Le lieutenant-colonel Genin
Compagnon de la Libération
Le 17 juin 1941, tombait devant Ezraa, en Syrie, le lieutenant-colonel Genin, des Forces Françaises Libres. Né en 1900, à Toul, où son père, officier de carrière, était alors en garnison, d’une famille lorraine originaire de Verdun, René Genin se destina, dès le collège, où il se révéla extrêmement doué, à la carrière des armes. Pendant la guerre 1914-1918, à laquelle prennent part ses quatre frères aînés, René termine ses études et se présente à Saint-Cyr où il est reçu le numéro 1 de sa promotion. Il choisit à sa sortie de l’école, l’arme de l’infanterie coloniale. C’est alors qu’il confie à un de ses camarades, peu de temps après l’armistice : « Je suis né trop tard pour faire la guerre, mon devoir est d’aller au combat partout où ce sera possible ». Il devait tenir parole.
On le verra successivement en Syrie, en 1921-23, où il fait la campagne de Cilicie, au Maroc, où il se bat contre Abd El-Krim ; en Mauritanie, où il accomplit comme lieutenant de méharistes un séjour à la fin duquel il réussit le bel exploit sportif de traverser le premier, sur une voiture automobile de série, sans équipement spécial, l’Afrique occidentale et le Sahara, de Grand-Bassam à Alger.
Il retourne en Syrie de 1935 à 1938 et y sera à l’état-major des troupes d’occupation, le collaborateur du lieutenant colonel de Larminat, qu’il retrouvera plus tard à Brazzaville.
En 1932, le capitaine Genin avait été reçu à l’École de guerre d’où il sortit breveté, encore que ses idées en matière de stratégie et de tactique fussent jugées peu orthodoxes par ceux qui présidaient alors à la formation de l’élite de nos officiers.
Il faisait partie, en effet, de cette petite équipe d’indépendants qui n’envisageaient pas sans appréhensions et sans critiques les doctrines où se figeaient alors les « pontifes de la science militaire », et qui devaient en 1940, nous coûter si cher.
À sa sortie de l’École, il suivit à Strasbourg, les cours du Centre d’études germaniques.
La déclaration de guerre le trouve, chef de bataillon, affecté au 2e bureau du G.Q.G., celui des renseignements. Les informations qu’il y recueille et la façon dont elles sont accueillies lui causent une pénible impression et des appréhensions que les événements ne se chargeront que trop, de justifier. La grande ruée de 1940, l’effondrement de nos armées ne sont pas pour lui une surprise, mais pas davantage une cause de découragement, car il n’est pas de ceux qui, pour dissimuler leur responsabilité dans le désastre, l’attribuent à je ne sais quelle inéluctable fatalité, à une irrémédiable défaillance de la nation.
Il écrit, le 13 juin 1940 : « Sur le plan strictement humain, nos affaires ne sont nullement désespérées… À aucun prix nous ne devons capituler. On ne traite pas, on ne compose pas avec un monstre qui incarne l’hostilité à la morale, à la civilisation, au christianisme. Nous pouvons être obligés de subir, nous ne devons pas consentir. Nous sommes entrés en guerre parce que nous comprenions qu’il est impossible de vivre côte à côte avec une nation qui foule aux pieds systématiquement toutes ses promesses, tous ses engagements. N’allons pas, à notre tour, oublier notre parole… En ce qui me concerne, si je ne pouvais plus servir en France, je demanderais une place de soldat dans l’armée anglaise. Je crois à la victoire. Croyez-y avec moi. »
Aussi devine-t-on avec quelle joie il entend, quelques jours après, la grande voix venue de Londres, affirmer que les mêmes moyens qui ont entraîné notre défaite peuvent nous donner la victoire si nous ne nous abandonnons pas.
Affecté à la commission d’armistice en raison de sa parfaite connaissance de la langue allemande, ce qu’il y entend et constate, achève de le décider. Il rejoindra le général de Gaulle.
Il se fait mettre en congé d’armistice et passe en Afrique du Nord, d’où il écrit à sa famille avant de quitter Colomb-Béchar : « Si je suis parti, c’est dans l’espoir de trouver une activité réellement utile, pour ne pas assister les bras pendants à des événements qui décident du sort de notre civilisation ».
Sous prétexte d’aller « coloniser » au Togo, il traverse le Sahara et arrive à Gao. Là, il frète une pirogue, et, avec le concours de Français courageux, descend le Niger et arrive en Nigeria britannique, d’où il passe au Cameroun. Il a la joie d’y retrouver son frère aîné, administrateur dans ce territoire, qui s’est rallié depuis trois mois au colonel Leclerc. De là, il passe à Brazzaville, où l’attend son ancien chef et ami, le général de Larminat.
L’arrivée du commandant Genin fut, pour tous les Français libres d’Afrique équatoriale, un événement dont ils se souviennent encore.
C’était en effet le premier officier supérieur ralliant directement les territoires où flottait le drapeau à la croix de Lorraine, après avoir occupé des fonctions importantes à l’état-major de l’armée. Aussi le nouveau venu fut-il accablé de questions, de demandes de renseignements, auxquelles il répondait avec une inépuisable bonne grâce.
On le pria de faire des conférences pour exposer les événements, pour éclairer sur la situation, sur l’état des esprits en France, d’autres Français qui, coupés de la métropole, et sans relations directes avec elle, n’avaient pour se renseigner, que la radio, combien tendancieuse, de Paris et de Vichy.
Ces conférences eurent un retentissement considérable et une influence décisive sur beaucoup de consciences encore hésitantes. Pourquoi faut-il que certains aient refusé même d’entendre cette voix qui, avec la vérité sur l’état de leur patrie, leur indiquait, en même temps, le chemin de l’honneur et du devoir ?
Mais Genin n’était pas venu en France Libre seulement pour parler et écrire, ce qu’il voulait c’était rejoindre, et au plus tôt, les troupes qui se battaient.
Elles n’étaient pas encore bien nombreuses, ces troupes, mais la France n’avait jamais été absente du combat.
Arrivé à Brazzaville le 5 janvier 1941, René Genin, nouveau lieutenant-colonel, en repartait le 19 pour rejoindre par le Soudan égyptien, la première brigade des Forces françaises libres, qui se battait en Érythrée contre les Italiens.
Il se distingue notamment dans les combats qui précèdent la prise de Kéren, et est l’objet d’une citation à l’ordre de l’armée.
Cependant, se prépare un des plus pénibles épisodes de la guerre de libération.
Les Alliés ont décidé d’occuper la Syrie, pour barrer aux Allemands la route de l’orient.
Ce territoire est tenu par des troupes françaises dont on espère qu’elles se rallieront. On compte que la personnalité du lieutenant-colonel Genin, que les souvenirs, les sympathies, qu’il a laissés en Syrie pourront aider à ce ralliement.
Ces espoirs sont déçus, car une propagande infâme a exercé ses ravages sur les cadres surtout, dont l’attitude arrachera à Genin, pourtant si calme et pondéré, les seules paroles d’amertume et de sévérité qu’il ait prononcées pendant cette guerre contre d’es compatriotes.
Il faut donc se battre. Le 17 juin, René Genin a reçu le commandement d’une brigade chargée d’enlever le village d’Ezraa, tenu par les troupes vichystes. Les ordres donnés et l’action engagée, le lieutenant-colonel, sa canne à la main, accompagné d’un seul homme, pénètre dans le village. Un feu de salve parti des premières maisons couche morts sur la route l’officier supérieur et son ordonnance.
Ses hommes, exaspérés, enlèvent Ezraa à la baïonnette et font prisonnière la garnison qui défendait la position.
Ainsi tomba cet officier d’élite auquel, s’il eût vécu, une destinée de premier plan était réservée parmi les chefs de notre armée renaissante.
Le lieutenant-colonel Genin repose au cimetière de Damas, car ses intentions formelles étaient qu’il fût inhumé sur la terre où il pourrait tomber, afin qu’il restât là, quelque chose de la France.
Au cimetière du village de Souhesmes, dans la Meuse, une simple plaque apposée sur la tombe de famille rappelle son souvenir.
Cette plaque a été inaugurée par le général de Gaulle, lors de son voyage à Verdun, en juin 1947, au cours d’une cérémonie où le chef des Français libres rappela en termes simples et directs combien l’arrivée de cet officier de haute valeur morale, de ce Français au grand coeur avait été pour lui-même, un encouragement et un réconfort.
Encouragement aussi et exemple agissant pour les siens et pour ses compatriotes, car un des frères du lieutenant-colonel Genin jouait, de son côté, en France, pendant la guerre, dans la résistance, une partie qui se terminait à Berchtesgaden où il avait la joie d’entrer un des premiers avec les troupes de Leclerc, tandis que le petit village de Vadelaincourt, berceau de sa famille, qui ne compte que 75 habitants, offrait à la France deux jeunes volontaires tombés, l’un sur le Rhin, à l’aube de la victoire, l’autre en Indochine, et dont le général de Gaulle associa dans un commun hommage l’humble sacrifice à celui d’un de ses premiers et plus chers compagnons.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 42, novembre 1951.