relations entre le sous-marin et le consulat français. Elles furent tout de suite cordiales et durèrent pendant quatre mois jusqu’à la disparition du sous-marin.
« Il n’est presque jamais fait mention du Narval dans les ouvrages ou articles, déjà nombreux, qui ont trait aux opérations navales en Méditerranée. C’est très regrettable car l’acte du Narval fut empreint du patriotisme le plus pur.
« La décision du commandant Drogou de quitter Sousse avait été, à son avis, un acte d’élémentaire bon sens. « Nous avions reçu, disait-il, un dernier ordre prescrivant de ne pas laisser tomber notre bâtiment aux mains de l’ennemi. Rester à Sousse, ou aller dans un autre port d’Afrique ou du Sud de la France, c’était soit y pourrir, soit s’y faire prendre. J’ai rallié le port anglais le plus proche. »
« Bien entendu, le commandant, ses officiers et son équipage s’attendaient à voir ou à apprendre que de nombreux autres navires de guerre feraient comme le Narval. « Ils vont se faire « coincer », disait encore Drogou, car je n’ai pas confiance, mais pas du tout, dans la parole d’Hitler ou de Mussolini. »
«Tous excusaient leurs compatriotes de France à cause du coup de massue terrible que leur avaient asséné l’armée et l’aviation allemandes. Ils les plaignaient et, par comparaison, étaient plutôt heureux de se trouver libres et reçus à bras ouverts par les officiers de marine britanniques. « Mais qu’attend donc la flotte d’Alexandrie pour déclarer qu’elle continue la lutte ? » disaient-ils aussi de plus en plus anxieux. Car, pour eux, il n’était question que de reprendre la mer au plus vite pour surprendre les Italiens. « J’ai le Montecucolli dans le nez, disait en souriant Drogou. Si je le vois, lui ou bien un autre, je tâcherai de ne pas le rater ». Les Italiens les exaspéraient.
« Ils avaient très vite pris la mesure de la valeur très relative des raids aériens sur Malte. Le Narval, dans la Dockyard Creek, était très exposé. Il fut touché par un petit éclat d’une bombe italienne : « Nous avons été baptisés », disaient-ils.
« Comme bombe, mais d’une autre espèce, il y eut Mers El-Kébir. Ils avaient tous des visages bien sombres quand le lendemain de Mers El-Kébir, ils vinrent trois ou quatre au consulat, comme ils en avaient pris l’habitude, pour « avoir des nouvelles ».
« Les officiers et les membres de l’équipage avaient de nombreux camarades à bord des navires de guerre que l’on signalait atteints ou coulés. Pour ceux du Narval qui étaient déjà en train de prendre leurs dispositions à Malte, en accord avec les Anglais, en vue de reprendre la mer et d’aller se battre contre les Italiens, les événements de Mers El-Kébir étaient particulièrement cruels et bouleversants.
« Et voici, qu’au même moment une tentative était faite, dans la Dockyard Creck, sur l’ordre de l’amiral anglais, pour s’emparer du Narval. Cet amiral avait évidemment reçu, lui aussi, de l’amirauté britannique l’ordre d’exécuter au mieux l’opération « Catapult » vis-à-vis du Narval. Ce fut pour le commandant Drogou un moment extrêmement pénible. Venu à Malte pour se battre, voici qu’on tentait de lui enlever son sous-marin. Heureusement l’amiral anglais et le commandant français avaient déjà pleine confiance l’un dans l’autre. Tout incident grave fut évité. Mais 30 membres de l’équipage français, dont presque tous les officiers mariniers, demandèrent à être débarqués.
« Pour ceux qui restèrent et notamment pour tous les officiers du sous-marin, ces deux événements douloureux et déconcertants n’ébranlèrent nullement leur intention de vouloir continuer le combat. Ils y trouvèrent même une confirmation de la sagesse de leur décision d’avoir quitté Sousse en temps voulu. Combattants, raisonnant uniquement en combattants, ils n’hésitaient même pas à dire aux officiers anglais : «Vous nous avez surpris au mouillage à Mers El-Kébir. Mais même dans cette position, le Dunkerque et le Strasbourg auraient dû vous couler un ou deux bateaux. Vous avez eu de la chance. En tout cas, nous continuons. Nous voici volontaires ; va pour volontaires. »
« C’est le seul langage que comprennent et apprécient les marins. Et puis, il n’y avait alors que quatre sous-marins britanniques disponibles à Malte et déjà en mer et six à Alexandrie. Un Français de plus c’était bien réconfortant pour les Britanniques et bien utile.
« Quand le général de Gaulle dit que la France Libre est partie littéralement de moins que rien, il a tellement raison.
« Le Narval, par exemple, devait reconstituer son équipage et pour cela envoyer un officier à Alexandrie pour y trouver des volontaires, en réclamer à Londres, puis entraîner en commun ces hommes qui ne se connaissaient peu ou pas, se mettre au courant des méthodes anglaises, prévoir le réapprovisionnement en torpilles et en pièces de rechange à provenir de Londres, éviter le dépaysement dans un port étranger où l’on se trouvait isolé, assurer la solde, songer à faire parvenir discrètement un peu d’argent aux familles restées en France, etc., etc.
« N’importe ! En octobre, novembre et décembre, le Narval fit trois croisières.
« Au moins, disait le commandant Drogou, nous aurons engagé l’honneur la France à refuser la Tunisie à l’insolente Italie puisqu’il y aura toujours eu un navire français en guerre contre elle au large des côtes tunisiennes. »
« Les patrouilles des sous-marins en Méditerranée en 1940 se passèrent parfois tout entières sans que l’on aperçut quoi que ce soit de l’ennemi. « La mer paraît vide, disait le commandant Drogou au retour de sa première croisière. Je n’ai vu qu’un bateau, au cours d’une nuit, d’ailleurs assez loin et tous feux allumés. Un neutre probablement. » Mais certaines patrouilles furent extrêmement périlleuses. Les sous-marins britanniques Odin, Orpheus et Grampus, partis de Malte, dès juin 1940, ne revinrent jamais.
« Le Narval fut coulé le 14 décembre 1940 par un torpilleur italien (1). Un communiqué officiel italien annonça sa perte le 10 janvier en ces termes : « Deux sous-marins ennemis ont été coulés par nos torpilleurs ; l’un d’eux est le français Narval qui faisait partie de la force au service de l’Angleterre ».
« On comprend facilement l’astuce italienne à vouloir prétendre que ce sous-marin français, était « au service de l’Angleterre ». Il était en effet bien gênant pour l’avenir de reconnaître qu’entre la Sicile et la Tunisie, un navire de guerre français avec un équipage entièrement français, était toujours engagé dans le combat.
« Les volontaires du Narval voulaient tout simplement être victorieux. Ils n’ont pu l’être, mais aussi longtemps que la France comptera des volontaires de cette trempe on la craindra et on la respectera. »
 
(1) Lors  de la parution de cet article, on n’avait pas encore retrouvé l’épave du Narval, découverte qui eut lieu en novembre 1957, au large des îles Kerkennah. Celle-ci permit de déterminer que le sous-marin n’avait pas été coulé par un torpilleur italien, mais avait sauté sur une mine.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 29, juin 1950.