La répression de la dissidence aux Antilles

La répression de la dissidence aux Antilles

Aux Antilles françaises (Martinique et Guadeloupe), le régime de Vichy doit faire face à une double « dissidence ».

Au niveau intérieur, elle s’exprime d’abord par des actes symboliques isolés, avant de s’organiser, à partir de 1942, avec la constitution de mouvements, qui diffusent tracts et journaux clandestins.  En 1943, les troubles politiques se développent, avec la mutinerie des marins de la Jeanne d’Arc en avril, des émeutes dans plusieurs communes de Guadeloupe d’avril à juin et la mutinerie de la 3e compagnie du « camp Balata » le 29 juin, à Fort-France, entraînant le renversement des autorités vichystes, incarnées par l’amiral Robert, haut-commissaire de la France aux Antilles ; la Guadeloupe suit le 15 juillet.

Au niveau extérieur, 4 000 à 5 000 Antillais (1) s’échappent de Martinique et de Guadeloupe (2) entre 1940 et 1943, surtout en 1942 et 1943, à bord de frêles esquifs, en direction des îles anglaises voisines de la Dominique et de Sainte Lucie, quelquefois Antigua – l’un des plus connus est Frantz Fanon. Là, ils s’engagent dans la France Libre et sont dirigés vers les États-Unis, pour y être formés. À la Dominique, un premier convoi de 325 hommes part le 11 octobre 1942, un deuxième convoi de 108 évadés le 1er janvier 1943, un troisième de 96 volontaires le 4 avril suivant, un quatrième de 33 personnes le 29 avril et le dernier de 929 personnes le 10 juin. En juillet, après le ralliement de la Martinique et de la Guadeloupe, il reste 3 000 hommes à rapatrier. En Guyane, les « dissidents » tentent de rejoindre le Surinam.

Pour combattre cette « dissidence », les autorités vichystes prennent le 10 septembre 1940 un décret-loi « relatif aux mesures à prendre aux Antilles et à la Réunion, à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique ». Trois jours plus tard, un arrêté institue le Fort Napoléon, aux Saintes, comme « lieu d’internement pour les individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique ». Transformé en prison, le Fort Napoléon est, avec le Fort Saint-Charles, en Guadeloupe, et les Îles du Salut, en Guyane, le principal centre d’internement des « dissidents ». Entre 1940 et 1943, selon une étude, il y aurait eu 137 internés au Fort Napoléon (3).

De même, l’amiral Robert fait multiplier les rondes sur les côtes et les patrouilles en mer.

En 1941, une dizaine de personnes, en majorité originaires de la métropole, sont internées au camp de Balata, au Fort Desaix ou dans la cale des navires de guerre.

Georges Chalono et Joseph de Reynal sont envoyés au Fort Napoléon pour avoir collé le V de la victoire sur leur voiture.

Le 9 mars 1941, en Martinique, Maurice des Étages est arrêté pour avoir fourni un canot avec un équipage et de l’argent à trois sous-officiers, Hervé de France, Henri Dubois et Chapeyrou, arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à s’embarquer pour Sainte-Lucie. Interné 8 huit mois à bord du croiseur Émile Bertin et du porte-avions Béarn, il est condamné le 15 octobre suivant par la Haute Cour de Justice Criminelle à 15 ans de travaux forcés, à 20 ans d’interdiction de droits civils et politiques et à la confiscation de ses biens pour haute trahison – on le déporte au bagne des Îles du Salut, où il reste 24 mois. Hervé de France est condamné à cinq ans de travaux forcés, Henri dubois et Chapeyrou à trois ans.

En mars 1943, 250 « dissidents » sont arrêtés.

La dissidence concerne également des marins. En juin 1941, un graisseur du pétrolier Bourgogne ayant quitté le bord dans l’intention de se rendre à Sainte-Lucie est arrêté et emprisonné. On le transfère au Fort Napoléon, puis aux Îles du Salut. Trois marins du pétrolier Kobad sont interceptés alors qu’ils tentaient de rejoindre Sainte-Lucie à bord d’une embarcation et condamnés à la prison. On les libère le 17 juillet 1943, après le ralliement de la Martinique. A Sainte-Anne (Martinique), le patron du voilier Adelina, qui désire partir pour Sainte-Lucie avec son navire, est dénoncé et inquiété par la police.

Les tribunaux ont prononcé 83 condamnations à mort par contumace pour fait de « dissidence ».

1) En octobre 1942, on compte 4 000 Antillais et 500 militaires français, surtout des marins, dans les îles voisines.
2) Sur une population de 550 000 habitants selon le recensement de 1936, 246 000 en Martinique, 304 000 en Guadeloupe.
3) Dominique Chathuant, « Aux origines de la Dissidence guadeloupéenne 1940-1943 », thèse de 3e cycle, Université de Reims Champagne-Ardennes, 1991, p. 136.

Bibliographie
Eric Jennings, « La Dissidence aux Antilles (1940-1943) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 68, octobre-décembre 2000, p. 57-72.
Laurent Jalabert, « Les Antilles de l’amiral Robert », dans Jacques Cantier, Eric Jennings (dir.) L’Empire colonial sous Vichy, Odile Jacob, 2004.
Eric Jennings, Vichy on the Tropics : Petain’s National Revolution in Madgascar, Guadeloupe and Indochina, 1940-1944, Stanford University Press, 2004.

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