Robert Victor

Robert Victor

Robert Victor

Membre du comité directeur de l’A.F.L.

Officier de la Légion d’honneur Médaille de la Résistance (Rosette)

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Robert Victor (RFL).

La mort de Robert Victor plonge l’Association des Français Libres et la Revue de la France Libre dans le deuil et le chagrin. Toutes ces dernières années, il prit une part active à l’association (il était membre du comité directeur national) et à cette revue dont il était l’animateur. Régulièrement, il présidait les réunions de la « Commission », faisant le point d’une situation financière toujours difficile, s’inquiétant de l’augmentation des dépenses, recherchant une publicité indispensable à la vie de l’organe de l’association.

Que les Français Libres le sachent : Robert Victor fut le premier artisan de leur revue. Elle était son travail, son métier, son souci, sa joie. Inlassablement, à travers cette revue, Robert Victor s’efforça de maintenir un lien étroit entre les Français Libres, d’assurer une aide efficace pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels, de perpétuer le souvenir des campagnes et faits d’armes de la grande épopée. Son dernier article devait exalter le souvenir du général de Gaulle – auquel il vouait un culte — « cet homme d’exception dont l’histoire dépasse la légende ». Et Victor d’ajouter : « Et Dieu que cette légende est merveilleuse ! »

La légende du général de Gaulle, c’est bien d’abord celle de la France Libre — cette part de la France, si mince en 1940, qui n’accepta pas la défaite, continua le combat et permit que la patrie fût présente au jour de la victoire — à laquelle Robert Victor adhéra aussitôt. Officier de la marine marchande, puis pilote au canal de Suez, il s’engagea dans les Forces Navales Françaises Libres dès juillet 1940. Il arma le Félix Roussel et navigua jusqu’en mai 1941, sur l’océan Indien et la mer Rouge, à bord de son bateau transformé en transport de troupes et de munitions. Il subit deux torpillages et c’est le second qui devait être à l’origine de son nouveau destin dans la France Libre. Attendant à Bombay, l’achèvement de la réparation du Félix Roussel, Robert Victor prononça, à la demande des Français Libres de Bombay, une conférence sur François Mauriac (il connaissait bien le grand écrivain puisque, quelques années auparavant, il était devenu son neveu par alliance).

C’est après le succès de cette conférence que Robert Victor — que le général de Gaulle devait appeler « mon bon compagnon » et à qui il rendit hommage à deux reprises dans ses Mémoires de guerre — devait être chargé de la représentation de la France Libre aux Indes. C’est à La Nouvelle Delhi qu’il créa la revue « France-Orient » qui, distribuée à travers toute l’Asie et toute la France Libre, remporta un prodigieux succès. A cette époque, les revues, comme les émetteurs de radio, ne valaient-elles pas des corps d’armée ?

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Robert Victor à son bureau (RFL).

Au début de 1944, Robert Victor rejoignit le général de Gaulle à Alger. « J’ai besoin d’hommes comme vous, lui avait dit le général au cours d’un dîner aux Glycines. Je dois garder mes fidèles auprès de moi ». Victor entra alors au cabinet du général où il demeura à Paris, après la Libération, jusqu’à son intégration dans le cadre du ministère des Affaires étrangères.

Voilà le Français Libre. Mais nous nous souviendrons sans doute d’abord de l’homme. Ses qualités de cœur, de générosité, de dévouement étaient grandes. Je n’écris pas cela sous l’émotion du deuil, parce que Robert Victor n’est plus. Je l’écris parce que c’est la vérité : ceux qui l’auront connu peuvent en témoigner. Robert était discret, modeste même, n’élevant jamais la voix, ne parlant jamais de lui, s’effaçant toujours. Il était plein de tact et de délicatesse. Il avait des manières, une politesse, une courtoisie, une distinction naturelle, qui, aujourd’hui, semblent appartenir à un autre âge.

Sa culture était grande. Robert Victor allait d’instinct aux choses de l’esprit. Il était d’abord un « intellectuel » et c’est essentiellement pour ces qualités que le général de Gaulle le choisit pour représenter la France Libre aux Indes, puis pour s’occuper des affaires d’informations de presse à son cabinet. Robert Victor a été un écrivain : il publia plusieurs romans, sous le pseudonyme de Jacques Baïf : Naufrage (1934), Les Navires truqués (1938), L’Oiseleur des ombres (1946). Il aimait passionnément la musique, l’histoire, les livres, bien sûr, qui tapissaient tous les murs du cabinet de travail de sa maison de Provence à Vence.

Il y a enfin le diplomate. Pendant plus de vingt ans, après la guerre, Robert Victor — officier de la Légion d’honneur, Rosette de la Résistance — suivit une belle carrière diplomatique. Ses postes le menèrent dans les cinq continents, depuis celui de consul suppléant à Montréal en 1945, à ceux de chargé d’affaires à Canberra en 1964 et de consul général à Abidjan en 1968. Il faudrait laisser la parole aux diplomates auprès de qui Victor travailla : il apportait dans ses fonctions un dévouement, une conscience qui allait quelquefois jusqu’aux scrupules.

En ces jours de deuil, le comité directeur national de l’Association des Français Libres et la revue partagent la peine de Madame Victor — admirable épouse qui, toute sa vie, aima, seconda, soutint son mari —, de ses enfants et petits-enfants qui, autour de leur père, formaient une famille unie.

Les Français Libres n’oublieront pas Robert Victor qui, jusqu’à sa mort — à 73 ans — a vécu le souvenir de la grande épopée du général de Gaulle, est demeuré fidèle à l’idéal de la France Libre et à ses camarades de la guerre. Comme tant de ces derniers, il a été enseveli, selon ses dernières volontés, dans son uniforme — sa tenue de capitaine de corvette — la vareuse ornée du seul insigne en émail bleu des Forces Navales Françaises Libres.

Jean Mauriac

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 218, janvier-mars 1977.